Vétérinaires et quotas d’immigration : un non-sujet ? - La Semaine Vétérinaire n° 1834 du 13/12/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1834 du 13/12/2019

TRAVAIL

ACTU

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL  

Le gouvernement a confirmé l’instauration de quotas d’immigration pour les métiers dits en tension. Selon une enquête de Pôle emploi sur les besoins en main-d’œuvre, la profession vétérinaire pourrait être concernée par cette mesure. Si sur le papier, la solution semble toute trouvée, il n’est pas certain qu’il s’agisse du remède miracle pour maintenir le maillage vétérinaire.

Vétérinaires, caissiers, aides à domicile, agriculteurs, employés de restauration, carrossiers, etc. Quel est le point commun entre ces métiers ? La pénurie de main-d’œuvre. Il s’agit de métiers marqués par des difficultés de recrutement et pour lesquels le gouvernement semble opter pour l’immigration professionnelle comme solution à la crise. Le gouvernement doit encore mettre à jour la liste des métiers concernés en s’appuyant sur des données fournies par Pôle emploi. Il est probable que la profession vétérinaire y figure. Elle fait en effet partie des métiers en tension identifiés par l’enquête sur les besoins en main-d’œuvre menée par Pôle emploi. Alors, la France ira-t-elle chercher des vétérinaires étrangers pour répondre aux besoins du marché du travail ? Cela pourrait être le cas, et ce dès 2020 avec la mise en place par le gouvernement de « quotas d’immigration professionnelle ». Mais pour Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), « il ne s’agit pas uniquement d’une question de chiffres, mais d’incitations et de diversité du recrutement. » D’autres leviers sont à mobiliser.

Des difficultés de recrutement

Tout part de l’enquête1 Besoins en main-d’œuvre (BMO) effectuée chaque année par Pôle emploi, qui cite la profession vétérinaire parmi les métiers en tension. Cyril Nouveau, directeur des statistiques, des études et de l’évaluation de Pôle emploi, indique que ce travail, réalisé chaque année depuis 2002 auprès d’employeurs dont les professions libérales (environ 1,6 millions d’établissements pour l’enquête de 2019), vise à connaître leur nombre de projets de recrutement pour l’année à venir et les difficultés qu’ils anticipent éventuellement pour ces recrutements. Les données obtenues pour le secteur vétérinaire démontrent qu’il est bien en demande de main-d’œuvre. « Dans le cadre de l’enquête de 2019, les employeurs déclarant des projets de recrutements de vétérinaires anticipent des difficultés pour 81,6 % de ces projets ; pour l’ensemble des métiers, ce pourcentage est de 50,1 % », explique Cyril Nouveau. Toutefois, les données de cette enquête ne permettent pas de savoir si ce besoin en main-d’œuvre concerne en priorité l’exercice vétérinaire en clientèle. Il est donc difficile d’affirmer que cette pénurie touche principalement les cabinets vétérinaires. « La quasi-totalité des projets de recrutement sont faits par des d’établissements dont le secteur d’activité relève des activités vétérinaires. Il peut s’agir, par exemple, de cabinets ou de cliniques vétérinaires. Quelques projets sont également le fait d’établissement dont l’activité principale relève de l’agriculture, l’administration publique et l’enseignement », développe Cyril Nouveau.

Des données toutefois limitées

De même, l’enquête ne permet pas de connaître les profils recherchés par les employeurs interrogés. « Dans l’enquête Besoin en mains-d’œuvre, les questions sur le nombre de projets de recrutements et les difficultés anticipées sont posées à tous les employeurs interrogés, ce qui permet d’avoir des résultats fins par métier et bassin d’emploi. En revanche, les questions plus détaillées sur la nature des difficultés de recrutement ne sont posées qu’à un échantillon plus restreint de 20 000 employeurs. Ce sont des informations utiles, mais cet échantillon ne permet pas d’obtenir des résultats repré sentatifs pour un métier fin comme celui de vétérinaire », poursuit Cyril Nouveau. De son côté, Jacques Guérin constate que le codage utilisé par Pôle emploi pose question. « Par exemple, nous voyons arriver des dossiers avec un code vétérinaire, or ceux-ci concernent des ostéopathes non vétérinaires, des techniciens dentaires équins ou des auxiliaires vétérinaires », indique-t-il. Cette enquête connaît ainsi quelques limites. Le gouvernement lancera-t-il une concertation avec les organisations professionnelles pour répondre avec efficacité à la problématique de recrutement dans le secteur vétérinaire ? Contacté par nos soins, le ministère du Travail n’a, pour l’instant, pas donné suite à nos sollicitations. Aussi, l’instauration de quotas d’immigration professionnelle suffira-t-elle à enrayer la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur vétérinaire ? D’autant qu’il est déjà possible sous certaines conditions à des vétérinaires issus de pays tiers à l’Union européenne d’exercer en France. « Ce n’est pas en faisant venir 200 vétérinaires de l’Union européenne ou de pays tiers que le problème sera résolu », indique le président du CNOV.

Une solution déjà en place

Pour Jacques Guérin, il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a pas de tension sur le métier vétérinaire. « Nous sommes confrontés à des problèmes réels de recrutement. Selon une étude prospective attendue, nous faisons face à un déficit de vétérinaires de l’ordre de 150 à 200 praticiens. Mais nous restons sur des petits volumes », explique-t-il. Recruter ailleurs ne semble pas en effet suffire pour consolider le maillage vétérinaire. Le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation indique, dans une note concernant l’accès à la profession vétérinaire en France pour les non-diplômés des États membres de l’Union européenne, qu’une soixantaine de candidats se présentent chaque année à un contrôle2 des connaissances organisé à Oniris, à Nantes (Loire-Atlantique). Leurs connaissances et savoir-faire de base équivalents à ceux requis en France pour exercer la profession de vétérinaire sont évalués. Les pays de formation de ces candidats sont principalement l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, le Sénégal, le Canada et quelques pays d’Amérique du Sud. Le ministère indique que, sur environ 50 à 60 candidats présentant chaque année cet examen, une douzaine d’entre eux sont admis à exercer la médecine et la chirurgie des animaux, sous réserve de leur inscription à l’Ordre des vétérinaires. Il n’est pas certain que l’instauration de quotas séduira davantage de vétérinaires. Au 24 novembre 2019, 185 vétérinaires diplômés (sur le nombre total de vétérinaires en exercice) au sein d’un pays tiers exerçaient en France. Ce chiffre reste stable depuis quelques années (infographie ci-dessus).

D’autres pistes à encourager

Selon le président du CNOV, le problème n’est pas « qu’une histoire de chiffres, mais aussi un manque d’incitation à garder les vétérinaires dans les territoires ruraux ». Il constate que le marché de l’animal de compagnie a une croissance soutenue. « Les établissements de soins vétérinaires peuvent y connaître des gains de productivité et l’exercice auprès des animaux de compagnie semble plus respectueux de l’équilibre vie privée/vie professionnelle. Quand l’exercice rural devient difficile et contraignant. J’attire l’attention du ministère de l’Agriculture sur les conditions de travail de nos confrères qui exercent en rurale. Si on ne les protège pas, ils migreront naturellement vers un exercice auprès des animaux de compagnie », alerte Jacques Guérin. Selon lui, d’autres leviers sont à mobiliser pour maintenir le maillage vétérinaire. « Nous voulons faire comprendre aux pouvoirs publics que l’économie des cabinets vétérinaires en rurale pour certains actes, notamment ceux liés à l’habilitation sanitaire, ne permet pas un équilibre financier. Je pense que ce débat est révélateur d’une feuille de route qui n’avance pas », poursuit-il. Comme pistes à encourager, il cite notamment, l’idée de diversifier les voies d’entrée dans les écoles vétérinaires ou ouvrant celle du recrutement post-bac et celle de l’entretien de motivation et savoir être.

1 bit.ly/2YAq2Ok.

2 bit.ly/36qb4wZ.

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