LE MAINTIEN DU LIEN HOMME-ANIMAL AU CŒUR DE LA MÉDECINE SOLIDAIRE - La Semaine Vétérinaire n° 1844 du 06/03/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1844 du 06/03/2020

SOCIÉTÉ

ANALYSE

Auteur(s) : LORENZA RICHARD

Estelle Prietz-Ducasse et Claude Paolino, respectivement responsable de la commission protection animale et membre du groupe de travail sur la médecine solidaire du CNOV, nous font part des perspectives d’implication de la profession en médecine solidaire.

Le rôle social et solidaire du vétérinaire a été mis en avant lors de la Journée nationale vétérinaire du 6 février. Pour Estelle Prietz-Ducasse, responsable de la commission protection animale du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), « les vétérinaires jouent déjà un rôle social important au quotidien, depuis longtemps, et sans reconnaissance, en protection animale comme dans la prise en compte des difficultés de certains clients ». Les vétérinaires consacreraient en effet entre 1 et 5 % de leur chiffre d’affaires1 aux personnes démunies, par exemple en donnant des aliments ou en réduisant les prix de certains actes. Ils ont également permis à des personnes de rester dignes, notamment à travers des initiatives comme Vétérinaires pour tous (VPT ; encadré page 9). « Il conviendrait ainsi de reconnaître les efforts que les vétérinaires réalisent déjà tous les jours, et de les valoriser. On ne peut pas faire de protection animale sans vétérinaire », ajoute notre consœur.

En complément des services sociaux

Le vétérinaire devrait intervenir en concertation et en complément du travail des services sociaux qui sont les professionnels qui orientent les personnes démunies. Il est un maillon indispensable de la prise en charge sociale de ces personnes, mais il n’en est pas le coordinateur. Il répond ainsi à la demande sociétale de préservation de ce lien en tant que soignant, les associations de protection animale étant garantes de la gestion organisationnelle des animaux.

En effet, les choses ont évolué pour la médecine solidaire. En donnant un accès aux soins aux animaux de personnes démunies, âgées ou sans domicile fixe, il ne s’agit plus désormais d’agir sur la seule protection animale, mais de permettre aux personnes de maintenir le lien avec leur animal, facteur d’équilibre social et relationnel. La région Île-de-France a contacté le CNOV et le conseil régional de l’Ordre des vétérinaires d’Île-de-France, pour échanger sur la façon d’agir dans ce sens. Parmi les axes prioritaires de réflexion de la commission protection animale, l’accès aux soins fait l’objet d’un groupe de travail. Ce groupe va rédiger un document de synthèse et des questions qui seront présentés au Comité d’éthique animal, environnement, santé en juin 2020. Ce dernier rendra son avis sur le rôle de chacun en médecine solidaire en 2021. « Les gens ne voient pas toujours tous les aspects de notre métier, notamment concernant la protection des animaux et des populations, et les mairies ne s’adressent pas aux vétérinaires pour les problèmes liés aux animaux », déplore Claude Paolino, membre du groupe de travail sur la médecine solidaire du CNOV. Pour lui, les collectivités devraient impliquer la profession dans leurs réflexions au sujet des animaux errants, des fourrières, de la place de l’animal en ville, etc. « Il convient de placer le vétérinaire dans la société et dans une position centrale dans le One Health », affirme notre confrère.

Se former au droit animal

Pour cela, Estelle Prietz-Ducasse et Claude Paolino, diplômés en droit de la protection animale depuis 20192, conseillent aux vétérinaires de se former au droit animal. Claude Paolino rappelle qu’en France, « il n’existe pas de code de l’animal qui permette une vision globale du droit animalier, mais des textes répartis dans plusieurs codes différents. La méconnaissance de ces textes, y compris par certains maires, entraîne leur non-application, et cela nuit à la protection animale ». « Connaître les textes de loi et s’y référer dépassionne les débats car chacun connaît son rôle », ajoute Estelle Prietz-Ducasse. Les vétérinaires doivent également être conscients des conséquences de la non-application des textes, par exemple en cas de non-identification d’un animal. « S’informer sur la réglementation donne au praticien des arguments efficaces pour expliquer au propriétaire le rôle protecteur des lois, les bénéfices qui peuvent être tirés d’une contrainte. Cela lui permet de se forger l’image d’un conseiller pertinent concernant la protection animale, auprès des clients comme des collectivités », conclut notre consœur.

1. Voir La Semaine Vétérinaire n° 1841 du 14/2/2020, page 11.

2. Diplôme d’établissement “protection animale : de la science au droit” (DE PASD), ENSV-VetAgro Sup. www.bit.ly/2ThuKze.

Paolino C. Un maillage territorial vétérinaire de protection et de bien-être animal pour animaux de compagnie (chiens et chats). Aspects réglementaires. Mémoire pour l’obtention du DE PASD. ENSV-VetAgro Sup. 2019:49p.

Prietz-Ducasse E. Un fonds de dotation vétérinaire : aspects déontologiques et réglementaires. Mémoire pour l’obtention du DE PASD. ENSV-VetAgro Sup. 2019:32p.

Commission protection animale

La commission protection animale de l’Ordre des vétérinaires est née en 2015 sous l’impulsion de Ghislaine Jançon, au moment du changement de Code de déontologie. Appelée d’abord commission éthique animale, elle est ensuite devenue la commission bien-être animal, avant de prendre son nom actuel en janvier 2020.

Relancer Vétérinaires pour tous

La profession vétérinaire semble prête à relancer l’activité de Vétérinaires pour tous (VPT), née dans le Var en 1994, et la commission protection animale l’envisage également. « L’idée était de créer une association de vétérinaires du Var pour développer un dispensaire de soins réparti entre les structures vétérinaires ayant une volonté d’aide sociale et de protection des animaux », explique Claude Paolino, cofondateur de VPT 83, avec Serge Tailliar et Claude Beata, et ex-président de VPT France, avec Erol Cavdar comme secrétaire. VPT avait deux buts principaux : apporter des soins totalement gratuits aux animaux des personnes démunies et stériliser la population féline libre.

Entre 80 et 100 structures ont adhéré rapidement. Les soins d’animaux des personnes démunies étaient pris en charge par VPT après l’étude de leur dossier par une commission de vétérinaires, si le demandeur était dans le besoin, si les soins étaient raisonnables, et pour un nombre limité d’animaux par personne, par équité budgétaire. Les vétérinaires étaient défrayés par l’association à hauteur de 70 % des frais TTC. VPT avait également une vocation de formation auprès des associations de protection animale.

Une trentaine de départements ont repris l’idée, ce qui a abouti à la création de VPT France.

« Les vétérinaires ont fait de gros efforts, constate Claude Paolino. Ils n’étaient pas défrayés davantage pour une ovario-hystérectomie de chatte libre gravide que pour une ovariectomie, ils devaient gérer des chats sauvages et ils accueillaient les personnes en difficulté dignement, en même temps que les autres clients. »

En 2004, le conseil général du Var a été attaqué au tribunal administratif pour avoir octroyé des subventions à VPT. En effet, les aides auraient dû provenir des mairies pour les animaux errants et de l’aide sociale pour les personnes démunies. L’association VPT-83 a ainsi été victime, par ricochet, de ce procès, qui portait sur la forme et non le fond. Cela a créé une crainte pour les autres VPT qui, progressivement, ont stoppé leur activité.

Cependant, quelques VPT existeraient encore sans financement extérieur, ou seraient en dormance. L’idée serait de recenser toutes les activités associatives vétérinaires qui œuvrent en médecine solidaire et de définir un nouveau modèle global. Projet à suivre…

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