RÉSEAUX LOW COST LE CIEL S’ASSOMBRIT - La Semaine Vétérinaire n° 1841 du 14/02/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1841 du 14/02/2020

DOSSIER

Auteur(s) : SERGE TROUILLET

VETO ACCESS N’A PAS RENCONTRÉ LE SUCCÈS ESCOMPTÉ. CELA NE SURPREND GUÈRE LES GRANDS RÉSEAUX INTÉGRÉS DE CLINIQUES VÉTÉRINAIRES EN FRANCE QUI ESTIMENT QUE LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DU LOW COST N’EST PAS ASSEZ PERTINENT. À MOINS PEUT-ÊTRE, DISENT CERTAINS LIBÉRAUX INDÉPENDANTS, DE L’ENVISAGER SELON UN SCHÉMA LIBERTAIRE…

Commençons par un peu de sémantique. Ne confondons pas les modèles d’entreprise low cost et low price. Passons sur l’usage immodéré des anglicismes en la matière. Le premier repose sur une redéfinition du service ou du produit, orienté vers l’essentiel ; celle-ci permet une baisse des coûts tout en conservant une marge identique, voire plus élevée. Le second se caractérise par une pratique de prix plus bas, obtenus par diminution de la marge ou proposition d’un produit ou service de plus basse qualité1. Dans ces deux cas, les prix bas résultent parfois de pratiques non acceptables d’un point de vue social, humain ou environnemental, lesquelles ne sont pas étrangères à la mauvaise réputation de ces modèles.

Le concept économique et marketing dénommé low cost est apparu en France dans les années 1950, avec les premières enseignes de hard-discount. Il s’est ensuite développé dans le secteur aérien, la distribution, puis s’est diffusé dans l’industrie et les activités de services aux particuliers. Avec la directive “services” de 2006, le marché vétérinaire s’est ouvert et de nouvelles façons de penser l’entreprise sont apparues, notamment au travers de ses réseaux. En écho à la polarisation des modes de consommation liée à une meilleure information des clients, le positionnement low cost pouvait dès lors se conjecturer à son tour dans le secteur vétérinaire.

Veto Access, premier réseau low cost en France

C’est ainsi que Jean-François Stein, consultant au sein de sa société 100 % Véto, développe en 2016, sous le statut de licence de marque et sous la forme d’un réseau, une offre de services vétérinaires au positionnement low cost, Veto Access. Son objectif est de « mettre en place un cabinet vétérinaire dont la surface est petite, où ne travaille qu’un vétérinaire, sans ASV, et où un nombre limité de prestations est proposé. Cela permet de réduire les charges de fonctionnement de la structure et donc de proposer des prix inférieurs à ceux pratiqués ailleurs pour les mêmes prestations ». Le cabinet propose des identifications, des vaccinations, des castrations et des stérilisations, ainsi que des consultations de première intention. La clientèle visée concerne essentiellement des propriétaires d’animaux en rupture de soins pour des raisons économiques.

La marque Veto Access est destinée à être utilisée comme enseigne pour les cabinets vétérinaires satellites de structures traditionnelles, qui assurent la continuité des soins et vers lesquelles sont référés les animaux du cabinet, le cas échéant. En s’appuyant sur la promesse de l’accessibilité (rendez-vous en ligne, parking), de la disponibilité (plages décalées en soirée ou le samedi), du confort et de la modernité (identité visuelle et architecturale), de services supplémentaires (prise de rendez-vous et dossier médical en ligne), Jean-François Stein plaide pour un niveau de qualité perçue élevé. Chaque cabinet Veto Access doit s’acquitter d’un droit d’entrée de 10 000 € et d’une redevance forfaitaire mensuelle entre 250 et 350 €.

Trop d’incompréhensions

Les débuts sont encourageants. Très rapidement, une dizaine de cabinets fleurissent, notamment en Bourgogne. Jean-Jacques Bynen (Liège 87), praticien à Beaune (Côte-d’Or), concentre ainsi ses deux cabinets en un seul ; il loue un local plus important et plus accessible sur le parking d’un supermarché, avec deux salles de consultation. Toutefois, les précurseurs essuient les plâtres à l’image de Jean-Jacques Dentz (N 86), installé à Talant (Côte-d’Or), qui abandonne son cabinet Veto Access au bout de deux ans, mais sans pour autant en imputer l’échec au concept : « Nous l’avons ouvert au plus mauvais moment en raison de notre mésentente entre associés, de la difficulté à recruter et d’une localisation dans une zone insuffisamment porteuse. Par ailleurs, c’était sans doute prématuré, car l’inéluctable explosion des prix à venir légitimera davantage encore ce type de cabinets adossés à une structure mère (encadré page 34). » Le ciel des ambitions de Jean-François Stein, cependant, s’assombrit au même rythme : « Ma proposition s’entendait comme un levier de développement pour les cliniques qui ouvrent un cabinet satellite Veto Access, quand la profession ne l’a considérée que comme une offre concurrentielle. Je n’ai pas su lever cette incompréhension. » Par ailleurs, ajoute Jean-Jacques Bynen, « d’un côté, low cost laisse penser qualité médiocre chez le vétérinaire, qui, à cette aune-là, ne veut pas légitimement en entendre parler ; de l’autre, le client n’a pas nécessairement la perception immédiate de la différence entre un cabinet, une clinique ou un centre hospitalier vétérinaire, ni que la segmentation de fait, ordinale, s’inscrit dans ce que l’on propose et son coût. »

Un modèle économique inachevé

Outre ces difficultés de communication au sein d’une profession bousculée dans ses fondements par la libéralisation du marché des services, le concept Veto Access semble pâtir d’un modèle économique inachevé. La bonne volonté des licenciés de la marque, qui restent des libéraux indépendants, ne constitue pas un engagement suffisant pour faire remonter méthodiquement, par exemple, des indicateurs de performances propres à déterminer des pistes d’amélioration. L’absence d’une intégration financière totale et d’un pilotage centralisé paraît rédhibitoire dans ce type de réseau, comme il l’est de fait dans tous les autres réseaux de structures vétérinaires en France. Du moins convient-il d’en revisiter le modèle si l’on veut en étendre notablement le périmètre. Aussi, Veto Access vivote. Certaines entités, néanmoins, sont de vraies réussites, comme à Landerneau (Finistère). Pour autant, Jean-François Stein concède que « le combat était trop dur à mener pour une personne seule ». Il décide de remettre le réseau à ses licenciés afin qu’ils en assurent désormais eux-mêmes le développement confraternel. Exit Veto Access sous sa forme initiale, depuis la fin de 2019. Chiffonné de ne pas avoir su expliquer qu’il avait voulu « un outil pour les vétérinaires et non pour leur causer des soucis », il rebondit aujourd’hui au sein du groupe Univet, où il est en charge, notamment, de l’animation du réseau. Mais il n’en démord pas : « Beaucoup de vétérinaires ont compris ma démarche et redoutent que demain des investisseurs ne la reprennent avec, cette fois, une offre concurrentielle. » Bien que dans les grands groupes français de structures vétérinaires, on ne croit pas au développement d’un modèle low cost pérenne en France, certains vétérinaires, partisans d’une profession viscéralement libérale et indépendante, ne ferment pas la porte à un concept de type Veto Access, revisité selon un schéma libertaire (encadré).

1. Beigbeder Charles, Le Low cost : un levier pour le pouvoir d’achat, rapport remis à Luc Chatel, secrétaire d’État chargé de la consommation et du tourisme, 2007.

2016

Date de création de la licence de marque en réseau low cost de Veto Access

TÉMOIGNAGE

DAVID BECIANI

Président du réseau de cliniques vétérinaires Mon Véto

Un modèle qui devrait être étudié très finement

Le modèle low cost pourrait peut-être fonctionner en France, mais à condition qu’il soit très finement étudié, ce que nous n’avons pas fait précisément. Il ne pourrait se concevoir qu’autour de très grandes agglomérations, afin de drainer une clientèle importante. Avec un modèle économique très bien réfléchi. Tout d’abord, ce type de structure ne devrait proposer qu’une offre de services très limitée, sans ASV, avec une prise de rendez-vous directement dans la salle d’attente, des jeunes vétérinaires qui ne feraient que de l’identification, de la vaccination, des castrations et des stérilisations à la chaîne, la moindre bobologie devant être référée dans une autre clinique. On imagine les contraintes afférentes de toutes sortes à lever !

TÉMOIGNAGE

STEVE ROSENGARTEN

Président du réseau de cliniques vétérinaires VetOne

S’il y avait un modèle économique viable, quelqu’un le développerait

La tendance est aujourd’hui à mieux valoriser le travail vétérinaire. Pas le contraire. Pour un modèle low cost, qui permette éventuellement de trouver un point d’équilibre et de rentabilité, il faudrait des cliniques de quatre vétérinaires qui feraient à plein temps des vaccinations, des identifications et des chirurgies préventives, du matin au soir, 15 minutes par créneau, avec des taux d’occupation très importants. Je ne suis pas sûr qu’il y ait le marché pour cela, d’autant qu’il existe, par ailleurs, pour des gens qui cherchent vraiment des prix différents, des dispensaires et, dans chaque ville, un ou deux vétérinaires moins chers que leurs confrères.

Enfin, aux difficultés actuelles de recrutement s’ajoutera celle de convaincre un vétérinaire que sa longue formation ne lui servira qu’à faire de l’abattage d’interventions basiques ! Voilà pourquoi le low cost ne se développe pas ; s’il y avait un modèle économique viable, quelqu’un le développerait. Aux États-Unis, dans de très grandes villes, des cliniques individuelles fonctionnent avec succès sur ce modèle, avec vaccins et castrations à la chaîne. Ce sont de bons vétérinaires pour qui il y a un enjeu sociétal d’accessibilité aux soins. Cela leur convient, mais pas dans l’optique de créer des réseaux.

TÉMOIGNAGE

JEAN-JACQUES DENTZ

Praticien canin à Talant (Côte-d’Or)

Un modèle concevable selon un schéma libertaire

Si l’on considère le concept low cost sous un prisme totalement capitalistique, cela ne peut pas fonctionner en France dans le secteur vétérinaire. Pour des raisons de coût du travail, de recrutement de personnel et de marges bénéficiaires insuffisantes pour espérer un retour rapide sur investissement. Or l’approche du financier est simple : il faut dégager du cash pour revendre le mieux et le plus tôt possible. Et avec du low cost, il faudrait attendre longtemps ! Dans une optique purement libérale, les perspectives peuvent être tout autres. Rappelons que la moitié des propriétaires d’animaux ne viennent pas chez le vétérinaire de manière régulière. Et qu’avec l’augmentation inévitable à venir du prix des actes, dont la sous-facturation récurrente fragilise les entreprises vétérinaires, ce ratio ne va pas diminuer !

On pourrait alors imaginer un schéma d’organisation en grappes, afin de mutualiser des fonctions supports et même du cœur de métier pour être mieux équipés, où les structures mères essaimeraient des cabinets low cost satellites. Et tous ces cabinets, émanant de toutes les grappes indépendantes, pourraient à leur tour faire l’objet d’une organisation spécifique. Comme pour Veto Access, tous les éléments qui visent à construire cette offre de services low cost seraient centralisés au sein d’un groupement, pour proposer des cabinets clés en main à coût raisonnable. Pour le client, le cabinet low cost serait ainsi bien identifié, tout en étant adossé à une structure mère qui assure la continuité des soins. Chaque structure mère pourrait adhérer à tout ou partie des services proposés selon un schéma libertaire.

Pour cela, les vétérinaires devront montrer leur capacité à mettre leur égo de côté, à sortir de leur groupement d’intérêt économique de salon, où l’on est tous copains et on se tape dans le dos, pour entrer dans un modèle économique efficace dans lequel on est tous acteurs. Certains le font déjà. L’approche des financiers doit être pour nous l’aiguillon qui nous pique les fesses pour nous convaincre qu’après avoir automanagé nos structures et perdu 50 % de notre pouvoir d’achat en 30 ans, on peut désormais peut-être en regagner une partie.

TÉMOIGNAGE

MICHAËL SILBER

Président du réseau de cliniques vétérinaires FamilyVets

C’est du nivellement par le bas

Moins il y a de matériel dans les cliniques, moins on est nombreux et donc plus on tire les coûts vers le bas, moins on fidélise le personnel. Moins il éprouve du plaisir dans son travail au quotidien. Comment peut-il alors s’épanouir dans l’exercice de son métier, et par conséquent être productif ? On pourra toujours proposer de mieux payer le vétérinaire du cabinet low cost, mais c’est alors le modèle économique qui ne tient plus. La conséquence en serait un turnover important et des difficultés à recruter, ce qui est déjà problématique. Or, aujourd’hui, on sait qu’un client est très attaché à son vétérinaire. Il ne suivrait donc pas. Par ailleurs, si les prix des actes à valeur ajoutée vont probablement augmenter, ceux des vaccins ne le feront pas au-delà de l’inflation tarifaire. L’écart de prix sur le vaccin ou sur une stérilisation entre un éventuel cabinet low cost et une clinique généraliste ne justifierait aucunement une fuite de clientèle de la seconde vers le premier. Enfin, les assurances vont se développer, et un client assuré ira dans une clinique bien équipée. Je ne crois absolument pas au marché low cost. C’est du nivellement par le bas.

TÉMOIGNAGE

GÉRARD VIGNAULT

Président du Conseil régional de l’Ordre des vétérinaires Bourgogne-Franche-Comté

Beaucoup de bruit pour rien !

À l’époque, je ne comprenais pas bien la démarche de Veto Access. Je la voyais comme un moyen de rabattre des clients vers les cliniques mères. J’avais repéré immédiatement un certain nombre de non-conformités de ces cabinets au regard du Code de déontologie, liées à leur communication. Celle-ci doit laisser penser qu’on n’exerce pas notre profession de manière commerciale, et elle doit être objective et loyale. Or, les gros stickers affichant les tarifs sur les vitrines, les documents louant l’excellence de la consultation, ainsi que l’indication de tarifs à partir d’un certain montant qui ne disait rien de ce qu’allait réellement payer le client, tout cela ne me paraissait pas répondre aux critères de l’éthique vétérinaire.

J’ai convoqué les confrères propriétaires de ces cabinets dans ma région. Sans difficulté, ils ont accepté de procéder aux modifications requises. Je dois avoir l’honnêteté de reconnaître que ces cabinets n’ont dérangé personne et que, pour finir, ils n’ont pas fait fortune ! Loin de là. C’était beaucoup de bruit pour rien. On est davantage inquiets par les rachats de cliniques par de grands groupes. Car là, on est en train de perdre l’indépendance du vétérinaire dans l’exercice de son métier.

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