PERMANENCE ET CONTINUITÉ DES SOINS : CRISPATIONS ET SOLUTIONS - La Semaine Vétérinaire n° 1837 du 17/01/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1837 du 17/01/2020

DOSSIER

Auteur(s) : LORENZA RICHARD

ÉLÉMENT DE STRUCTURATION DE L’OFFRE VÉTÉRINAIRE ORGANISÉE AUTOUR DE LA GESTION DES “GARDES” PAR LE PASSÉ, LA PERMANENCE ET LA CONTINUITÉ DES SOINS EST DÉSORMAIS L’OBJET DE NOMBREUSES CRISPATIONS AU SEIN DE LA PROFESSION. ELLE EST UNE CONTRAINTE DIFFICILEMENT TOLÉRÉE, ET MÊME DIFFICILEMENT APPLICABLE DANS CERTAINES RÉGIONS. DEVANT LE RISQUE DE VOIR LE DISPOSITIF IMPLOSER, QUELLES SONT LES RÉFLEXIONS ET SOLUTIONS APPORTÉES ? QUELQUES RÉPONSES DANS CE DOSSIER.

La permanence et la continuité des soins (PCS), « au sens le plus communément compris, est la capacité de la profession vétérinaire prise collectivement d’assurer des soins aux animaux en situation d’urgence, quels que soient l’espèce, le lieu, le jour et l’heure », définit Jacques Guérin, le président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires. Elle est « ni plus ni moins que de la contrainte la plus forte qui pèse sur la profession vétérinaire », convient-il. Elle est en effet difficilement conciliable avec un équilibre entre les sphères privées et professionnelles, elle fragilise les vétérinaires en menaçant leur santé, et la réception du public en dehors des horaires d’ouverture concentre les problèmes d’incivilités.

De plus, « elle pose le problème d’une inégalité entre les vétérinai­res, selon leur implantation géographique, la taille de leur structure, les espèces soignées, l’orientation médico-chirurgicale, et la possibilité pour les animaux concernés d’être ou non déplacés chez le vétérinaire », ajoute Jean-Yves Gauchot, président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF) et vice-président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL). En 2018, elle a été faite cause ordinale par Jacques Guérin, « afin de provoquer les conditions d’une réflexion professionnelle large face au constat que bon nombre de vétérinaires s’exo­nè­rent des contraintes de PCS, reportant sur ceux qui l’acceptent une pression de plus en plus forte, parfois intolérable », explique-t-il.

Des solutions diverses

Quelques solutions ont émergé, en fonction des bassins de vie, des espèces concernées et des compétences disponibles, mais essentiellement en zones urbaines. Le cas le plus fréquent est l’établissement d’une convention de PCS entre plusieurs structures vétérinaires, avec un tour de garde organisé, pour réduire le nombre de nuits et de week-ends par praticien, tout en garantissant une rentabilité correcte. Dans certaines agglomérations, un numéro de téléphone est mis en commun, sur le principe d’une adhésion payante. De plus, des plateformes téléphoniques filtrant les appels non urgents se sont créés. Ce service, qui permet au praticien de se consacrer aux soins est rémunéré à l’appel ou selon des forfaits. D’autres part, des services réservés aux gardes pour les animaux de compagnie en dehors des horaires d’ouverture des établissements de soins vétérinaires ont émergé dans les grands centres urbains. Ils sont assurés à domicile ou à travers des maisons de garde, adossées ou non à une activité diurne ou spécialisée. L’obligation de convention pèse sur le vétérinaire qui décide de faire assurer sa PCS par ces sociétés, mais certaines d’entre elles ne font pas payer de convention et facturent directement au client. Les centres hospitaliers vétérinaires peuvent assurer aussi les urgences pour les structures référentes, sans contrepartie financière.

Les zones rurales particulièrement impactées

Cependant, dans les territoires ruraux à faible densité vétérinaire, la contractualisation de la PCS est limitée, car le regroupement des structures implique un temps important de déplacement, et les urgences petits animaux surchargent les confrères mixtes. Ainsi, la PCS « devient un élément de déstructuration du maillage vétérinaire parce qu’elle est une contrainte impossible à tenir par un professionnel isolé sans influer sur son bien-être et sa santé », constate Jacques Guérin. Il précise cependant qu’« à l’impossible nul n’est tenu ! Il n’est pas question que les praticiens mettent leur vie en danger. Les vétérinaires dans une telle situation doivent le faire savoir à leurs clients, à l’administration et aux élus des territoires. Dans ces zo­nes de désertification, les solutions ne relèvent plus d’une économie de marché, mais bien d’une régulation administrée par l’État au titre d’un engagement de service public. » « Les syndicats vétérinaires demandent depuis longtemps un investissement de l’État en faveur de nouvelles missions vétérinaires », confirme Jean-Yves Gauchot. Pour lui, l’organisation de la PCS est une contrainte qui pèse de plus en plus lourdement, et est perçue comme disproportionnée face à l’absence de politique publique en faveur de ceux qui l’organisent. « Sans maillage et sans rémunération et reconnaissance de la veille épidémiologique, les attentes sociétales vis-à-vis de la profession vétérinaire ne pourront être remplies, et la menace est grande d’une perte de sens par les générations futures des notions de missions de service publique et de santé publique vétérinaire », prévient-il.

Une charge économique

Dans tous les cas, il s’agit d’une charge économique lourde. Jean-Yves Gauchot constate que « le coût de la seule astreinte non dérangée sur une année est compris entre 30 000 et 40 000 € par équivalent temps plein, et qu’il n’est que très rarement compensée par les recettes, y compris dans des structures comportant de nombreux vétérinaires ». Pour ceux qui ne peuvent pas partager cette charge, elle n’a aucune rentabilité économique, avec une inégalité majeure entre vétérinaires, selon que leur est offerte ou non la possibilité de partager la PCS. Notre confrère évoque quelques pistes de financement envisagées par les syndicats vétérinaires pour contrebalancer cette inégalité. Il s’agirait notamment d’un traitement fiscal ou social plus favorable de l’activité PCS, un compte pénibilité des retraites, ou la possibilité de se déclarer en omission lors de problèmes, le temps nécessaire au maintien de l’équilibre entre les vies privée et professionnelle, ou pour les confrères âgés. Dans les territoires ruraux, pourraient également être instauré une rémunération sur objectif de santé publique (RSOP) vétérinaire, ou une participation financière des collectivités territoriales au fonctionnement de la structure ou à la régulation des gardes par une plateforme, au prorata de l’activité animaux de rente assurée. Enfin, la délivrance des médicaments dans les élevages ne devrait être possible que pour les vétérinaires assurant ce service.

77 % des confrères sondés pointent un déséquilibre entre vie personnelle et professionnelle

67,5 % évoquent un sentiment de corvéabilité

TÉMOIGNAGE
JEAN-PIERRE DAMAN
Praticien rural à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire) Un service dû aux clients

J’ai commencé ma carrière comme salarié, de garde non rémunérée un jour sur deux et un week-end sur deux. Je me suis ensuite associé dans le Charolais, où nous étions d’astreinte 24 h/24 de novembre à mai. Nous compensions par une ambiance de travail agréable et de longues vacances en été. La structure a grandi, mais nous faisons face à des clients canins qui appellent à n’importe quelle heure, pour tout et rien. Augmenter les suppléments de garde n’a pas résolu ces problèmes, mais la mise en place d’un répondeur avec choix a pratiquement éliminé les appels inutiles. La PCS m’est toujours apparue comme une obligation inhérente à ma profession, un service que je devais à mes clients. Je me suis efforcé de rendre cette servitude la plus acceptable possible, et de la compenser par d’autres avantages, le premier étant de pratiquer un métier qui me passionne, dans une ambiance agréable. Je n’ai pas l’impression d’y avoir sacrifié ma vie de famille, et mon fils a aussi embrassé la profession dans le Charolais.

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