LES GRILLES, UNE PORTE D’ENTRÉE À NE PAS NÉGLIGER - La Semaine Vétérinaire n° 1846 du 20/03/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1846 du 20/03/2020

ÉVALUATION DE LA DOULEUR

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : TANIT HALFON

Malgré leurs limites, les échelles d’évaluation de la douleur des carnivores domestiques sont des outils intéressants pour suivre l’efficacité d’un traitement analgésique.

La douleur est complexe car subjective. Chez l’animal, le praticien se heurte, en plus, à l’absence de verbalisations du processus douloureux. Pour mieux l’appréhender, des échelles d’évaluation de la douleur sont disponibles. « Il existe de nombreuses grilles multiparamétriques dont le but est d’évaluer la douleur, explique Géraldine Jourdan, enseignante-chercheuse en anesthésie-analgésie à l’École nationale vétérinaire de Toulouse. Certaines permettent d’évaluer la douleur aiguë ou par excès de nociception, dont cinq sont classiquement utilisées dans les études s’intéressant à ce domaine ; d’autres, la douleur chronique, notamment arthrosique. Enfin, nous disposons de grilles relatives à la qualité de vie de l’animal, qui est un critère supplémentaire à prendre en compte dans ce contexte. » Fondées sur des critères comportementaux, plus ou moins associés à une palpation directe de la zone lésée, elles servent à évaluer l’intensité de la douleur, mais surtout à apprécier l’efficacité d’un traitement analgésique, notamment dans le cadre du suivi postopératoire. « Par l’établissement d’un score, toutes permettent une évaluation “quantitative” de la douleur et, par voie de conséquence, une adaptation du traitement analgésique - nature et dose - et le suivi de son évolution au cours du temps », explique l’enseignante. Pourtant, sur le terrain, ça coince, comme le souligne Thierry Poitte, praticien canin sur l’île de Ré (Charente-Maritime) et fondateur du réseau CAP douleur qui regroupe à ce jour 400 cliniques et quelque 1 400 vétérinaires : « Au cours des conférences CAP douleur que j’ai données - plus de 300 depuis 2012 -, j’ai pu constater que peu de vétérinaires évaluaient la douleur. Et ceux qui le font s’intéressent uniquement à l’aspect quantitatif et très peu à la qualité de cette douleur. Les douleurs neuropathiques sont ainsi sous-diagnostiquées, c’est d’ailleurs une des premières raisons d’échec dans la prise en charge de l’arthrose », regrette-t-il.

Des limites…

Face à ce constat, il propose une solution numérique. « Nous avons digitalisé des grilles d’évaluation de la douleur chronique chez le chien, le chat et le lapin. L’enregistrement et l’archivage facilitent le suivi d’un animal. Cela permet aussi de générer des data et donc d’améliorer les connaissances. Par exemple, nous montrerons prochainement qu’entre 10 et 15 % des chiens arthrosiques présentent des douleurs neuropathiques. » Pour le chien, « l’outil Dolodog que nous proposons est une grille modifiée d’Helsinki, car cette dernière a été élaborée à une époque où les douleurs neuropathiques et la vulnérabilité à la douleur étaient sous-estimées. Elle fera prochainement l’objet d’une validation », souligne-t-il, tout en indiquant que toute évaluation de la douleur doit s’inscrire dans une démarche globale, incluant l’écoute des propriétaires et l’examen clinique. De manière générale, cette validation scientifique manque encore pour ces outils. « En l’absence d’une méthode de référence ou de gold standard, aucun instrument de quelque nature que ce soit ne peut être validé au sens scientifique du terme. C’est le cas des grilles multiparamétriques d’évaluation de la douleur », explique Géraldine Jourdan. Les grilles d’évaluation de la douleur ont d’autres limites, d’abord celle du temps consacré à l’évaluation. « Il n’est pas le même suivant le nombre d’items contenus dans les grilles. Par exemple, pour évaluer une douleur aiguë, l’échelle de Glasgow modifiée peut apparaître au départ plus rapide à remplir que la grille A4-Vet. Mais finalement, le temps passé à remplir une grille dépend plus de l’habitude que l’on prend à s’en servir quotidiennement, fréquemment, que de la nature de la grille elle-même, ajoute Géraldine Jourdan. Quelle que soit celle que vous utilisez, utilisez-la tous les jours ! » Thierry Poitte va plus loin : « Beaucoup de grilles enseignées ne seront jamais employées en clientèle car trop théoriques, et fastidieuses à remplir. Nous avons besoin de faire évoluer cet outil en fonction des progrès des neurosciences et de l’éthologie, pour y inclure le ressenti émotionnel, la composante cognitive, la vulnérabilité individuelle, essentiel en douleur chronique. »

À dépasser !

La douleur chronique, justement, reste encore un challenge diagnostique et thérapeutique, malgré ces grilles. « Il existe des outils actuellement qui sont complémentaires, dont les grilles à utiliser par le propriétaire. Bien entendu, cela ne peut pas “suffire”, car rien n’est suffisant en définitive, tant le diagnostic de la douleur chronique reste un challenge. On aboutit à un diagnostic en fonction du contexte, de l’examen clinique, de l’interrogation du propriétaire, souvent parfois aussi à l’issue d’un challenge thérapeutique, dont le succès ou l’échec est approché par le propriétaire au travers de ces grilles… Avec des limites comme l’hétéro-évaluation, la subjectivité, l’effet placebo, etc. Mais c’est le cas de tous les outils à notre disposition aujourd’hui, explique Géraldine Jourdan. Quelque part, ces grilles servent aussi à motiver le propriétaire. Cependant, avant d’en arriver là, encore faut-il se demander s’il peut exister une douleur chronique chez l’animal qui vous est présenté en consultation. » Malgré les limites, face au challenge de l’évaluation de la douleur, les grilles doivent être bien vues comme un outil utile dans la trousse du praticien. « Même s’il y a une part subjective, elles sont recommandées en complément de la médecine narrative, de l’examen clinique et, demain, des objets connectés. Alors qu’il n’existe pas de marqueurs objectifs de la douleur, cette approche permet une médecine individualisée, clé de l’observance », souligne Thierry Poitte. « Quelle que soit la grille, c’est un plus pour “scorer” et suivre l’efficacité d’un traitement », soutient Géraldine Jourdan, qui interpelle : « Remplir une grille prend du temps, mais évaluer la douleur est un challenge diagnostique auquel il faut savoir accorder du temps. »

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