LA PROFESSION FAIT FACE - La Semaine Vétérinaire n° 1847 du 27/03/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1847 du 27/03/2020

PANDÉMIE

ANALYSE

Auteur(s) : VALENTINE CHAMARD*, CLOTHILDE BARDE**, TANIT HALFON***, CHANTAL BÉRAUD****

L’épidémie de Covid-19 oblige la profession à s’adapter, entre les injonctions du gouvernement à rester chez soi et les obligations déontologiques qui sont les siennes quant à la permanence et continuité de soins. Retours d’expérience.

TÉMOIGNAGE
ADELINE LINSART
Praticienne NAC au CHV de Saint-Martin-Bellevue (Haute-Savoie)
Nous restons unis dans l’entraide

L’organisation de la clinique a été totalement repensée : entre les arrêts pour garder les enfants, les arrêts maladie et les personnes encore en poste. Nous avons choisi pour ces derniers de laisser chacun décider s’il se porte volontaire pour travailler ou s’il préfère être confiné. Toutes les décisions sont prises collectivement. Pour les collaborateurs libéraux qui souhaitent continuer à exercer, les associés leur laissent la priorité afin qu’ils ne restent pas sans revenu pendant la durée de la crise. Un ou une vétérinaire s’occupe de l’accueil avec un ou une ASV car, dans ce contexte, le triage téléphonique est primordial. Une autre consœur télétravaille et s’occupe de la boîte mail, des suivis téléphoniques, mais aussi de créer de nouveaux modèles de comptes rendus, de mettre à jour des protocoles ou la bibliographie pour le reste de l’équipe. Cinq salariés ont été mis en chômage partiel (ou repos, selon les suites qui seront données pour notre profession). Notre activité est basculée exclusivement sur les urgences et le suivi des maladies chroniques qui ne peuvent être différés, avec un maximum de précautions : dossiers remplis en amont par téléphone, propriétaire qui attend dans sa voiture qu’un membre de l’équipe vienne chercher son chien (avec notre propre laisse) ou son chat (après désinfection de la poignée de la cage), qui y reste pendant la consultation et avec lequel les informations sont échangées par téléphone, remise de l’animal après la consultation sur le parking, paiement sans contact, stylo individuel, désinfection du terminal de paiement, etc. Des bandes au sol pour la distance à respecter et une « barricade » avec des chaises devant le comptoir ont été disposées pour les rares clients qui entrent. Nous délivrons aussi beaucoup de conseils téléphoniques.

TÉMOIGNAGE
VINCENT COUPRY
Praticien canin à Cholet (Maine-et-Loire)
Les conséquences économiques vont être terribles

Depuis l’annonce du confinement, je suis en « mode garde » et je travaille seul pour ne pas exposer mes salariées. Mon ASV, confinée, reste disponible si j’avais besoin de renfort pour une chirurgie. Je suis joignable au téléphone, mais ne reçois que les seules urgences, même s’il est parfois délicat de les évaluer. Ces jours-ci l’activité est à l’arrêt, cependant, il est probable qu’un regain d’activité aura lieu après que les propriétaires aient patienté plusieurs jours, pour une boiterie par exemple. En ce qui concerne les conséquences économiques, elles vont être terribles, l’assurance prévoyance ne prévoit pas d’indemnités dans cette situation (sauf à contracter soi-même le Covid-19) et les aides de l’État ne s’appliquent pas dans tous les cas. J’ai demandé à ajourer certains prélèvements auprès de ma banque et de ma centrale, toutefois, il faudra bien les payer un jour… Les remises annuelles de mon GIE donneront un coup de pouce, pour le reste il faudra puiser dans la trésorerie. Dans cette période difficile, il est essentiel que tous les praticiens prennent leurs responsabilités en réduisant leur activité aux seules situations ne pouvant pas être reportées.

TÉMOIGNAGE
GWENAËL OUTTERS
Praticienne canine dans une clinique mixte à Saint-Germain-Lespinasse (Loire)
Nous devrions pouvoir éviter la mise au chômage partiel

Dès que l’Ordre a diffusé ses consignes, nous avons annulé tout ce qui ne relève pas de l’urgence et ne recevons que sur rendez-vous, même pour la vente au comptoir. Nous avons transmis les informations à nos clients par e-mail, site internet et affichage. Nos effectifs ont été modifiés, deux membres de l’équipe étant arrêtés de facto car suivis pour affection longue durée, donc considérés à risque pour le Covid-19, et un autre étant malade. Nous sommes restés, dans un premier temps, ouverts aux horaires habituels et avons connu énormément d’appels téléphoniques dans les heures précédant l’annonce du confinement. Les plages d’ouverture sont dorénavant réduites, avec une fermeture à 17 heures, de sorte que nous ne devrions pas avoir besoin de recourir au chômage partiel. Nous demandons, par écriteau sur la porte vitrée, que n’entre qu’une personne à la fois, mais les consignes ont eu du mal à être respectées les premiers jours. Nous avons en effet des difficultés à faire comprendre aux clients le mécanisme de transmission du Covid-19 et le portage sain. En ce qui concerne l’approvisionnement, nous n’avons eu aucun souci avec nos livraisons. Nous ne sommes pas non plus en pénurie de masques chirurgicaux, la société Les Tissages de Charlieu chez qui nous nous fournissons a remis des chaînes de production en route pour fabriquer des masques en tissu. En ce qui concerne les conséquences économiques de cette crise, si la canine, qui représente un quart de notre activité, va être considérablement impactée, c’est moins le cas pour la rurale et l’équine. Nous ne sommes donc pas trop inquiets pour notre structure qui bénéficie de plus d’une trésorerie, ayant été créée il y a 20 ans. Je suis plus soucieuse pour les jeunes vétérinaires qui viennent de s’installer.

TÉMOIGNAGE
DOMINIQUE BALLOY (A79)
Vétérinaire avicole aux Herbiers (Vendée) et responsable des laboratoires Resalab du groupe Cristal
Continuer à assurer nos missions de santé publique

Dès le début du mois de mars, nous avions commencé à communiquer sur la situation à l’ensemble du personnel, puis face à l’accélération de la pandémie, nous avons créé des cellules de crise pour organiser la gestion de nos cabinets et de nos laboratoires. Avec les mesures de confinement, nous avons annulé toutes les visites non urgentes, mais le problème est que notre activité repose beaucoup sur les visites préventives. Si quelques-uns ont pu continuer en partie leur activité de conseil par visioconférence, il y a globalement une réduction du travail des vétérinaires. Nos salariés ont accepté d’avancer des congés payés et nous les en remercions. Pour le reste de notre personnel, ceux qui peuvent faire du télétravail le font, et pour les autres, ils continuent à être présents sur nos sites avec les précautions nécessaires. Les producteurs peuvent y passer récupérer des médicaments, mais uniquement sur rendez-vous. De plus, la plupart d’entre eux veulent de toute façon limiter les contacts physiques, et récupèrent les produits dans un sas. Malgré le contexte, il est important de maintenir notre activité car nous assurons des missions de santé publique, par exemple avec la surveillance des salmonelles. Il ne s’agirait pas de rajouter une crise de santé animale, et encore moins un problème de sécurité alimentaire. Nous devons, de plus, rester solidaires de nos filières d’élevage qui continuent leur travail. Cependant, nous nous sentons un peu seuls : certaines entreprises ont, en effet, rapidement arrêté leurs activités alors qu’elles sont essentielles pour les élevages, c’est le cas de certains transporteurs. Par ailleurs, une question reste en suspens : serons-nous capables d’absorber les charges supplémentaires de travail après la crise ? A voir, mais chez nous, tout le monde est prêt à faire des efforts.

* Les interviews ont été réalisées entre le 17 et le 21 mars, la situation est donc susceptible d’évoluer entre la mise sous presse et la réception du magazine. Retrouvez par ailleurs l’actualité au jour le jour sur Lepointveterinaire.fr.

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr