BIEN-ÊTRE ANIMAL : UN ENJEU POLITIQUE ? - La Semaine Vétérinaire n° 1839 du 31/01/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1839 du 31/01/2020

ANALYSE

Auteur(s) : TANIT HALFON

Depuis quelques années, les annonces en faveur du bien-être animal se multiplient. Si le sujet semble bien à l’agenda politique, la question de son application sur le terrain reste entière.

En 2022, nous ferons le bilan et vous verrez que jamais un gouvernement n’aura autant avancé en matière de bien-être animal. » Pour Loïc Dombreval, vétérinaire et député des Alpes-Maritimes, la question du bien-être animal est belle et bien en marche ! Depuis quelques années, le sujet est devenu hautement politique, et le gouvernement actuel ne fait pas exception. En témoigne la multiplicité des annonces en sa faveur1. Pour quels résultats ? « Les débats parlementaires sur le bien-être animal sont rares en France, estime Jean-Pierre Kieffer, vétérinaire et président de l’œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA). La majorité des textes sont des décrets et arrêtés qui relèvent du pouvoir réglementaire et donc de la volonté du gouvernement. Rares sont les textes législatifs. On peut citer la loi Falorni, mais qui n’a pas pu aller jusqu’à son terme, puis la loi Egalim, qui n’a pas apporté les mesures espérées. » Il ajoute : « Tout l’arsenal relatif aux animaux d’élevage repose essentiellement sur des règlements européens. » Si le député Loïc Dombreval reconnaît que les choses pourraient aller plus vite, il explique : « La trajectoire d’une loi est compliquée. Notre travail, en tant que député, est d’obtenir des majorités dans l’hémicycle. Beaucoup de députés ont d’autres priorités que le bien-être animal dans leur circonscription, en lien aussi avec leur parcours personnel. » Alors il faut convaincre ou, avant même, simplement faire découvrir des réalités méconnues pour certains. De plus, « le sujet est passionnel, et certains députés sont tentés de renoncer à l’aborder pour ce motif », précise-t-il.

« un arsenal de mesures adéquates »

Les parlementaires se heurtent aussi à des lobbies, souligne Jean-Pierre Kieffer. « Des élus, en particulier Loïc Dombreval et Arnaud Bazin, apportent leur appui pour faire avancer le bien-être animal. Mais quand il s’agit d’adopter des mesures en faveur de la condition des animaux d’élevage, les politiques se heurtent à la forte pression de lobbies agricoles, aux arguments économiques. » Sans oublier que « certains sujets sont tabous comme l’abattage rituel. » Malgré des critiques, en matière de bien-être animal, l’arsenal normatif n’est cependant pas en reste, affirme François Darribehaude, directeur adjoint de l’école nationale des services vétérinaires (ENSV) à VetAgro Sup (Marcy-l’étoile, dans le Rhône), et juriste de formation. « La France dispose de nombreux agents compétents en matière de bien-être animal, qui peuvent s’appuyer sur un arsenal de mesures selon moi adéquates, d’origine nationale, européenne, voire internationales. Sans oublier les compétences attribuées aux municipalités, mais également aux associations, en matière de procédure judiciaire notamment. » Certaines espèces animales sont pourtant oubliées de la réglementation, rappelle Jean-Pierre Kieffer : les vaches laitières, les caprins et les lapins. Par ailleurs, sur le terrain, des manques commencent à se faire sentir. « Nous observons l’essor récent de nouvelles activités utilisant des animaux de rente, par exemple l’écopâturage en ville, souligne Déborah Infante-Lavergne, secrétaire générale du Syndicat national des inspecteurs de santé publique vétérinaire (SNISPV). Un nombre croissant de particuliers détiennent aussi des moutons, des poules… Ces domaines sont encore orphelins au niveau réglementaire, et il apparaît inconcevable d’imposer à un particulier les mêmes contraintes qu’à un professionnel. » Elle ajoute : « Il y a une méconnaissance de ces animaux : la bordure du périphérique parisien est-elle vraiment adaptée pour un troupeau de moutons ? Sans oublier les questions de santé publique. »

Contrôles, sanctions

En matière de bien-être animal, les contrôles de l’état sont justement pointés du doigt, y compris par les politiques. « Nous disposons en France d’un arsenal législatif et réglementaire pléthorique pour protéger les animaux, mais nous n’arrivons pas à le faire appliquer », reconnaît Loïc Dombreval. Même son de cloche chez Jean-Pierre Kieffer : « Les contrôles sont souvent inopérants du fait d’effectifs insuffisants des services vétérinaires et les sanctions pas assez dissuasives. Ce que reproche la Commission européenne. Les actes de maltraitance à l’abattoir n’étaient pas sanctionnés au même niveau qu’en élevage. La loi Egalim a étendu le délit de maltraitance pour les activités de transports d’animaux vivants et d’abattage. » Un exemple qui rejoint les propos de Sébastien Gardon, politologue à l’ENSV. « Le portage politique, les préoccupations des élus, cela permet d’appuyer la mise en œuvre de la réglementation. Il y a probablement une époque où on aurait laissé traîner certaines choses. » « Nous manquons de moyens juridiques pour prévenir certains cas de maltraitance, dont on sait qu’ils pourraient évoluer probablement vers des actes de cruauté », concède aussi Déborah Infante-Lavergne. « L’efficacité d’une norme ne passe pas que par la sanction, il faut aussi la connaître, la faire connaître, la comprendre et l’expliquer », nuance François Darribehaude, en citant les exemples de la chaire bien-être animal de VetAgro Sup et du diplôme d’établissement “Protection animale : de la science au droit", qui œuvrent en ce sens. Malgré tout, avec le plan stratégique de la France bien-être animal (BEA) 2016-2020, des choses ont évolué dans le bon sens. « Nous avons augmenté la fréquence des inspection dans les abattoirs. Partout ailleurs, le suivi des inspections non conformes a été renforcé. Des cellules de maltraitance ont également été créées et elles fonctionnent plutôt bien, au moins sur le volet de la lutte. Concernant le volet prévention, le fonctionnement est variable selon les départements et l’investissement des professionnels », souligne Déborah Infante-Lavergne.

Des promesses non tenues

Jean-Pierre Kieffer est plus critique sur ce plan. « Stéphane Le Foll, alors ministre de l’Agriculture, avait trouvé cette parade de communication, en réaction aux vidéos en caméras cachées dans des abattoirs. Parmi les mesures annoncées, peu ont trouvé d’application et bon nombre sont au point mort. Le financement pérenne des opérations de retrait et de placement des animaux maltraités n’a pas abouti. » à ce sujet, Déborah Infante-Lavergne fait aussi remarquer le manque de moyens pour les associations qui collaborent avec les services vétérinaires dans le cadre des cellules de maltraitance : « Un budget serait utile pour que les associations nous aident à faire le travail de repérage, de tri et de prévention des plaintes. » L’argent, comme toujours, est le nerf de la guerre. « Il est évident que les contrôles en matière de bien-être animal ne sont pas suffisants, ils sont au maximum optimisés, eu égard aux moyens humains dont nous disposons », note-t-elle. D’ailleurs, elle précise qu’à la suite du plan BEA il n’y a pas eu d’évolution significative des contrôles d’un point de vue quantitatif. « Cela fait une dizaine d’années que nous subissons une réduction d’effectifs. Par exemple, pour atteindre l’objectif de fréquence de contrôles du transport des animaux vivants fixé par l’Union européenne, certaines régions ont estimé qu’il faudra près de 10 équivalents temps plein en plus rien que pour traiter cette question », souligne-t-elle. Que faire ? « Une transition, et pas une révolution », comme le prône Loïc Dombreval ? Accentuer le travail collectif avec les associations “welfaristes”, comme le souhaite Jean-Pierre Kieffer, et éviter les « promesses non tenues qui créent une déception faisant le lit des mouvements animalistes violents. » Ou comme le suggère Sébastien Gardon, « peut-être que la vraie mise à l’agenda politique, ce serait de créer un ministère, ou au moins un secrétariat d’État à part entière sur cette question. »

1. Au moment de la rédaction de l’article, le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume a annoncé qu’il allait dévoiler des mesures en faveur du bien-être des porcs et des volailles.

Un enjeu politique local

La politique se fait aussi à l’échelle locale, et la Fondation 30 Millions d’amis l’a récemment rappelé. à deux mois des élections municipales, elle a commandé un sondage de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) qui révèle qu’environ 6 Français sur 10 se disent prêts à voter pour un candidat engagé dans la protection animale. Dans ce contexte, elle rappelle certaines compétences des communes, notamment en matière de gestion des animaux errants. à ce sujet, le député Loïc Dombreval vient de publier un pacte de 20 mesures à l’intention des maires avec pour objectif d’améliorer la cohabitation entre l’humain et les animaux en ville.

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