« IL FAUT DÈS AUJOURD’HUI ÊTRE AU MAXIMUM DES MESURES DE BIOSÉCURITÉ » - La Semaine Vétérinaire n° 1846 du 20/03/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1846 du 20/03/2020

CRISE SANITAIRE

ANALYSE

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL

Dans le contexte sanitaire actuel, les établissements de soins vétérinaires doivent réduire le plus possible leurs activités. Quelles sont les obligations du praticien ? Quels seront les impacts concrets du confinement total sur le fonctionnement des cliniques vétérinaires ? Les précisions du président du CNOV.

Face à la crise du Covid-19 et dans un contexte de confinement, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) rappelle à la profession, avec gravité, l’urgence de la situation. Dans un communiqué1 de presse du 15 mars, rédigé avec les organisations professionnelles et techniques, le CNOV appelle les vétérinaires à restreindre leur activité afin de protéger leur personnel, leurs clients et eux-mêmes. Il a dressé une liste des actes indispensables et qui ne sont pas différables. Concrètement, les établissements de soins vétérinaires devront pratiquement fonctionner comme dans une situation de gestion des urgences. Jacques Guérin, président du CNOV, insiste : dans cette crise, le vétérinaire a « un devoir d’exemplarité ».

Comment puis-je me protéger et protéger le personnel de ma clinique vétérinaire ?

Jacques Guérin : La première protection est la diminution au maximum du flux d’intervention au sein des établissements de soins vétérinaires. Le praticien ne doit agir que s’il fait face à une situation qui met en danger la vie de l’animal. Toute autre situation doit pouvoir être reportée même si cela à des conséquences. Par exemple, il n’y a aucune justification possible à vouloir absolument vacciner contre la rage des carnivores dans le cadre d’un protocole de déplacement à l’étranger. En revanche, dans une situation de parvovirose canine, la vaccination de l’animal a du sens afin d’éviter une crise de santé animale. Si nous sommes dans l’obligation de prendre en charge un animal, que ce soit dans l’enceinte de l’établissement de soins vétérinaire ou au domicile du client, il faut respecter rigoureusement les mesures barrières, la biosécurité et l’hygiène, en étant conscient que nous n’avons pas accès à tous les composants de cette biosécurité tels que les masques FFP2. Sur ce point, il faut rappeler que les masques disponibles sont orientés vers la protection des professionnels de santé humaine. Cela me paraît normal devant l’ampleur de la crise de santé publique et la gestion priorisée de la pénurie de masques. En cas de besoin, les ministères de l’Agriculture et de la Santé invitent les vétérinaires à se tourner vers des producteurs de masques en tissus et à mettre en place les pratiques de lavage et de stérilisation classiques utilisées aussi pour les blouses. Par ailleurs, je rappelle que les vétérinaires, en tant qu’employeurs, ont une responsabilité vis-à-vis de leurs employés qu’ils ne doivent pas exposer aux risques de contamination.

Qu’est-ce que le confinement total change pour les mesures de biosécurité en clinique ?

Il faut dès aujourd’hui être au maximum des mesures de biosécurité prises, comme la mesure de distanciation sociale, la prise en charge des animaux malades uniquement sur rendez-vous, la limitation de l’accès à l’établissement de soins à une personne par animal. Les vétérinaires devront mettre en place l’accès aux gestes de barrières simples. Le bon sens et le pragmatisme sont de rigueur dans cette situation.

Ces mesures de biosécurité pèsent-elles davantage sur le vétérinaire qui effectue des visites à domicile ?

Les vétérinaires qui effectuent des visites à domicile en zone urbaine sont au cœur des risques de contamination. Il faut rappeler que les mesures de prévention leur sont pleinement applicables. Ils ont un devoir de renforcer ces gestes, qui doivent être des réflexes, afin d’éviter de contaminer des personnes, y compris celles qui sont les plus fragiles.

Si un vétérinaire présente de la fièvre ou s’il a été, ou quelqu’un de son personnel, en contact avec une personne testée positive ou présentant des symptômes compatibles, que doit-il faire ?

Dans ce cas, il est nécessaire de suivre les recommandations du ministère de la Santé sur la gestion d’une personne malade. Il faut rester confiner chez soi, surveiller sa température, et si les symptômes s’aggravent, consulter son médecin traitant qui jugera des suites à donner. Ces gestes sont à adopter afin d’éviter la propagation du virus.

Les horaires d’ouverture des établissements de soins vétérinaires seraient-ils libres dans ce contexte de confinement total ?

Le confinement total ne changera pas diamétralement les choses par rapport à la situation précédente de non-confinement. En revanche, la plage horaire de déplacement des propriétaires d’animaux dans les établissements vétérinaires est contrainte. L’accès aux établissements de soins vétérinaires est possible sous condition. Il est évident que les urgences vitales seront assurées. Dans ces situations, les vétérinaires font partie des professionnels de santé, qui ont l’impérieuse nécessité de se déplacer. Le gouvernement a bien conscience que nous avons l’obligation de traiter les animaux en situation d’urgence.

En cas de déplacements, les vétérinaires salariés doivent-ils posséder des certificats confirmant qu’ils exercent dans une structure vétérinaire ?

Le vétérinaire qui se déplace dans un cadre professionnel dispose d’un caducée et d’une carte professionnelle qui justifie qu’il exerce la profession de vétérinaire. Cela vaut certificat, la mesure est suffisante.

Dans le cadre du confinement total, faut-il prévoir des justificatifs à communiquer aux clients qui ont rendez-vous afin qu’ils puissent justifier leur déplacement ?

Pour l’instant, nous savons que les détenteurs d’animaux accéderont aux établissements de soins vétérinaires en dehors des plages de couvre-feu, au même titre qu’il n’est pas interdit de se déplacer pour se rendre dans les commerces d’alimentation. Des informations complémentaires sont en attente. Il faut en appeler au civisme des vétérinaires et aux détenteurs d’animaux, mais surtout à la capacité de réguler le flux au sein des établissements vétérinaires en amont par les prises de rendez-vous téléphoniques. Il revient aux vétérinaires d’appliquer scrupuleusement ces règles. Dans le cas contraire, le gouvernement aura toute légitimité à renforcer les contraintes jusqu’à ce qu’elles deviennent coercitives pour tout le monde.

Combien de clients pourront-ils être autorisés en salle d’attente ?

La consigne gouvernementale est de respecter 1 m entre chaque personne. Si cette mesure est correctement appliquée, elle permet de réguler le flux des personnes présentes dans une même unité de lieu et de temps en fonction de l’espace disponible. La norme du nombre n’a pas de sens. En revanche, la norme de distance en a, et pour qu’elle soit gérable, cela nécessite que le vétérinaire planifie en amont les rendez-vous.

Est-il préférable de limiter l’émission de certaines commandes de produits ?

Je crois que la question de la livraison n’est pas un problème. Il faut que les établissements de soins vétérinaires s’engagent dans la durée. Il va falloir bien gérer les approvisionnements de leurs structures afin d’être en capacité de pouvoir médicaliser et traiter les animaux qui le nécessitent. Par ailleurs, pour l’instant, il n’y a pas de ruptures à craindre. Mais des comportements de stockage pourraient la provoquer. Le seul bon sens repose sur la cession des médicaments aux détenteurs d’animaux. En cas de maladie chronique, la seule initiative qui pourrait être utile, est que l’on puisse assouplir la règle qui veut qu’un vétérinaire ne puisse pas délivrer plus de 1 mois de traitement, comme c’est actuellement le cas pour les pharmaciens d’officine. Cette mesure exceptionnelle serait à la hauteur de la situation exceptionnelle que nous vivons. Cette possibilité pourrait diminuer le flux de passage dans les cabinets. Il ne s’agit pas de modifier la loi, mais plutôt de dire que dans l’application des règles aujourd’hui, nous allons faire preuve de souplesse et de bienveillance. Nous n’irons pas rechercher la responsabilité déontologique d’un vétérinaire qui n’a pas respecté la règle au cordeau, dès lors qu’il garde une attitude de bon sens, de responsabilité, en un mot une éthique professionnelle. Mais en dehors de ce cas, les comportements qui n’auront pas été dignes de la profession vétérinaire seront dénoncés devant les chambres de discipline.

À quelle période les vaccinations et les chirurgies de convenance peuvent-elles être reportées ?

Il faut se mettre dans une situation de devoir reporter tout ce qui doit l’être dans un délai de cinq semaines. Une chirurgie de convenance ne fait pas partie des actes essentiels ne pouvant pas être différés. Le risque est limité. La situation actuelle vaut la peine de prendre ce risque. Si le protocole vaccinal ne peut être reporté, il faudra le recommencer. Le vétérinaire devra expliquer aux détenteurs des animaux les raisons de ce choix. Il n’est pas acceptable de mettre sur un même plan une question de cette nature et le risque de décès de centaines de personnes.

Les vétérinaires peuvent-ils s’inscrire sur la réserve sanitaire ?

Pour l’instant, nous n’avons reçu aucune demande de cette nature. Bien que nous soyons des professionnels de la santé animale, la crise actuelle concerne davantage la santé humaine. Si les vétérinaires sont sollicités, il conviendra d’utiliser leurs compétences de gestionnaire de risques ou de régulation, mais chacun à la place qui est la sienne. Nous pouvons déjà y réfléchir pour cartographier les domaines où nous serions utiles. J’espère que cela ne sera pas utile où alors notre présence signifiera une aggravation majeure de la crise sanitaire.

Cette situation pose-t-elle la question de la nécessité du développement de la télémédecine en médecine vétérinaire ? Faut-il accélérer le calendrier à ce sujet ?

Le sujet de vouloir accélérer le calendrier réglementaire sur cette question de la télémédecine me paraît accessoire. La crise du Covid-19 met à l’ordre du jour que son accès en médecine vétérinaire est aujourd’hui indispensable. Les députés et les sénateurs seront certainement marqués par cette crise et peut-être voudront-ils aller jusqu’au bout du sujet. Il est difficile d’anticiper sur les priorités du calendrier parlementaire. Ceci étant, le CNOV va tenter de passer par une demande d’expérimentation pour les douze mois à venir.

L’Ordre a-t-il mis en place un numéro d’urgence à contacter pour toutes questions relatives au Covid-19 ? Les conseils régionaux de l’Ordre restent-ils joignables ?

Nous sommes actuellement assaillis de questions, pour lesquelles nous n’avons pas toujours les réponses. C’est le propre d’une gestion de crise d’ampleur. Nous n’avons pas mis en place de numéro vert dédié, mais tenons à répondre aux interrogations des vétérinaires par la disponibilité des élus ordinaux (mail et téléphone). Notre priorité est de faire prendre conscience aux vétérinaires que nous sommes dans une crise grave. Les lignes du standard du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires ont été dédoublées. Le site internet de l’Ordre contient une rubrique sur le Covid-19 avec des éléments de réponses liées notamment aux questions sur la gestion de leur entreprise.

Encouragez-vous les vétérinaires à sensibiliser les propriétaires d’animaux ?

Totalement. Pour cela, ils ont à leur disposition, sur les sites internet de l’Ordre et du ministère de la Santé, des outils tels que des fiches qui rappellent les gestes barrières et les règles à respecter en entrant dans un établissement de soins vétérinaires. En tant que professionnels de santé, les vétérinaires ont aussi à expliquer à leurs clients ce qui est en train de se passer.

1. www.bit.ly/2QnPALG.

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