LA VACCINATION : MYTHES ET RÉALITÉS - La Semaine Vétérinaire n° 1842 du 21/02/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1842 du 21/02/2020

DOSSIER

Auteur(s) : SYLVAIN MOGGIA

LA VACCINATION EST UN DES PILIERS DE LA MÉDECINE PRÉVENTIVE, HUMAINE COMME ANIMALE : SELON L’OMS, 2 À 3 MILLIONS DE VIES SONT SAUVÉES CHAQUE ANNÉE PAR CET ACTE ÉLÉMENTAIRE. POURTANT, DE NOUVELLES CRAINTES ET DE NOMBREUX A PRIORI SONT APPARUS CES DERNIÈRES ANNÉES SUR LE VACCIN, REMETTANT EN CAUSE LA CONFIANCE QUE L’ON CROYAIT ACQUISE SUR SON INNOCUITÉ.

Au pays de Pasteur, le créateur, force est de constater que la vaccination ne fait plus l’unanimité. Toutes les études récentes confirment l’impression ressentie par les professionnels de la santé d’une défiance croissante de la population française envers cet acte qui était pourtant devenu un rituel. À la maternelle, à l’école, au service militaire, au dispensaire ou chez le médecin de famille, par scarification ou par injection… nous avons tous des souvenirs de cet acte thérapeutique (et de la cicatrice qui va avec), avec ou sans peur, mais toujours sans reproches. Car il s’agissait là de se protéger en protégeant les autres. Et ça a réussi au-delà de ce que prévoyaient les anciens : maladies éradiquées (variole), affections devenues rarissimes (tétanos, poliomyélite, diphtérie), épidémies enrayées (rage), maladie de Carré et hépatite de Rubarth quasiment reléguées au rang de souvenirs. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’entre 2 et 3 millions de vies sont sauvées chaque année par cet acte élémentaire.

Mais, de la même façon que la terre redevient plate, l’injection salvatrice se transforme en un « empoisonnement organisé », une « intoxication préméditée », une sorte de « complot médical » ourdit par des « multinationales infernales », estiment certains de ses détracteurs.

Car il s’agit bien là de croyances. Les reproches haineux adressés aux vaccins sont de cette sorte. Ils sont donc les plus difficiles à contrer. La mission des vétérinaires, puisqu’ils doivent l’accepter, est de rétablir la vérité et de transmettre les bonnes informations dans une pratique raisonnée.

Ils ont les armes de la réalité chiffrée et des faits probants : les effets indésirables, inhérents à cette pratique, sont très rares et nos animaux domestiques vivent mieux et plus longtemps !

État des lieux

Partout en Europe, la couverture vaccinale se réduit. La France est même en tête de ce phénomène inquiétant (d’après l’étude internationale du Vaccine Confidence Project du 9 septembre 2016 sur le site de la revue EBioMedecine). Une immunité collective permettant un contrôle satisfaisant d’une maladie nécessite une couverture vaccinale atteignant 70 à 95 % de la population concernée. C’est loin d’être le cas chez les animaux domestiques, sauf pour les chevaux (SIMV).

Vaccination des chiens et des chats

Entre 41 à 57 % des chiens sont vaccinés pour les valences “classiques”, ce qui représente une couverture très moyenne, elle devrait être améliorée (figure 1). Les chats sont encore moins protégés : 18 à 23 % pour les valences du même type, ce qui est largement insuffisant, tant sur le plan individuel que collectif (figure 2).

Vaccination des chevaux

Le pourcentage de chevaux vacciné est de 71 % pour le tétanos et de 60 % pour la grippe, ce qui permet une bonne couverture (de 0,02 à 25 % pour les autres valences) (figure 3).

Vaccination des animaux de rente

Les couvertures sont très variables en fonction des agents visés. Par ailleurs, certaines vaccinations sont obligatoires ou imposées de fait par les nécessités commerciales. De toute façon, les considérations psychologiques qui sous-tendent la crainte vaccinale n’ont (heureusement) pas encore cours dans ces domaines d’activité. Ce n’est pas le sujet de cet article.

Réalités

Effets indésirables rapportés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) pour les chiens

Une étude rétrospective sur cinq ans (de 2012 à fin 2016) a permis de quantifier le type et la fréquence des effets indésirables graves consécutifs à une vaccination chez le chien1. La fréquence est estimée à environ 1 cas pour 33 000 individus vaccinés. Les plus retrouvés, de loin, sont les réactions d’hypersensibilité (HS) de type I, notamment anaphylactique. Mais elles demeurent très rares, avec des taux d’incidence en général inférieurs à 0,5 pour 10 000 doses vaccinales (seul le Canileish atteint 2,2, ce qui suggère une allergénicité plus marquée) (figure 4). Il est à noter que certaines races de petit gabarit semblent plus exposées à ce type de réaction, ainsi que les individus jeunes (figures 5 et 6). Les autres effets sont rares (moins de 10 sur 10 000) à très rares (moins de 1 sur 10 000) et le plus souvent bénins.

Effets indésirables rapportés par l’Anses pour les chats

Une autre étude rétrospective sur cinq ans (de 2014 à fin 2018) a permis de quantifier le type et la fréquence des effets indésirables graves consécutifs à une vaccination chez le chat. La fréquence moyenne estimée est d’environ 1 cas pour 50 000 individus vaccinés (figure 7). Les plus fréquents, de loin, sont des réactions non spécifiques (RNS ; 0,060 cas pour 10 000 doses) et une HS de type I (0,049 pour 10 000). Le taux d’incidence maximale est de moins de 2,5 cas pour 10 000 doses avec le Nobivac Tricat trio, suivi du Purevax RC (1,25/10 000) et du Leukocell 2 (1/10 000), les autres valences ne dépassant pas 0,7 sur 10 000 (figure 8). Par ailleurs, le nombre de valences injectées simultanément présente un impact significatif sur l’occurrence des réactions d’HS et des RNS (qui restent rares). Étant donné les rumeurs polémiques concernant ce sujet, il est important de préciser que le taux d’incidence du sarcome félin au site d’injection serait de 1 sur 2 866 342. Anecdotique !

Effets indésirables rapportés par l’Anses pour les chevaux

Pour les chevaux, l’étude rétrospective s’est étalée sur trois ans (de 2016 à fin 2018). La fréquence moyenne estimée est d’environ 1 cas pour 9 000 individus vaccinés. Cela peut paraître élevé en comparaison des autres espèces, mais il s’agit à 61 % de réactions locales au site d’injection. Ce phénomène est bien connu dans cette espèce, les propriétaires (donc le vétérinaire) y sont naturellement plus sensibles pour des raisons évidentes d’utilisation (et de conséquences financières). Ainsi, la fréquence moyenne estimée pour les effets indésirables graves hors réactions locales pourrait être voisine de 1 sur 23 000. L’incidence des effets indésirables n’a pas été rapportée aux nombres de doses totales. Elle est spécifiée rare pour quatre vaccins et très rare pour les huit autres mentionnés (tableau page 30).

Manque d’efficacité

Il n’existe pas de médicament pouvant revendiquer une efficacité atteignant 100 %, les vaccins en font partie. L’efficacité vaccinale résulte de l’interaction entre le produit et le système immunitaire. Elle dépend de nombreux facteurs. Certains sont inhérents au vaccin lui-même et sont en général bien connus du fabricant et communiqués. D’autres sont liés à l’administrateur avec les aléas que cela implique : mauvaise conservation, injection par une voie inappropriée, présence de désinfectant sur le site, contre-indication non respectée, etc. D’autres, enfin, sont liés à l’animal : jeune âge associé à la persistance d’anticorps maternels, individu immunodéprimé ou en mauvais état général, infection sous-jacente, facteurs génétiques, etc. Ainsi, malgré la réalisation d’un protocole vaccinal correct, certains individus ne répondent pas à la vaccination. Quoi qu’il en soit, dans les trois études relatées, ce défaut s’est toujours révélé rare ou très rare.

Bilan

Ces résultats prouvent que les risques des vaccins dans ces trois espèces sont dérisoires par rapport à leurs bénéfices. C’est maintenant un fait établi et chiffré. Pour des médicaments, qui présentent intrinsèquement ce genre d’inconvénient, cet argument est un atout considérable pour une promotion la plus large possible. De plus, la connaissance et l’incidence précises des effets indésirables graves observés lors de vaccinations permettent d’identifier les potentiels facteurs de risque. Leur maîtrise permet d’améliorer la pratique, de l’élaboration du protocole au suivi.

1. Voir Le Point Vétérinaire n° 390 de novembre 2018.

2. Voir Le Point Vétérinaire n° 404 à paraître en avril 2020.

Les remarques sur les vaccins « qui rendent malades » sont de plus en plus rares

TÉMOIGNAGE XAVIER D’ABLON (A 85)

Vétérinaire équin à Deauville (Calvados)

Au risque de paraître béatement optimiste, je pense que l’image de la vaccination dans le monde du cheval s’est sensiblement améliorée. Pour preuve la véritable inquiétude générée par la rupture commerciale du vaccin rhinopneumonie, en 2015 et 2016. Les remarques sur les vaccins « qui rendent malades » ou « qui font avorter » se font de plus en plus rares. Les récentes épizooties de grippe équine et de rhinopneumonie, ont été fortement médiatisées. Cela participe à la prise de conscience de l’intérêt de cet acte. Le taux de chevaux vaccinés en France est d’ailleurs bien supérieur à certains pays voisins. L’obligation réglementaire par les stud-books, fédérations ou autres Code des courses clôt souvent le débat. Sur le terrain, ce sont les réactions locales, relativement fréquentes, rarement graves, qui sont parfois l’objet de discussions et d’inquiétudes de la part des propriétaires.

Compte tenu de l’enjeu de santé publique, tous les acteurs doivent se mobiliser

TÉMOIGNAGE SÉVERINE BOULLIER (A 92)

Professeure en immunologie à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (Haute-Garonne)

On a tendance à penser que le scepticisme vis-à-vis de la vaccination est un phénomène récent. En fait, il a toujours existé. Il est apparu en même temps que le premier vaccin humain : celui contre la variole à la fin du xviiie siècle.

Cette défiance est liée à une perception très individuelle et intuitive de la balance bénéfice/risque, rarement fondée sur des données scientifiques. Elle est également associée à un rejet de l’autorité des pouvoirs publics et à une méfiance à l’égard de l’impartialité des autorités sanitaires et des experts. À l’heure actuelle, ce questionnement est relayé et amplifié par les nouveaux moyens de communication. Les réseaux sociaux sont des outils de diffusion très efficaces des croyances et des rumeurs qui n’ont aucun fondement scientifique.

Sachant que la confiance envers les institutions est très longue à se mettre en place mais très facile à défaire, il est évident que la défiance vaccinale a de beaux jours devant elle. Compte tenu de l’enjeu de santé publique, tous les acteurs du domaine doivent se mobiliser et avoir un discours cohérent, rigoureux et transparent sur sa balance bénéfice/risque.

Le sentiment antivaccin reste globalement limité

TÉMOIGNAGE JACQUES BIETRIX (L 04)

Vétérinaire canin et apicole à Valence (Drome)

Dans ma pratique quotidienne de petite ville, mon ressenti est que ce sentiment antivaccin reste globalement limité. Nous avons, comme beaucoup, fait évoluer nos protocoles vaccinaux, en lien avec les dernières modifications d’autorisations de mise sur le marché (AMM) et les recommandations de l’Association vétérinaire mondiale pour les animaux de compagnie (WSAVA). Le fait de sortir du schéma de vaccination annuelle multivalence systématique pour tous, et de proposer des protocoles plus adaptés à chaque animal en fonction de son mode de vie et de la situation épidémiologique locale, nous permet d’obtenir une bonne adhésion des propriétaires. De même, anticiper les effets indésirables en les expliquant et en donnant une notion de leur fréquence, fondée sur des données de pharmacovigilances objectives, permet de renforcer leur confiance dans le vaccin.

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