DÉSERTS VÉTÉRINAIRES : OPÉRATION URGENTE ! - La Semaine Vétérinaire n° 1843 du 28/02/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1843 du 28/02/2020

TERRITOIRES RURAUX

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : MYLÈNE PANIZO

La fragilité du maillage vétérinaire en zone rurale est une préoccupation majeure. De nombreuses propositions ont été formulées lors de la Journée nationale vétérinaire, révélant une crainte et une attente considérables.

Les acteurs de la profession et leurs partenaires se sont réunis autour d’une table ronde lors de la Journée nationale vétérinaire, organisée à Paris le 6 février, dont le thème était l’accès aux soins vétérinaires dans les territoires ruraux. La fragilité du maillage vétérinaire en zone rurale est une préoccupation majeure et croissante, partagée par tous (vétérinaires, éleveurs, citoyens des zones rurales, élus locaux, etc.), qui a donné lieu à de nombreux échanges et propositions.

Une situation parfois gravissime

L’Atlas démographique de la profession vétérinaire et l’Observatoire national démographique de la profession vétérinaire permettent de constater la diminution du nombre de praticiens exerçant la médecine rurale, tendance qui devrait s’aggraver dans le futur. Sur 18 548 vétérinaires inscrits à l’Ordre en 2019, 6 546 déclarent une compétence pour les animaux de rente. Ce sont près de 430 vétérinaires ayant une activité rurale en moins sur les quatre dernières années. En parallèle, une diminution de 10 % en cinq ans du nombre d’animaux d’élevage est constatée. La répartition des praticiens sur le territoire est très inégale. Les régions à forte densité d’élevage, dont la Bretagne et le Limousin, attirent encore les vétérinaires souhaitant exercer la médecine des animaux de rente. Le problème est gravissime dans certains territoires, parfois très vastes, à faible densité d’élevage, dont la Dordogne, l’Oise, le Lot-et-Garonne, l’Aude, le Nord de la Bourgogne, les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) et Centre. L’impact économique pour l’élevage français est faible, car cela représente un petit nombre d’animaux, mais c’est une catastrophe sur le plan humain, l’isolement des éleveurs et des praticiens ne faisant que s’accentuer. Le député du Lot-et-Garonne, Olivier Damaisin, a alerté l’auditoire sur la détresse des éleveurs. Dans son département, deux vétérinaires ont arrêté leur activité rurale, impactant ainsi 160 élevages du département.

De multiples causes de désertification

Matthieu Mourou, praticien mixte et président du conseil régional de l’Ordre des vétérinaires de Nouvelle-Aquitaine, a expliqué les difficultés du vétérinaire rural dans des zones à faible densité d’élevage. Il rappelle que le vétérinaire, en tant que chef d’entreprise, doit assurer un équilibre financier de sa structure. Les actes de soins purs en rural ne sont pas rentables, notamment en raison de longs trajets en voiture, ce qui impacte fortement les structures vétérinaires dont l’activité rurale est minoritaire. La rurale apparaît alors être un frein au développement de l’activité canine, beaucoup plus rentable économiquement et dont le marché s’accroît chaque année. Le devoir d’assurer la permanence et la continuité des soins représente, pour la plupart des vétérinaires ruraux, une contrainte, une source de stress et de fatigue avec des conséquences sur leur santé et leur vie privée. Les difficultés de recrutement sont également au cœur des préoccupations. Bien que la jeune génération conserve les mêmes valeurs que leurs aînés, leurs priorités sont différentes, avec une attente plus importante d’un équilibre entre vie privée et vie professionnelle. L’application du droit du travail aux salariés dans le cadre des urgences est une difficulté supplémentaire pour les praticiens libéraux. Les vétérinaires regrettent également qu’ils soient de moins en moins présents au sein des élevages, étant appelés parfois uniquement pour des urgences. Marianne Dutoit, représentant la FNSEA1, a exposé les contraintes (réglementaires, climatiques, administratives) que subissent les éleveurs, entraînant des difficultés économiques qui les obligent à limiter les visites vétérinaires. L’augmentation des compétences des éleveurs et l’appel à des prestataires externes expliquent aussi ce phénomène. Par ailleurs, le praticien rural déplore des activités chronophages l’éloignant de son cœur de métier, telles que la gestion de la partie administrative et les contraintes réglementaires. Outre les difficultés spécifiques du métier de vétérinaire, les freins à l’installation en rurale résultent d’autres facteurs, tels que le manque de services publics, l’absence de couverture numérique et l’isolement.

Un appel à une prise de conscience des politiques

Face à un constat déjà bien établi, la profession appelle à une prise de conscience des politiques afin de soutenir des actions concrètes. Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques au Sénat, Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, ainsi qu’Isabelle Chmitelin, directrice du cabinet du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, sont intervenues au cours de cette Journée nationale vétérinaire, elles assurent avoir entendu l’appel des vétérinaires. La loi 3D2 et l’“agenda rural”, contiennent des dispositions relatives à la “lutte contre les déserts vétérinaires”. Le nombre d’étudiants en école vétérinaire a augmenté de 35 % en 8 ans. Pour les attirer à la médecine des animaux de rente, les stages tutorés en milieu rural seront poursuivis, car ils sont une réussite (85 % des stagiaires ont choisi d’exercer en production animale à l’issue de leurs études). La diversification des profils des étudiants et la réduction de la durée des études sont les deux objectifs du gouvernement qui ont déjà été concrétisés, avec l’annonce, en décembre 2019, d’une nouvelle voie d’accès post-bac à une année de cycle préparatoire, intégrée aux écoles vétérinaires, dès la rentrée 2021.

Des mesures incitatives à l’installation de vétérinaires en zone rurale sont à l’étude (financement, logement à disposition, etc.), car le cadre juridique actuel en limite les possibilités. La défiscalisation de certains actes, la prise en charge des frais de transports, et la revalorisation des missions régaliennes assurées par les vétérinaires sont également des pistes de réflexion. Une contractualisation entre vétérinaires et éleveurs, pouvant éventuellement inclure les collectivités territoriales, est un axe de travail majeur. Elle serait à adapter à chaque bassin de vie, car les territoires ne disposent pas des mêmes contraintes.

Une réglementation sur la télémédecine, le regroupement des urgences dans des structures réservées à cet effet, la création de maisons de santé (partagées avec d’autres professionnels, avec une gestion administrative commune), la délégation d’actes aux auxiliaires vétérinaires, sont autant de sujets qui ont été abordés. D’autres propositions ont été évoquées dont le développement de nouvelles activités rémunératrices pour les vétérinaires ruraux : certification sur le bien-être animal, accompagnement des éleveurs pour les aider dans les transitions réglementaires (comme l’interdiction en 2021 de la castration à vif des porcelets), activités de consulting, ou encore l’évaluation de l’hygiène des circuits courts. La question d’élargir le mandat sanitaire à de nouveaux domaines, dont le bien-être animal, a été posée. La FNSEA interpelle également les pouvoirs publics pour redévelopper de l’économie dans les élevages. Les territoires ruraux doivent aussi retrouver une attractivité globale (présence de services publics, couverture numérique, etc.).

Il ressort de cette table ronde qu’il est urgent d’agir collectivement, pour construire un avenir commun. Soigner, protéger, sécuriser, préserver est le quotidien des vétérinaires, qui sont capables de s’adapter à l’évolution des territoires et des citoyens, mais qui ne pourront pas agir seuls pour redonner vie aux territoires ruraux.

1. Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles.

2. Décentralisation, différenciation et déconcentration.

DES ACTEURS INDISPENSABLES AUX TERRITOIRES RURAUX

La présence du vétérinaire est indispensable en zone rurale. Il est un interlocuteur unique, au carrefour des trois santés : animale, humaine et environnementale. Acteur de la santé publique, il est le garant de la sécurité sanitaire des aliments et de la prévention des zoonoses. Sa présence sur le terrain permet de réagir efficacement en cas de crise sanitaire. Il participe à la lutte contre l’antibiorésistance (l’efficacité du plan écoAntibio a d’ailleurs été soulignée lors de la Journée nationale vétérinaire). Les vétérinaires ont un rôle irremplaçable pour le maintien de l’élevage français, et participent à l’attractivité d’un territoire. Ils contribuent aussi à la préservation de l’environnement (protection de la biodiversité, gestion des risques liés aux espèces envahissantes, gestion des résidus de médicaments dans l’environnement, etc.).

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr