ÉCOSOLUTIONS QUAND LES CLINIQUES PAS SENT AU VERT - La Semaine Vétérinaire n° 1845 du 13/03/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1845 du 13/03/2020

DOSSIER

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD

CONSTRUCTION DE BÂTIMENT EN MATÉRIAUX BIOSOURCÉS, STRATÉGIE D’ACHAT CIBLÉE, TRI… CES PRATICIENS ONT INTÉGRÉ DES RÉFLEXES ÉCOLOGIQUES À LEUR QUOTIDIEN POUR UN EXERCICE DAVANTAGE RESPECTUEUX DE L’ENVIRONNEMENT. RETOURS D’EXPÉRIENCE.

Certaines cliniques adhèrent à l’association, parfois poussées par des auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV) qui sont motivés par le développement durable ! En fait, au départ, il suffit d’une personne comme cela, et hop, la structure s’engage dans le vert ! », observe Florence May, présidente d’Éco Véto. Créée en 2015, cette association réfléchit à des problématiques environnementales en proposant des solutions pratiques à mettre en œuvre dans les structures vétérinaires. Actuellement, l’association a une trentaine d’adhérents, mais elle compte beaucoup plus de sympathisants qui la contactent régulièrement pour des demandes d’information. Quant à son site internet Ecoveto.org, il regorge déjà de toutes sortes de conseils utiles, pour ceux qui souhaitent entrer ou s’améliorer dans cette voie…

Des freins communs à l’ensemble de la société

« Bien sûr, poursuit Florence May, certaines personnes ne participeront jamais à notre démarche : avant, parce qu’elles n’y croyaient pas. Et aujourd’hui, parce qu’elles pensent qu’il est déjà trop tard et que tout est foutu ! » Heureusement, la voie du milieu semble aussi séduire une partie de la profession. « Je crois notamment beaucoup à l’intérêt de nos jeunes, vétérinaires ou ASV, analyse-t-elle. Certains de nos clients y accordent aussi désormais de l’intérêt. Et puis, on est bien forcés d’avancer : par exemple, je réfléchis actuellement à la manière de réduire ma consommation d’eau. Quand on voit que la saison dernière, même dans les Alpes, il y a eu six mois de sécheresse ! » Cependant, pour Sylvain Bourg, praticien à Tallard (Hautes-Alpes), « le développement durable est encore loin d’être rentré dans les priorités de l’exercice vétérinaire. Les freins qu’on y observe sont communs à ceux présents dans le reste de la société : le vétérinaire manque comme les autres d’une connexion à la nature, il reste dans son entre-soi, en privilégiant toujours une logique économique à court terme. Il y a 15 ans, je me souviens que dans mon école vétérinaire, parler de l’agriculture biologique paraissait farfelu. Personnellement, ce sont des associations qui m’ont sensibilisé à l’écologie. Mais quand je parle environnement à des laboratoires, je vois bien que très souvent, c’est encore pour nombre d’entre eux une considération qui reste la dernière roue du carrosse ! »

Changer les automatismes de comportements…

Les jeunes générations sont-elles plus sensibilisées à l’environnement, à son avis ? « Cela dépend des personnes ». Sylvain Bourg prend un exemple personnel : « Autrefois, on allait jusqu’à placer trois alèses en plastique par animal au fond des cages. Maintenant, on ne met plus qu’une alèse coupée en deux. Et sur les interventions de convenance, on utilise des serviettes éponge lavables. Une fois, j’ai eu une jeune ASV en formation, qui, 15 jours après avoir écouté mes explications, remettait des alèses partout ! Donc, non, la sensibilisation à l’environnement, ce n’est pas qu’une question d’âge. » Même chose pour l’utilisation des machines à laver : « Je refuse qu’on en fasse tourner une avec seulement trois blouses dedans ! La consigne est d’attendre que la machine soit pleine. Notre clinique est ainsi parvenue à économiser une lessive sur trois. » Mais pour y arriver, il a fallu parvenir à changer des automatismes de comportement, souvent bien ancrés… De même, les femmes de ménage peuvent avoir pour consigne de ne vider que les poubelles pleines, pour limiter l’emploi de sacs plastique.

Raisonner ses achats et ses livraisons

Pour sa part, Julien Bobillier, praticien à Delle (Territoire de Belfort), indique d’autres freins ne dépendant pas uniquement du vétérinaire : « Avant, j’habitais une communauté de communes qui avait mis en place une politique de recyclage pour tous les plastiques. Mais comme celle d’ici recycle seulement une infime fraction des emballages plastique, j’essaie de produire moins de déchets à la source. » Sa clinique utilise ainsi des champs opératoires lavables en tissu qu’elle restérilise au moyen d’un autoclave. Et Julien Bobillier de poursuivre : « Je privilégie aussi désormais les centrales d’achat qui proposent des livraisons en caisses consignées plutôt qu’en cartons. Par ailleurs, nous avons réduit notre cadence de livraison. L’objectif initial était de passer d’un rythme de trois livraisons par semaine à une seule. En pratique, nos commandes sont restées un peu plus fréquentes, car une seule livraison représentait un volume trop conséquent à ranger pour nos ASV. Ce n’est pourtant pas un problème de motivation : dans mon équipe, après explications, j’ai la chance que tout le monde se soit mis au développement durable avec enthousiasme ».

Faire pression sur ses fournisseurs

A-t-il rencontré d’autres difficultés dans cette démarche ? « Oui, une fois, avec un fournisseur en biochimie qui conditionnait tout dans d’énormes cartons en polystyrène. Impossible de lui faire reprendre les cartons pour les recycler. Du coup, on a changé de fournisseur de biochimie, en lui en préférant un autre qui nous livre tout en petit conditionnement dans des caisses consignées. » Pour Julien Bobillier, « l’écologie passe par l’apprentissage de quantité d’actes simples à réaliser au quotidien : s’y mettre implique une réflexion préalable, une meilleure organisation puis l’acquisition d’autres gestes réflexes au quotidien. Une fois un nouveau réflexe acquis, ce n’est pas chronophage. » Certes, l’activité vétérinaire continuera toujours à générer quantité de déchets, notamment du fait de sa spécificité médicale. Mais « on peut tout de même améliorer un peu son impact environnemental global, en sélectionnant mieux tant ses consommations que ses fournisseurs. Par exemple, j’essaye d’acheter des aliments et des médicaments fabriqués en France ou en Europe ». Le praticien de Delle conclut avec philosophie : « À chacun d’aller à son propre rythme, en mettant en œuvre ce qu’il est estime être capable de faire. »

À quand des comprimés à l’unité ?

Pour sa part, Bruno Remiot, vétérinaire à Épernay (Marne) a déjà pris l’habitude de « récupérer, à la demande, auprès de sa clientèle, les médicaments périmés. Je leur rembourse aussi ceux qui sont encore utilisables, pour les revendre à d’autres clients. C’est toujours un peu de gaspillage en moins ». Il n’en reste pas moins que bien des questions sont laissées en suspens. Par exemple, interpellent des praticiens, quand sera-t-il enfin autorisé de vendre des médicaments à l’unité, en demandant aux laboratoires de stopper le suremballage en aluminium de certains comprimés ? Le rythme de la transformation constatée semble parfois lent en regard de l’urgence environnementale actuellement en marche.

TÉMOIGNAGE
FLORENCE MAY
Présidente de l’association Éco Véto
Nous avons fait appel à un conseiller en environnement

Avec l’équipe de ma clinique La Yourte vétérinaire, nous sommes par exemple parvenus à n’avoir qu’une livraison par semaine (alors que je sais que dans de grandes villes, certains praticiens se font parfois livrer jusqu’à deux fois par jour). Pourquoi ? D’abord, parce que cela revient moins cher. Ensuite, cela réduit les déchets d’emballage, quand de plus grandes quantités sont expédiées. En revanche, il est vrai que cela exige d’avoir une meilleure gestion des stocks. Par ailleurs, pour le nettoyage et la désinfection, je n’utilise pratiquement plus d’eau de Javel. Par exemple, je désinfecte mes mains à l’alcool, ce qui ne pose aucun problème rémanent pour l’environnement. L’équipe effectue aussi un tri important des déchets. Nos déchets d’activités de soins à risques infectieux (DASRI) et assimilés vont évidemment dans une poubelle spéciale, collectée puis incinérée par la Compagnie des vétérinaires. Mais on trie également tout le reste, comme à la maison (verre, papier, carton, cartouches d’encre, piles, etc.), pour les mettre dans les bacs dédiés de la déchetterie. On essaie aussi de réduire les déchets à la source : certes, on utilise toujours du papier absorbant pour ramasser les excréments, mais nous employons pour beaucoup d’autres tâches ménagères des microfibres et des éponges lavées régulièrement. Pour les échographies, j’emploie de petites lingettes lavables. En bref, nous sommes parvenus à réduire de 80 % l’usage du papier absorbant. On a aussi réduit l’impression de papier : par exemple, la majorité des clients ne veut pas de facture. Un conseiller de l’environnement, non-vétérinaire, après un audit de trois jours dans notre clinique, nous a utilement conseillés pour nombre de ces changements. Enfin, notre association vient de lancer une campagne de tri des plastiques dans les cliniques1.

1. Voir La Semaine Vétérinaire n° 1824 du 4/10/2019, page 14.

TÉMOIGNAGE
LAURENT PLANTIER
Vétérinaire à Dolus-d’Oléron (Charente-Maritime)
Une extension de cabinet en matériaux biosourcés

J’ai décidé de faire bâtir une extension de mon cabinet actuel. Pour ce faire, j’ai choisi une ossature en bois, plus une isolation des murs avec un mélange chaux-chanvre (photos pages 36 et 37). J’en suis très content, notamment parce que même durant la canicule, je n’ai pas besoin de climatisation. Ma propre demeure avait déjà été construite ainsi, par une entreprise spécialisée. Je trouve qu’un tel choix de réalisation permet aussi d’obtenir une atmosphère plus chaleureuse, doublée d’une bonne performance acoustique : ça ne résonne pas… Par ailleurs, sont ainsi employés des matériaux dits « biosourcés »1, dont l’origine géographique se situe à moins de 300 km de mon domicile. Certes, j’ai personnellement eu un coût à la construction supplémentaire, de l’ordre d’environ 20 %. Mais je vais progressivement le récupérer, grâce à des économies d’énergie. Actuellement, par exemple, je chauffe 130 m2 avec un poêle de masse, ce qui donne un coût de chauffage chez moi équivalent à environ quatre stères de bois, soit environ seulement 300 € par an ! Pour sa journée consacrée à l’écoconstruction, la communauté de communes de Saint-Pierre d’Oléron a organisé une visite de ma clinique. Je ne comprends cependant pas pourquoi ce modèle n’est pas nationalement davantage encouragé.

1. En écoconstruction, la paille, le bois, le chanvre et la balle de riz sont des matériaux dits biosourcés, en comparaison des matériaux dits conventionnels (ciment, laine minérale, polystyrène, métaux, etc.). De telles solutions de construction permettent de stocker du carbone au lieu d’en émettre, et sont produites avec des ressources naturelles renouvelables (avec une utilisation faible ou nulle d’intrants chimiques). La France a aussi la chance d’en disposer, étant détentrice de la quatrième forêt d’Europe, le deuxième pays producteur de chanvre dans le monde, le premier producteur de lin fibre dans le monde et le premier producteur de paille de céréales en Europe… La réglementation concernant ces nouveaux modèles de construction est encore en évolution (avec notamment pour enjeu de parvenir à mieux les valoriser dans la future réglementation environnementale RE 2020), mais les filières d’écoconstruction sont désormais bien structurées. Par exemple, existent déjà le Collectif des filières biosourcées du bâtiment (CF2B), l’Association des industriels de la construction biosourcée (AICB) ou la Confédération de la construction en terre crue (CCTC).

TÉMOIGNAGE
SOPHIE LE DRÉAN-QUÉNEC’HDU (N 93)
Vétérinaire canine, docteure en biologie, adjointe à l’environnement à Melesse (Ille-et-Vilaine)
L’ensemble de la profession travaille déjà sur ces questions

En qualité de présidente de la commission environnement et faune sauvage de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), je rappelle que, durant notre congrès de 2018, nous avions tenu un atelier justement sur ce thème, « Ma clinique écologique », afin de nous pencher sur l’impact de nos pratiques sur l’environnement. J’insiste aussi pour dire que le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), l’Ordre et l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) sont des organisations qui travaillent sur cette prise en compte de l’environnement en général, et de la biodiversité en particulier, dans la gestion des cliniques et de notre activité au quotidien…

Dans le futur, en collaboration avec la commission de parasitologie, nous désirons, par exemple, travailler sur les conséquences pour la microfaune du sol de l’utilisation d’antiparasitaires sur nos animaux domestiques. Il reste aussi quantité d’autres champs à explorer dans d’autres domaines. Par exemple, en activité rurale, s’il y a déjà beaucoup de récupération de déchets de soins des éleveurs, il semble plus compliqué d’organiser la collecte d’autres éléments, comme les flacons de traitement de mammites, et surtout les grands encombrants… Tout le monde y réfléchit déjà, car il faudrait décider qui fait quoi, notamment entre le vendeur vétérinaire et le producteur fabriquant.

Pour en savoir plus :

- « Bonnes pratiques de gestion de déchets des soins », La Semaine Vétérinaire n° 1724 du 17/6/2017, pages 42 et 43.

- L’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) a publié en 2019 un document sur la gestion des déchets vétérinaires : www.bit.ly/2VYrNpk.

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