LE PARI DU RECRUTEMENT POST-BAC - La Semaine Vétérinaire n° 1837 du 17/01/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1837 du 17/01/2020

ENSEIGNEMENT

ANALYSE

Auteur(s) : TANIT HALFON

À partir de 2021, les écoles nationales vétérinaires seront accessibles en post-bac. Une nouvelle voie qui ambitionne d’apporter plus de diversité dans un système jugé trop élitiste, non sans soulever certaines craintes.

Ça bouge dans les écoles vétérinaires ! Dès la rentrée 2021, il sera possible d’intégrer une ENV directement après l’obtention du baccalauréat, pour y suivre un cycle préparatoire intégré (CPI) d’une année. 160 places sont ouvertes, soit 25 % du recrutement, et remplaceront une partie des places de la voie des classes préparatoires (voie A). Premiè­re raison : la durée des études, de 1,5 à 2 ans supérieure à celle des autres pays européens pour lesquels la durée moyenne est de six ans. « C’est un record européen : deux tiers des élèves français suivent près de huit an­nées d’études ! », souligne Marc Gogny, directeur adjoint d’Oniris, et qui a été missionné par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation pour réfléchir à la mise en œuvre opérationnelle de la réforme. En plus, « en France, les enseignements de biologie animale en classe préparatoire biologie-chimie-physi­que-sciences de la terre (BCPST) ne représente que 7 % du total des enseignements dispensés en classe préparatoire qui ne peut pas être con­sidérée com­me faisant partie des études vétérinaires1 », explique Jérôme Coppalle, sous-directeur de l’enseignement supérieur à la Direction générale de l’enseignement et de la recherche du ministère. Conséquence : « des coûts pour les jeunes, leurs familles mais aussi les comptes sociaux », souligne-t-il. Sans oublier un décalage pour les cotisations retraite. Une volonté donc de se rapprocher du modèle dominant en Europe, qui sélectionne précocement et souvent d’ailleurs en post-bac. Autre ambition de la réforme : favoriser la diversité sociale et territoriale. « Les études sociologiques montrent que de nom­breux jeunes bacheliers prometteurs issus de familles populaires, de territoires ruraux ou des banlieues, peu initiées à l’enseignement supérieur, préfèrent s’orienter vers des cursus conduisant à un métier », souligne Jérôme Coppalle, en parlant de la voie prépa comme d’un « obstacle culturel ».

« Nous ne pouvons pas spécialiser nos écoles »

Cette diversité est d’autant plus recherchée qu’elle promet d’avoir des jeunes potentiellement plus enclins à envisager le métier de praticien, tout comme d’exercer en milieu rural. « Les étudiants recrutés dans les ENV par le concours A sont certes très doués d’un point de vue cognitif mais n’ont pas nécessairement toutes les aptitudes pour devenir de bons cliniciens. La littérature en sciences de l’éducation le montre bien pour les médecins », constate Jérôme Coppalle. « Aujourd’hui, le concours A amène des étudiants majoritairement issus des grandes métropoles », ajoute Marc Gogny, qui nuance cependant : « Il est probable que ce système contribue à favoriser les installations dans les zones à forte densité d’élevage. Dans les autres, il est clair que la solution passe par des solutions alternatives à la seule économie de marché. » « Nous ne pouvons pas spécialiser nos écoles, nous ne pouvons pas rendre le métier de vétérinaire en zone rurale plus attractif, nous jouons sur les leviers qui sont à notre portée pour répondre à la problématique », complète aussi Christophe Degueurce, directeur de l’école nationale vétérinaire d’Alfort. Et pourquoi pas augmenter la place pour les autres voies de recrutement ? « Le nombre de places au con­cours C, qui apporte des BTS agricoles qui s’orientent plus fortement vers les activités en productions animales a été fortement augmenté ces dernières années, mais aujourd’hui nous sommes arrivés à la limite puisque le nombre de places offertes au concours C agro/véto est supérieur au nombre de reçus », précise Jérôme Coppalle. Dans un tel contexte, et en parallèle, certains vont plus loin et réfléchissent à la création d’une cinquième école vétérinaire, privée elle2, et ce, malgré les évolutions de recrutement en cours dans les écoles, notamment l’augmentation du numerus clausus ces dernières années.

Diversité et excellence

Si l’intention de diversité semble difficilement critiquable, certains s’inquiètent du niveau scientifique ces futurs étudiants. « Les étudiants recrutés par cette voie bénéficieront de six ans d’études vétérinaires en ENV, comme la plupart de leurs homologues des facultés vétérinaires européennes, contre cinq ans pour les lauréats des autres concours, dont le con­cours A », martèle Jérôme Coppalle. Avec une formation dont le contenu sera, de plus, davantage utile. « C’est une innovation qui permettra de construire une année de préparation avec un cursus mieux adapté aux besoins de la formation vétérinaire », indique Emmanuelle Soubeyran, directrice de VetAgro Sup. « On ne peut pas, d’un cô­té, considérer que certains contenus de BCPST ne sont pas utiles pour un vétérinaire et, de l’autre, qu’une année de CPI, dont le contenu sera défini par les ENV, conduirait à une formation au rabais », complète Pierre Sans, directeur de l’école nationale vétérinaire de Toulouse. Qui explique aussi que « la maîtrise du recrutement par les écoles est une demande dans tous les systèmes d’accréditation des formations vétérinaires dans le monde. » En outre, « une validation de la totalité des enseignements est requise », explique Marc Gogny. à cela s’ajoute une sélection drastique post-bac, et réservée uniquement aux primo-bacheliers. D’abord via ParcoursSup, dans lequel un algorithme intégrera des composantes de notes, mais aussi des critères sociaux (« Il est possible de fixer un taux minimal de boursiers ») et géographiques. « Ce premier filtre permettra d’arriver à 700 étudiants. Suivront ensuite des mini-entretiens multiples : il s’agit de plusieurs ateliers scénarisés qui permet­tront d’explorer les capacités non académiques des candidats, ou encore leur habilité manuelle. Ce genre d’outils est déjà utilisé avec succès dans d’autres pays dans les facultés de médecine ou vétérinaire ! », se réjouit Marc Gogny. Ces filtres parviendront-ils à permettre une vraie diversité ? Une diversité suffisante, de plus, pour satisfaire l’ensemble des métiers de vétérinaire, et pas seulement celui de praticien ?

Une évolution globale du recrutement

Le CPI, une révolution ? Pas sûr… « L’époque de la “prépa véto” voie unique d’accès aux ENV est révolue depuis 2004, rappelle Jérôme Coppalle. Aujourd’hui, on accède aux ENV par cinq voies de concours. Si on prend l’ensem­ble des nouveaux inscrits à l’Ordre, y compris les diplômés des facultés vétérinaires européennes, 64 % ne sont pas passés par la classe préparatoire. C’est une réalité, il faut en avoir conscience et savoir prendre de la distance par rapport à son propre parcours. » Ces autres voies font aussi l’objet de changements, toujours avec le but de réduire les études. Pour le concours C, il n’est pas possible de redoubler la classe ATS3-bio. Pour la voie B, il sera possible de passer le concours en deuxième année de licence contre L3 actuellement. « Il est probable aussi qu’un bonus de points restant à définir sera attribué à ceux qui présentent le concours A pour la première fois pour réduire la durée totale des études et décourager les 5/2 », précise Jérôme Coppalle. En outre, le concours A va être adapté pour tenir compte de la réforme du lycée : simplification du nombre d’épreuves, et entretien scientifique et professionnel. Et aux inquiets, Marc Gogny affirme : « Ce n’est pas l’objectif de supprimer la classe préparatoire, on ne cherche pas l’uniformisation. » Christophe Degueurce en est sûr : « Cinq années plus tard, plus personne ne se souviendra que ce fut autrement autrefois. »

1. Selon la directive européenne 2005/36 qui définit les études vétérinaires, il faut obligatoirement 5 ans d’études au sein d’une école ou faculté vétérinaire.

2. Voir La Semaine Vétérinaire n° 1831 du 22/11/2019, pages 14 et 15.

3. Adaptation technicien supérieur.

Et les sous ?

Qui va payer le recrutement post-bac ? L’État. « dégagé des moyens pour recruter des enseignants pour le cycle préparatoire intégré. En cette période de contrainte nous avons budgétaire, il s’agit d’un effort significatif. Pour les étudiants et leurs familles, ils économiseront une à deux années d’études en bcpst, mais auront six ans d’études en env. Les boursiers sont dispensés du paiement des frais d’inscription en env », précise jérôme coppalle. Marc gogny complète : « il est prévu quatre etp par école. Les enseignants seront des professeurs agrégés de l’enseignement agricole. Des enseignants-chercheurs de nos écoles, ainsi que des vacataires extérieurs seront mobilisés pour certaines disciplines. » Dans une période de contraintes budgétaires, justement, pourquoi ne pas avoir permis de passer directement le concours dès la première année de classe prépa pour éviter ces frais supplémentaires ? D’autant que cela aurait répondu parfaitement aux objectifs visés. En réalité, cela avait été envisagé par la tutelle. Mais la proposition aurait obtenu une fin de non recevoir de la part du ministère de l’Éducation nationale.

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