LA PROFESSION AU CŒUR DE L’UTILISATION DE LA PHYTO-AROMATHÉRAPIE - La Semaine Vétérinaire n° 1838 du 24/01/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1838 du 24/01/2020

PHARMACIE

Auteur(s) : MARINE NEVEUX

Phytothérapie : comment trier le bon grain de l’ivraie ? En effet, si le retour au vert est une tendance sociétale forte et que la phytothérapie gagne les faveurs des propriétaires d’animaux, les questions restent nombreuses. Notre consœur, Isabelle Lussot-Kervern, coordinatrice du Répaas, explique les objectifs du réseau qui aborde ce domaine de la phyto-aromathérapie.

La phytothérapie suscite un engouement sociétal, mais des craintes aussi : il est aujourd’hui possible de trouver sur Internet bien des plantes avec des allégations thérapeutiques : le cushing du cheval soigné par les plantes, le vermifuge naturel, etc. Des allégations qui inondent la toile en toute illégalité bien entendu, mais aussi au risque, au mieux, d’un manque d’efficacité (et de tromperie !), au pire, d’effets secondaires qui nuiraient à la santé de l’animal.

Les questions se posent pour les animaux de compagnie, mais les plantes peuvent aussi être utilisées sur le terrain en productions animales. Pour les chevaux, le vétérinaire qui a recourt aux plantes médicinales doit exclure l’équidé de la filière bouchère si celles-ci n’ont pas de LMR définie. Sur le terrain, quid des propriétaires de chevaux qui donnent des compléments alimentaires contenant des plantes ?

En outre, en production animale, un manifeste d’éleveurs a été signé fin 2019 par plus de 1 000 éleveurs qui « reconnaissent pratiquer de la phytothérapie sur leur troupeau et demandent à ce que la législation soit modifiée pour leur permettre de continuer en toute légalité ». La demande est donc pressante, et la question complexe.

Enfin, si la phytothérapie gagne la pratique quotidienne des vétérinaires, la réglementation reste difficilement applicable et les laboratoires peinent à s’engager sur le terrain des AMM (même dans la version allégée pour les produits à base de plantes proposée par l’ANMV depuis 2014).

Le Réseau de phyto-aromathérapie de l’Afvac, de l’Avef et de la SNGTV (Répaas) souhaite ainsi promouvoir une démarche scientifique et une approche globale de l’animal, et mettre en réseau tous les vétérinaires qui exercent la phytothérapie et l’aromathérapie. Entretien avec notre consœur Isabelle Lussot-Kervern, coordinatrice du Répaas et responsable de la commission médecines non conventionnelles de l’Avef.

La phytothérapie est une attente croissante des clients. Quelles réponses leur apporter ?

Isabelle Lussot-Kervern : Il faut que les vétérinaires se forment pour pouvoir répondre aux demandes de leurs clients. Le vétérinaire a deux valences : celle de pouvoir établir un diagnostic clinique et celle de pouvoir prescrire toute forme de thérapeutique qu’il juge appropriée.

Malgré une utilisation traditionnelle des plantes médicinales à des fins thérapeutiques depuis les temps anciens, la phytothérapie médicale est une discipline encore “jeune” dans le sens où les études scientifiques portent surtout sur des études in vitro, et peu in vivo. Néanmoins, le nombre de publications scientifiques est en forte hausse depuis les années 2000, et quelques écoles et facultés vétérinaires dans le monde tentent d’apporter des réponses scientifiques via l’élaboration de protocoles de recherche.

La science évolue continuellement et il est intéressant que le vétérinaire puisse disposer de son libre arbitre pour choisir la thérapeutique qu’il souhaite mettre en place en explorant notamment les voies de la phytothérapie. Notre profession est formée à l’examen clinique, et reste la seule capable de mettre en commun des savoirs pour clarifier les indications et posologies et ainsi requérir des études plus poussées pour les confirmer.

Avec la phytothérapie, la profession répond à une attente sociétale qui demande que l’on aborde l’animal de façon holistique. Le vétérinaire doit être en mesure de proposer des solutions complémentaires, et il est souvent sollicité dans ce domaine en cas d’affections chroniques.

En outre, si ce n’est pas notre profession qui répond à cette demande, d’autres le feront, avec des professionnels parfois autoproclamés ne disposant pas de formation médicale approfondie.

Le Répaas a été subventionné dans le cadre du plan ÉcoAntibio ?

En effet, ce réseau a reçu le soutien de la DGAL dans le cadre du plan écoAntibio, avec notamment pour objectif d’explorer des pistes de réduction d’utilisation des antibiotiques. Depuis d’autres dossiers ont été soumis, dont certains portent sur la recherche de résidus dans les denrées animales pour assurer la sécurité des consommateurs.

Quels sont les objectifs du réseau ?

Le Répaas se veut avant tout un lieu d’échanges entre vétérinaires, mais nous souhaitons également faire de ce réseau un interlocuteur privilégié pour les administrations, les écoles vétérinaires ou tout autre organisme qui travaille sur la phyto-aromathérapie vétérinaire. En structurant notre profession autour de ce réseau nous souhaitons contribuer aux évolutions nécessaires de la réglementation tout en mettant en avant le vétérinaire dans son rôle de diagnostic et de prescription. Le réseau a, entre autres, travaillé sur des recommandations pour la réalisation de préparations extemporanées à base de plantes médicinales.

La profession doit prendre pleinement conscience de la nécessité de se former à l’utilisation de la phyto-aromathérapie, afin de ne pas laisser une large porte ouverte à d’autres para-professionnels qui s’y engouffreront sans aucun doute. Aujourd’hui, l’offre de formation en phytothérapie pour les confrères est abondante : écoles vétérinaires (DIE) et formations privées au sein de l’Imaov, de l’Avetao, de la SNGTV, de l’Afvac, de l’Avef, en plus de journées organisées par certains laboratoires.

Y a-t-il des perspectives d’évolution de la réglementation sur la phytothérapie ?

La réglementation actuelle en matière de thérapeutique a été élaborée autour du médicament chimique et est, en l’état, totalement inadaptée aux plantes médicinales. Il est impossible d’appliquer une législation élaborée pour le mono-moléculaire à la multitude des composants retrouvés dans un extrait de plante ou une huile essentielle. De plus, la réglementation actuelle freine les avancées possibles dans le domaine de la recherche. En médecine humaine, il est impossible de construire des études sur les effets anti-infectieux des plantes médicinales, tant que celles-ci ne répondent pas au cahier des charges des médicaments tel qu’il est défini actuellement.

Depuis que l’ANMV a validé, en 2014, des procédures d’autorisations allégées spécifiquement pour les plantes médicinales, aucun dossier d’AMM n’a été, à ma connaissance, déposé. Toutes les instances françaises (DGAL, Anses, etc.) prennent peu à peu conscience des problématiques associées à l’utilisation des plantes médicinales. Elles travaillent pour répondre aux vétérinaires qui utilisent la phytothérapie et aux éleveurs qui y ont recours via l’automédication. Les vétérinaires ont la possibilité de prescrire des préparations extemporanées mais très peu de plantes sont inscrites au tableau 1 du règlement LMR, pour pouvoir être prescrites en productions animales. Les éleveurs les utilisent cependant, sans forcément connaître les réglementations en matière de protection du consommateur.

Le vétérinaire qui traite des animaux de compagnie doit pouvoir répondre aux sollicitations de ses clients. Mais c’est surtout en productions animales, et notamment en élevage bio, que notre profession doit travailler de concert avec les éleveurs afin de faire évoluer la législation dans le respect des animaux, mais aussi des consommateurs.

LE RÉPAAS

Le Réseau de phyto-aromathérapie de l’Afvac, de l’Avef et de la SNGTV (Répaas) va pouvoir, via son site internet, mettre en réseau tous les vétérinaires qui travaillent en phytothérapie. Avec notamment pour objectif d’améliorer et de valider la sécurité, la qualité, la traçabilité et les données d’efficacité lors d’utilisation de plantes médicinales. Il va permettre également à la profession de se fédérer afin de travailler sur des propositions pour faire évoluer la réglementation.

Le site internet participatif du Répaas, en cours d’élaboration, sera disponible au deuxième trimestre 2020. Il contiendra notamment des fiches par plante et des espaces de partages d’expériences pour permettre aux praticiens d’échanger et d’élaborer en commun des protocoles de recherche.

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