MARINA GOVOROUN : « AMÉLIORER LES TECHNIQUES EN UN AN ME PARAÎT DIFFICILE » - La Semaine Vétérinaire n° 1843 du 28/02/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1843 du 28/02/2020

SEXAGE IN OVO

PRATIQUE MIXTE

ANALYSE

Auteur(s) : TANIT HALFON

Le sexage des embryons de poules dans l’œuf à une échelle industrielle poserait encore des problèmes techniques et économiques, selon une chercheuse de l’INRAE.

En janvier, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Didier Guillaume, a annoncé un partenariat avec l’Allemagne pour développer des méthodes alternatives au broyage des poussins. Avec un engagement commun : mettre fin à cette pratique d’ici fin 2021. Marina Govoroun, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), qui a travaillé sur cette question, fait le point sur la faisabilité technique du sexage in ovo.

Les annonces faites par le ministre de l’Agriculture sont-elles crédibles ?

Je suis très sceptique. Par exemple, après quatre ans de travail, les résultats du projet français de sexage in ovo Soo ne sont pas assez prometteurs, que ce soit pour la précision de la technique et sa rapidité. De nombreuses méthodes de sexage sont en cours d’élaboration, des brevets ont été déposés, mais aucune n’a encore été jusqu’à la production industrielle des œufs sexés, excepté la méthode allemande, déjà implantée à petite échelle. Néanmoins, les retours de terrain que j’en ai ne sont pas tous positifs quant à sa précision. De plus, avec 5 000 œufs “sexés” par heure, la vitesse de sexage s’avère cinq à six fois moins rapide que ce qu’il faudrait pour une généralisation à l’ensemble des filières avicoles. Outre la nécessité d’adapter le procédé conçu dans un laboratoire au couvoir industriel, un autre paramètre s’ajoute : la variabilité des œufs augmente. La provenance des œufs, leur couleur, leur taille, le temps du stockage avant la mise en incubation, la variabilité génétique, tous ces facteurs peuvent influer plus ou moins sur les valeurs des paramètres utilisés selon la méthode du sexage, et faire baisser sa précision. L’idéal serait de procéder à une analyse génétique, fondée sur une analyse par polymerase chain reaction (PCR), qui peut être assez précoce et très précise, mais cette technique reste compliquée, à l’heure actuelle, à implémenter dans l’industrie.

Outre les aspects techniques, le sexage in ovo est-il viable économiquement ?

Le cahier des charges des éleveurs de poules pondeuses est assez précis : nombre de places pour les animaux, quantité de nourriture, nombre d’œufs pondus attendus… Il intègre une marge acceptable d’erreur, car par exemple des mutations génétiques peuvent modifier le sexe d’un animal. En cas de dépassement, il y aura forcément des pertes économiques. De plus le manque en vitesse du sexage va diminuer inévitablement la production d’œufs de poules pondeuses à l’échelle du pays et donc la production d’œufs de consommation. Pour qu’un procédé de sexage in ovo soit rentable, il faut atteindre une précision minimum de 98,5 %, voire plus. Dans ce contexte, envisager une nette amélioration des techniques en une seule année me paraît difficile à imaginer. Sauf à imposer à la filière un procédé non rentable pour les producteurs, ce qui risque de se répercuter sur le prix final au consommateur. À ce stade, je ne vois pas comment on peut tenir cette promesse sans franchir ce pas. Par ailleurs, n’oublions pas qu’il faut aussi disposer d’un temps suffisant de conception, de tests et de production des équipements de sexage pour chaque couvoir de France. Ou bien, il sera envisagé de centraliser la production ; encore faut-il que la filière l’accepte.

Didier Guillaume a indiqué qu’il y aurait un appel à projet en 2020 d’un montant de 300 000 € pour tester les solutions alternatives. Ce montant sera-t-il suffisant pour avancer ?

En se fondant sur les exemples des projets du sexage financés dans les différents pays ces dernières années, les sommes allouées par projet allaient de 600 000 à 4,5 millions d’euros dans le cas du projet Soo. Fin 2019, les six gagnants de l’appel à projets Egg Tech, lancé par la Foundation for Food and Agriculture Research (FFAR) et Open Philanthropy Project, ont obtenu les financements, allant de 250 000 à 650 000 $ par projet ne serait-ce que pour la première phase et en tant que compléments aux financements déjà acquis au préalable pour ces projets. Dans ce contexte, le montant annoncé de 300 000 € paraît très sous-estimé.

MARINA GOVOROUN Chercheuse à l’INRAE
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