EMMANUELLE TITEUX : « UNE AGRESSION ENTRE CHATS N’EST PAS UN COMPORTEMENT PATHOLOGIQUE » - La Semaine Vétérinaire n° 1839 du 31/01/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1839 du 31/01/2020

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

ANALYSE

Auteur(s) : TANIT HALFON

POUR UN CHAT, VIVRE EN GROUPE EST POSSIBLE A CONDITION POUR LE PRORIETAIRE DE RESPECTER UN CERTAIN NOMBRE DE REGLES, AFIN QUE LA SITUATION NE PRODUISE PAS D’EFFETS DELETERES SUR LA SANTE ET LE COMPORTEMENT DES ANIMAUX.

Comment interagissent les chats au sein d’un groupe ? Quels aménagements prévoir pour favoriser une bonne harmonie de groupe ? à travers une approche éthologique, Emmanuelle Titeux, vétérinaire spécialiste en médecine du comportement des animaux de compagnie (ECAWBM)1 et praticienne hospitalière au centre hospitalier universitaire vétérinaire d’Alfort (Chuva), fait le point sur les chats vivant en collectivité.

Si le chat est une espèce solitaire, faire cohabiter plusieurs individus au sein d’un même foyer n’est-il pas contre-indiqué ?

Emmanuelle Titeux : Le chat est une espèce caractérisée par une grande capacité d’adaptation, bien que variable suivant les individus. Certains ont ainsi une grande tolérance envers les autres chats, voire présentent des comportements affiliatifs, notamment en cas de lien génétique, comme on peut l’observer entre femelles – mères/filles/sœurs – composant les colonies de chats vivant à l’extérieur. De plus, la tolérance intraspécifique est souvent associée à une plus grande tolérance vis-à-vis de l’humain. Ce trait est très exprimé chez les chats de race, du fait de la sélection artificielle. Pour certains chats très attirés par leurs congénères, j’ai d’ailleurs recommandé aux propriétaires d’adopter un deuxième individu, avec ce même tempérament. Dans ce cas, c’est un vrai plus, notamment pour la vie en appartement. L’idéal serait d’accentuer la pression de sélection sur ce tempérament.

Quelles sont les différentes interactions possibles au sein d’un groupe de chats ?

Il faut distinguer les interactions de type affines et agonistiques. Les premières permettent d’avoir une attraction au sein d’un groupe d’une même espèce. Les deuxièmes servent à repousser et correspondent aux manifestations agressives et de fuite. Tous ces comportements sont normaux. Le fait que deux chats ne se “supportent pas” n’est pas, en soi, un comportement pathologique ! Le problème se pose lorsqu’il y a davantage d’interactions agnostiques qu’affines. Certains chats peuvent devenir de véritables boucs émissaires, lorsqu’ils ne répondent pas correctement aux premiers signaux d’agression. La présence d’un chat handicapé peut, par exemple, engendrer des catastrophes. En milieu confiné, en cas de comportements agonistiques, il est plus difficile pour le chat visé de prendre la fuite, et dans ce contexte, certains individus vivent littéralement cachés.

La vie en groupe peut-elle impacter le répertoire comportemental des chats et leur santé ?

Oui, énormément. Au sein d’un groupe, certains deviennent totalement inhibés, d’autres urinent carrément sous eux. En matière de santé, il a été montré que la première cause de malpropreté urinaire était la cohabitation entre chats. Entre autres exemples, citons aussi l’alopécie auto-induite ou encore le prurit cervico-facial. L’impact sur le bien-être animal n’est pas à négliger, certains individus pouvant ne pas ressentir d’émotions positives. Un chat inhibé aura tendance, de plus, à limiter ses interactions avec le propriétaire, puisqu’il est contraint de limiter ses déplacements. Certains propriétaires décrivent au contraire des chats extrêmement collants : ce comportement est simplement lié au fait que l’humain repousse le chat agressif. La vie en milieu clos est un facteur de risque puisque les animaux n’ont pas la possibilité de fuir face à un individu présentant un comportement agressif.

Quelles sont vos recommandations pour éviter l’apparition de ces problématiques ?

Je pense qu’il est préférable d’adopter des individus jeunes issus d’une même lignée, plutôt deux femelles, en particulier lorsqu’il n’y a pas d’accès à l’extérieur. Cependant, le tempérament d’un individu n’est pas prédictible dès son plus jeune âge. Une solution serait alors d’envisager l’adoption de chats de race sélectionnés pour être plus tolérants, ou des animaux adultes issus de refuges, dont le trait de tempérament est stable. Ce trait est présent chez les chats européens, mais c’est plus le hasard. De plus, faciliter l’introduction d’un nouveau chat passe aussi par l’olfaction. En pratique, on peut frotter ses mains sur le nouveau chat, notamment au niveau des tempes, et ensuite caresser les autres chats de la maison. De la même manière, les Anglo-saxons conseillent, par exemple, d’échanger les tapis de couchage pour que chaque chat se familiarise à l’odeur de l’autre. Le même principe doit s’appliquer pour les chats hospitalisés et qui rentrent chez eux, afin d’éviter toute manifestation agressive. Le chat vit dans un paysage olfactif, et pas visuel ! En matière d’aménagements, il est nécessaire de multiplier les zones de cachettes, de couchages, de nourrissage, d’abreuvement et d’élimination. Si dans certains cas, il est difficile de l’envisager pour chaque chat, l’objectif est d’au moins, disperser ces zones, afin qu’un chat soumis à des interactions agonistiques ait une possibilité de repli. Malgré tout, certaines situations peuvent être limites, et la solution passe parfois par conseiller le retrait d’un animal du groupe.

1. Collège européen bien-être animal et médecine du comportement (ECAWBM pour European college of animal welfare and behavioural medicine).

LA HIÉRARCHIE ENTRE CHATS EXISTE-T-ELLE ?

Pas de hiérarchie chez les espèces solitaires. « En revanche, on peut dire qu’il y a des individus plus agressifs que d’autres, ou plus peureux que d’autres, toujours sous la contrainte d’un environnement clos », explique Emmanuelle Titeux, qui ajoute : « La hiérarchie est un concept humain, qui cherche à classer les sociétés animales. Il est fondé sur l’observation des individus gagnants et perdants lors d’interactions agonistiques. Souvent un animal agressif peut être perçu comme un animal dominant. En réalité, ce qu’on appelle hiérarchie vise à éviter les conflits au sein d’un groupe. »

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