L’ANESTHÉSIE SUR LA VOIE DE LA GÉNÉTIQUE ? - La Semaine Vétérinaire n° 1840 du 07/02/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1840 du 07/02/2020

RECHERCHE

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

ANALYSE

Auteur(s) : TANIT HALFON

LA DÉCOUVERTE D’UN VARIANT GÉNÉTIQUE IMPLIQUÉ DANS LA SENSIBILITÉ ANESTHÉSIQUE DU GREYHOUND, CHEZ DES RACES NON APPARENTÉES POSE LA QUESTION D’ASSOCIER PROTOCOLE ANESTHÉSIQUE ET ANALYSE GÉNÉTIQUE.

S’il est connu que les greyhounds et les races apparentées récupéraient plus lentement d’une anesthésie, les connaissances manquent encore pour expliquer cette particularité. Une nouvelle étude1, de l’université vétérinaire de Washington (États-Unis), vient d’apporter des preuves supplémentaires que ces races seraient déficientes en cytochrome CYP2B11, une enzyme hépatique participant au métabolisme de molécules anesthésiques, notamment l’hydroxylation du propofol. De plus, les chercheurs ont identifié des variants génétiques associés à cette déficience. Surprise de l’étude, ils se retrouvent aussi, mais avec une prévalence bien plus faible, chez d’autres races canines telles que le golden retriever, le labrador et le bouledogue anglais. « Les résultats de cette étude confortent l’idée d’une médecine de plus en plus individualisée, par opposition à une médecine de population, souligne Karine Portier, professeure d’anesthésiologie à VetAgro Sup. En médecine humaine, l’approche génétique se développe, notamment pour la prise en charge des processus douloureux. » L’intérêt n’est pas négligeable : « La compréhension des spécificités de race permet d’adapter nos protocoles. Par exemple, les recherches récentes sur les chiens porteurs de la mutation sur le gène MDR-1 ont montré qu’il fallait être davantage vigilant sur les opoïdes κ-agonistes, plutôt que sur les µ-agonistes. »

Génotype, phénotype

Génotyper pour plus de sécurité anesthésique ? En pratique courante, ce n’est pas encore le cas, d’autant que les liens entre génotype et phénotype sont complexes. « certaines mutations s’expriment plus ou moins fortement en fonction des individus. Par exemple, deux chiens hétérozygotes pour la mutation MDR-1 ne réagissent pas forcément de manière similaire à une anesthésie, souligne lucie chevallier, maître de conférences en génétique à l’école nationale vétérinaire d’alfort. D’autres gènes peuvent atténuer ou, au contraire, renforcer l’expression clinique. C’est l’effet du fond génétique. » de plus, lorsqu’un variant génétique est identifié, « il est nécessaire de différencier le polymorphisme génétique normal d’une mutation fonctionnelle. Chez le chien, on en a identifié plus de 10 millions, entre les individus de différentes races ! Mais la grande majorité n’a pas d’impact fonctionnel. » dans l’étude sur le greyhound, la démarche a fait ses preuves : « les auteurs ont réalisé une étude in vitro très poussée montrant clairement que les combinaisons d’allèles les plus fréquemment retrouvées entraînent une réduction de la synthèse de protéines hépatiques CYP2B11. C’est une validation fonctionnelle très intéressante, laissant penser que la variation génétique identifiée est bien responsable de la différence de sensibilité à certaines molécules. »

Une anesthésie raisonnée

« Le risque anesthésique dépend peu des molécules utilisées, mais est surtout lié à plusieurs autres facteurs tels que l’erreur humaine. Cela est bien démontré en médecine humaine », souligne karine portier. Si elle convient que les progrès génétiques, associés au big data, impacteront probablement l’approche anesthésique, la réduction du risque passe avant tout par du personnel bien formé. De plus, « un examen préanesthésique approfondi est nécessaire, y compris pour une sédation. Peut-être sera-t-il également associé à un génotypage. Un minimum de monitoring permet aussi de réduire le risque anesthésique, au moins l’oxymétrie, la capnographie, l’électrocardiogramme, associé à un contrôle de la température. » au final : « Ce n’est pas tant la nature de la molécule, sauf allergie, qui pose problème que son dosage. Une anesthésie balancée2 associée à une analgésie multimodale est à privilégier, et ces deux principes permettent de répondre à la problématique relative aux particularités de métabolisme, notamment en réduisant les doses. »

1. www.go.nature.com/2rylyv1.

2. Elle consiste à associer plusieurs molécules, afin de réduire la dose de chacun et d’obtenir les effets bénéfiques sans en avoir les effets délétères.

Des chercheurs ont identifié une mutation génétique pouvant expliquer la sensibilité du greyhound à l’anesthésie.© Tamara Lebon Sanchez - Istock
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