ADÉQUATION DE LA RATION AU FONCTIONNEMENT DU MICROBIOTE RUMINAL - La Semaine Vétérinaire n° 1842 du 21/02/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1842 du 21/02/2020

BOVINS

PRATIQUE MIXTE

FORMATION

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

CONFÉRENCIERS

FRANCIS ENJALBERT, professeur nutrition-alimentation, ENVT • ANNABELLE MEYNADIER, maître de conférences en alimentation, ENVT. Article rédigé d’après des conférences présentées lors des journées des GTV du 15 au 17 mai.

Le microbiote digestif joue un rôle central dans la santé des bovins et il conditionne directement leur production, en quantité et en qualité. En e et, l’étude de Gleason et White (2018), qui repose sur une méta-analyse des données bibliographiques disponibles, montre que le microbiote ruminal est un paramètre très fortement associé aux performances des animaux. D’ailleurs, les relations entre le microbiote ruminal et l’efficacité alimentaire, la production laitière, la composition du lait et la sensibilité à l’acidose ruminale chez les bovins, mais aussi avec les émissions de méthane chez les bovins et les ovins, ont déjà été démontrées. Ce rôle fondamental des micro-organismes ruminaux s’explique notamment par leur implication dans le méta bolisme énergétique des ruminants1. Il s’agit d’une véritable relation de symbiose entre le microbiote et son hôte.

Une population diversifiée

Au niveau du rumen, le microbiote est diversifié. Un peu plus de la moitié de la biomasse microbienne présente est constituée de bactéries. On distingue les bactéries fibrolytiques (Fibrobacter succino genes, Ruminococcus albus, Ruminococcus flavefaciens et Butyrivibrio fibrisolvens), qui se développent mieux à un pH supérieur ou égal à 6,5, et les principales espèces amylo lytiques (Streptococcus bovis, Ruminobacter amylophilus, Succinomonas amylolytica, Selenomonas ruminantium et Prevotella ruminicola), qui préfèrent des pH inférieurs à 6. La population d’archées ruminales est, quant à elle, peu abondante et peu diversifiée. Enfin, les eucaryotes que l’on retrouve dans le contenu ruminal sont les protozoaires (jusqu’à 50 % de la biomasse microbienne) et les champignons.

Une ration adaptée

Outre un environnement spécifique, la multiplication optimale du microbiote ruminal dépend de la ration de l’animal. Pour répondre aux besoins énergétiques de la flore ruminale, l’aliment doit présenter un bon équilibre azote dégradable-énergie fermentescible. Ce dernier est mesuré par la teneur en urée du sang ou du lait, marqueur sensible mais non spécifique. Toutefois, cet équilibre global ne doit pas être seulement considéré à l’échelle de la journée. Pour optimiser le fonctionnement du microbiote, il est nécessaire que cet équilibre soit permanent, dans la mesure où les capacités de stockage d’énergie ou d’azote sont limitées (protozoaires) ou nulles (bactéries). À cet égard, les conférenciers conseillent d’associer lors de la distribution des sources d’énergie et d’azote disponibles à des vitesses similaires. Ainsi, l’énergie des sucres est rapidement disponible comme l’azote de l’urée, alors que celle apportée par l’amidon ou les pectines est plus progressivement disponible, comme l’azote soluble des fourrages, et l’énergie de la cellulose et des hémicelluloses n’est que très progressivement disponible, comme l’azote des protéines insolubles.

Des apports complémentaires

En ce qui concerne les besoins en magnésium et en calcium du microbiote, ils sont couverts dans le cadre d’une ration équilibrée pour l’animal2. Pour le phosphore, seules des situations de recyclage salivaire insuffisant, comme l’acidose lors d’un défaut de fibrosité de la ration, peuvent conduire à un déficit. Pour le soufre, nécessaire à la synthèse des acides aminés soufrés et de certaines vitamines (vitamine B1, B8 et H), l’apport recommandé pour les ruminants (2 g/kg de matière sèche [MS]) est justifié par le besoin des micro-organismes ruminaux. Il peut être apporté par des aliments riches en protéines, mais il convient de ne pas dépasser plus de 4 g/kg de MS dans la ration (risque de polioencéphalomalacie ou nécrose du cortex cérébral). En ce qui concerne les oligoéléments, seul le cobalt est nécessaire en quantité plus élevée que celle nécessaire aux ruminants3.

Un équilibre fragile

Par ailleurs, certains constituants de la ration peuvent conduire à un déséquilibre entre les différentes populations microbiennes. Ainsi, l’excès d’amidon dégradable dans le rumen par rapport aux fibres de la ration stimule la croissance des bactéries amylolytiques, tandis qu’un régime riche en fourrages permet la multiplication des bactéries fibrolytiques4. Au niveau glucidique, l’apport d’une proportion trop importante de concentrés diminue l’efficacité ruminale. C’est pourquoi, il est recommandé des rations à plus de 35 % de neutral digestive fiber (NDF), ou moins de 25 % d’amidon digestible dans le rumen, ou moins de 30 % voire 35 % d’amidon dans la ration. Enfin, les acides gras insaturés sont des inhibiteurs de la croissance microbienne, en particulier des bactéries fibrolytiques et des protozoaires5. Il convient donc de chercher des rations à moins de 3,5 % d’acides gras insaturés totaux/MS, ou dont la teneur en acides gras insaturés provenant de sources spécifiques de matières grasses est inférieure à 0,04 fois la teneur en NDF6, soit 1,5 % de la MS pour une ration comprenant entre 35 et 40 % de NDF.

Contrôle du microbiote sur le long terme

Enfin, comme chez l’adulte, la modification du microbiote ruminal à la suite du changement de la ration alimentaire est transitoire, les chercheurs se sont intéressés à la possibilité d’intervenir chez le jeune animal. Les premières études montrent que piloter le microbiote et son implantation dans le rumen juste après la naissance des animaux pourrait être un moyen efficace pour orienter son développement de façon plus pérenne et donc influencer durablement le phénotype d’un individu7. Toutefois, il semblerait qu’il existe une variabilité individuelle très importante et de nombreux auteurs suggèrent que certains genres bactériens seraient héritables (22 % ont une héritabilité supérieure à 10 %). La modification de la ration alimentaire reste par conséquent le moyen le plus efficace à mettre en place en élevage pour contrôler le microbiote ruminal et les productions animales.

1. Malmuthuge et Guan, 2017.

2. Morales et Dehority (2009, 2014).

3. Waterman et coll., 2017.

4. Firkins, 2015.

5. Enjalbert et coll., 2017.

6. Jenkins et Harvartine, 2004.

7. Mizrahi et Jami, 2018 ; Malmuthuge et Guan, 2017.

Pour répondre aux besoins énergétiques du microbiote ruminal, la ration doit présenter un bon équilibre azote dégradable-énergie fermentescible.© dageldog - Istock
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