GESTION LORS DE LA TRANSFORMATION FERMIÈRE DU LAIT - La Semaine Vétérinaire n° 1846 du 20/03/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1846 du 20/03/2020

LISTÉRIOSE CAPRINE

PRATIQUE MIXTE

FORMATION

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

Conférenciers LISA MITTAG, ANTONIN TORTEREAU (VetAgro Sup) • DOROTHÉE VIRIEUX-WATRELOT • MARIE-ANNE ARCANGIOLO • ALAIN GONTHIER • THIBAUT LURIER.

Article rédigé d’après une conférence présentée lors du congrès de la sngtv du 15 au 17 mai 2019.

En France, en 2017, 465,4 millions de litres de lait de chèvre ont été collectés1. Un grand nombre d’exploitations caprines en réalisent ensuite la transformation fromagère fermière. Or le vétérinaire, en tant que référent sanitaire, se doit de diagnostiquer une affection telle que la listériose, puis de conseiller l’éleveur pour évaluer et maîtriser les points critiques à vérifier dans l’exploitation, notamment au niveau de l’hygiène, de la traite et de la qualité du lait jusqu’à la transformation fromagère. Les conférenciers se sont penchés sur l’attitude à adopter en matière de diagnostic et de conduite à tenir, à travers l’exemple de deux cas cliniques de listériose dans des élevages de chèvres.

Une ration mal conservée

Dans un premier cas clinique, l’élevage de chèvres compte 32 chèvres dont le lait est entièrement transformé en fromage. Après avoir modifié la ration avec la distribution d’un ensilage “plus chaud” pendant cinq jours, des symptômes sont apparus rapidement : baisse d’appétit, désorientation et symptômes nerveux (« animaux qui semblaient devenir sauvages »). Quatre chèvres ont été retrouvées mortes au bout de quelques jours. Face à l’évolution aiguë de ces troubles nerveux, plusieurs hypothèses diagnostiques sont évoquées (listériose, nécrose du cortex cérébral, entérotoxémie, intoxication par le plomb, tétanos et abcès cérébelleux). Les prélèvements de tronc cérébral réalisés ont permis l’identification par galerie API (laboratoire de pathologie du bétail, VetAgro Sup) de la présence de Listeria innocua. Bien que généralement considérée comme non pathogène, cette bactérie a été rapportée dans quelques cas cliniques de listériose chez les ruminants2 et elle peut être considérée comme un facteur de risque d’infection à L. monocytogenes. L’analyse histologique a d’ailleurs mis en évidence des lésions (microabcès, gliose, leucostase, etc.) caractéristiques de listériose. Dans cet élevage, la listériose provient donc probablement de la distribution pendant une courte durée d’un ensilage mal conservé et il est conseillé à l’éleveur de retirer cette alimentation.

Des affections concomitantes

Dans un second élevage caprin laitier bio de 70 chèvres en lactation, avec transformation du lait en fromage lactique sur la ferme, quatre chèvres, maigres et qui présentaient une production laitière en baisse, sont retrouvées mortes en 24 à 48 heures en position d’opisthotonos avec jetage nasal spumeux. L’état de maigreur et le jetage nasal spumeux peuvent s’expliquer par un parasitisme sévère avec protostrongylose pulmonaire associée, une bronchopneumonie bactérienne ou une pneumonie interstitielle virale chronique. Par ailleurs, les troubles nerveux en “hyper” d’évolution aiguë ont le même diagnostic différentiel que le cas décrit précédemment. À l’examen nécropsique, des lésions de pneumonie interstitielle et de bronchopneumonie suppurée aiguë par surinfection secondaire ainsi que de nombreuses larves de strongles sont retrouvées sur une des chèvres. Sur une autre, les lésions observées sont compatibles avec une listériose. Par conséquent, outre un parasitisme pulmonaire et digestif important, ces chèvres avaient donc une listériose, probablement liée à la distribution de bottes d’enrubannage mal conservées. En plus du retrait de l’aliment incriminé, une vermifugation de l’ensemble du troupeau à l’éprinomectine est alors préconisée.

Une confirmation et des informations nécessaires

Ces deux cas cliniques témoignent du fait que, face à un tableau clinique évoquant des troubles majoritairement nerveux chez un caprin, il est nécessaire d’inclure la listériose dans le diagnostic différentiel, d’autant plus s’il y a eu accès à un aliment “douteux” quelques semaines avant l’apparition des premiers cas3. Même si certains symptômes peuvent plus particulièrement évoquer la listériose, comme l’hémiplégie faciale et l’ataxie, ils ne sont pas toujours présents et il convient d’effectuer plusieurs prélèvements pour confirmer l’hypothèse. Sur un animal vivant, la seule option est la ponction de liquide céphalorachidien (LCR) avec analyse cytologique peu spécifique et bactériologique très peu sensible4 et, sur un animal mort, le prélèvement de choix reste celui du tronc cérébral, avec une analyse histologique au plus tard 24 heures post-mortem. Cette dernière permet, dans la majorité des cas, de révéler des images caractéristiques (micro-abcès multifocaux dans le tissu du tronc cérébral) ou très évocatrices d’une infection à Listeria monocytogenes5.

En cas de confirmation de listériose, dans les élevages caprins pratiquant la transformation du lait sur la ferme, le vétérinaire doit être en mesure de renseigner l’éleveur sur les aspects sanitaires en jeu. Pour ceux qui ne transforment pas, la laiterie doit être prévenue si elle pratique la transformation ou la vente de produits crus. Le vétérinaire n’est toutefois pas tenu de prévenir la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), la laiterie ou tout autre organisme intervenant dans l’hygiène alimentaire des produits sortant de l’exploitation. Une mention sur l’ordonnance du type “En raison de la possibilité de contamination des produits laitiers par des Listeria et du risque pour les consommateurs, prenez contact avec votre laiterie/les services sanitaires” permet de le protéger en cas de litige.

Des produits transformés sous surveillance

Si la suspicion de listériose dans un élevage provient de produits transformés contaminés par Listeria monocytogenes, il convient avant tout d’essayer de déterminer la source de contamination des produits laitiers transformés (animaux porteurs, contamination pendant la traite, lors de la transformation ou du stockage). Un guide sanitaire en production laitière fermière6 expliquant la procédure à suivre par l’éleveur dans un tel contexte est mis à disposition par l’Institut de l’élevage. Lors de la détection de cas cliniques sporadiques de listériose, il est indispensable de commencer par informer l’éleveur du risque sanitaire possible pour les produits laitiers, puis de vérifier si le lait ou les produits transformés sont contaminés en réalisant des autocontrôles. S’ajoute le renforcement des mesures de sécurité lors du processus de transformation (encadré).

1. Rapport d’activité 2017 de la Fédération nationale des éleveurs de chèvres (FNEC), www.bit.ly/38PPuD7.

2. Rocha P. R. et coll. Atypical cerebral listeriosis associated with Listeria innocua in a beef bull. Res. Vet. Sci. 2013;94 (1):111-4. Walker J. K. et coll. Listeria innocua isolated from a case of ovine meningoencephalitis. Vet. Microb. 1994;42 (2-3) :245-53.

3. Mercier P. La listériose chez la chèvre laitière. Point Vét. 2002;Pathologie ovine et caprine :90-2.

4. Schelcher F. et coll. La listériose des ruminants : tableaux cliniques et diagnostic de laboratoire. Bull. GTV. Numéro spécial 2001:29-35.

5. Low J.C. et Donachie W. A review of Listeria monocytogenes and listeriosis. Vet. J. 1997;153 (1):9-29 ; Allen A.L. et coll. A retrospective study of brain lesions in goats submitted to three veterinary diagnostic laboratories. J. Vet. Diagn. Invest. 2013;25 (4):482-9.

6. www.bit.ly/38MTCDA.

LES MESURES DE SÉCURITÉ ET DE CONTRÔLE LORS DE LA TRANSFORMATION LAITIÈRE

– Ne pas laisser reposer le lait avant transformation.

– Si stockage du lait avant la transformation, vérifier que la température du lait diminue suffisamment rapidement jusqu’à 4 °C.

– Vérifier la température du lait au cours de l’emprésurage (18-25 °C).

– Changement des ferments lactiques et éventuellement du petit-lait qui sert à la transformation.

– Ne pas réutiliser le petit-lait d’une transformation à l’autre pour éviter les risques de contamination et de manque d’efficacité des ferments lactiques.

– Vérifier le pH du petit-lait à chaque transformation (50-55 °Dornic).

– Réaliser un choc base-acide pour laver le système de la machine à traire (un cycle de lavage complet avec une base, rinçage, cycle de lavage avec un acide et rinçage) associé éventuellement à une désinfection du lactoducte avec de l’acide peroxydique.

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