La transfusion dans un contexte chirurgical - La Semaine Vétérinaire n° 1833 du 06/12/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1833 du 06/12/2019

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : GWENAËL OUTTERS  

La transfusion entre dans l’arsenal thérapeutique pour la stabilisation d’un animal dans sa période périopératoire. Elle se pratique en fonction de l’évaluation préchirurgicale pour anticiper les besoins transfusionnels : anémie, hémorragie ou risque d’hémorragie, troubles de la coagulation (coagulation intravasculaire disséminée ou CIVD).

Groupage des animaux

- L’idéal est d’avoir groupé le donneur et le receveur avant la chirurgie. Les kits de groupage par technique d’immunochromatographie sont désormais pratiques et complets. La conférencière conseille ceux du laboratoire Alvedia (Quick Test® chez le chien et Quick Test Lab Test A+B® chez le chat).

- Chez le chien, huit groupes sanguins sont dénombrés, numérotés de 1 à 8, précédés de DEA (dog erythrocyte antigen). Le système DEA1 est le principal, car le plus immunogène (DEA1+ et DEA1- en fonction de la présence ou non d’anticorps sur les globules rouges). Le chien n’a pas d’allo-anticorps naturels contre le groupe sanguin qui n’est pas le sien, ce qui permet de réaliser une première transfusion “à l’aveugle”. Après celle-ci, les chiens DEA1- qui ont reçu du sang d’un autre groupe vont synthétiser des anticorps et présenter une réaction transfusionnelle lors des transfusions suivantes si le groupe n’est pas respecté.

- Les chats ont trois groupes sanguins, A (85 %), B (13 %) et AB (2 %), et possèdent des allo-anticorps pour les groupes A et B dirigés contre le groupe qui n’est pas le leur. Une réaction transfusionnelle violente peut donc apparaître dès la première transfusion. Le groupage est donc indispensable.

- Un cross match est toujours recommandé si une réaction a été notée au cours d’une première transfusion, lorsque plus de 4 jours se sont écoulés entre deux transfusions et si le passé transfusionnel du receveur est inconnu.

Indications de la transfusion

La décision de transfuser repose essentiellement sur l’évaluation clinique de l’animal. Le but est de le stabiliser avant, pendant ou après l’intervention chirurgicale. L’hématocrite (inférieur à 20 %) et l’hémoglobinémie (inférieure à 6 g/l) sont également des facteurs décisionnels. Le suivi des protéines totales est particulièrement intéressant puisqu’elles vont être modifiées avant la chute de la lignée rouge lors de saignements. L’intérêt de la transfusion lors de thrombopénie est discutable, puisque le sang n’apporte pas suffisamment de plaquettes. Elle est cependant intéressante pour pallier la perte de globules rouges liée aux saignements présents lors de thrombopénie sévère. La CIVD est une indication de la transfusion pour apporter les facteurs de coagulation, en parallèle de la gestion de la cause. Dans ce cas, seul du plasma pourra être utilisé en fonction de la valeur de l’hémoglobinémie.

Prélèvement du donneur

- Le donneur idéal est un animal adulte, entre 1 et 8 ans, de plus de 20 kg chez le chien et 3,5 kg chez le chat, sans traitement en cours, correctement vacciné et vermifugé, en bonne santé, testé contre les maladies vectorielles régionales, et les virus de la leucose féline (FeLV) et de l’immunodéficience féline (FIV) chez le chat, n’ayant pas donné son sang dans les 6 semaines précédentes et n’ayant jamais été transfusé de sa vie pour éviter de majorer le risque de réaction transfusionnelle. « Nos clientèles sont notre banque de donneurs et les propriétaires sont souvent ravis d’être sollicités pour des dons de sang », souligne notre consœur.

- Le prélèvement se réalise stérilement : tonte, asepsie locale et gants.

- Chez le chien, il se fait généralement au niveau de la jugulaire, sur un animal tranquillisé. Le volume prélevé est de 15 à 20 ml/kg, à l’aide d’un système clos : grand trocart relié à la tubulure et à la poche contenant l’anticoagulant, dont la taille est adaptée au format du chien. Avant de ponctionner la jugulaire, l’anticoagulant doit être remonté jusqu’à l’aiguille.

- Le chat nécessite une anesthésie. Le prélèvement est réalisé avec une seringue de 60 ml montée d’une aiguille épicrânienne, en une seule fois (ponction de 10 ml/kg). Puis le sang est réinjecté dans une poche de 100 ml préalablement vidée. Avant le prélèvement, une solution d’anticoagulant (acide citrique, citrate, dextrose [ACD]) est aspirée dans la seringue à raison de 1 ml d’anticoagulant pour 7 ml de sang à prélever, dont une partie est injectée afin de remplir la tubulure de l’épicrânienne jusqu’au biseau de l’aiguille. À noter qu’il existe maintenant des systèmes de prélèvements et des poches de transfusions adaptés aux chats1, facilitant le prélèvement et l’administration dans cette espèce.

- Pendant le prélèvement, il convient d’assurer un mélange continu du sang et de l’anticoagulant. Une poche de sang peut se conserver 28 jours au réfrigérateur entre 1 et 5 °C.

Administration au receveur

- La quantité de sang à administrer à l’animal dépend de l’évaluation clinique et de l’amélioration recherchée. Les formules faisant intervenir l’hématocrite du donneur et du receveur sont peu employées. Une dose de 20 ml/kg (hématocrite du donneur de 35 à 45 %) permet de faire augmenter l’hématocrite du receveur de 10 %. La durée totale de la transfusion ne doit jamais dépasser 4 heures ; au-delà, les risques de contamination septique augmentent de façon exponentielle. La transfusion nécessite des tubulures à filtre pour retenir les caillots. Les perfusions en parallèle sont arrêtées, surtout le Ringer lactate, dont le calcium cristallise au contact de l’anticoagulant.

- Si l’animal est stable, la transfusion est passée lentement, 1 à 2 ml/kg, les 15 premières minutes pour repérer une réaction transfusionnelle. Le débit est ensuite progressivement augmenté pour atteindre 7 à 10 ml/kg et permettre de passer le volume imparti en moins de 4 heures. Il est modulé en fonction d’éventuelles complications (agitation, polypnée, hyperthermie, hypertension, tachycardie).

- Sur un animal instable, la priorité étant la transfusion, le débit est d’emblée important, guidé ensuite par l’amélioration clinique. Il convient de rechercher et de traiter les saignements en parallèle. Une pression artérielle faible est recherchée pour éviter d’aggraver les saignements.

- En cas de réaction transfusionnelle, il est nécessaire de stopper la transfusion, de mettre en place une fluidothérapie (chlorure de sodium 0,9 %) et de trouver un autre donneur. L’administration de corticoïdes est infructueuse.

Autres modalités de transfusion

- L’autotransfusion consiste à prélever le sang de l’animal présent dans une cavité (abdomen, thorax) et à le lui réadminister. Cette pratique est désormais étayée par quelques données scientifiques. Elle diminue le risque transfusionnel et celui de transmission d’agents infectieux, permet de s’affranchir des problèmes d’accessibilité aux produits sanguins, pour un coût faible. En revanche, elle présente des risques de contamination bactérienne, tandis que les globules rouges sont plus abîmés que ceux prélevés sur un donneur. Le sang des cavités perd ses facteurs de coagulation au contact des mésos. L’autotransfusion pourrait donc être à l’origine de troubles de la coagulation et d’hypercalcémie. Cet effet est cependant peu décrit dans les études. Le sang des cavités est récolté stérilement, sans anticoagulant (sauf en cas de rupture immédiate d’un vaisseau, auquel auquel cas 1/7 de ml d’ACD est ajouté). L’administration est la même que pour une transfusion. L’autotransfusion est contre-indiquée lors d’hémoabdomen associé à une péritonite septique. En revanche, rien ne l’empêche lors de processus tumoral (exemple : hémangiosarcome splénique), les études ne montrant pas de mortalité supérieure.

- La xénotransfusion consiste à donner du sang de chien à un chat. Elle permet de s’affranchir de la disponibilité en produits sanguins. Il y a moins de risque à transfuser un chat avec le sang d’un chien qu’avec le sang d’un chat non compatible. Cependant, l’immunisation est extrêmement rapide et forte (ne jamais renouveler une xénotransfusion) et la durée de vie des globules rouges est bien plus faible. Cette technique permet juste de se donner le temps de trouver un donneur compatible.

1 alvedia.com/blood-bags.

Céline Pouzot-Nevoret Diplomate ECVECC, maître de conférences en urgences et réanimation, responsable de l’unité Siamu de VetAgro Sup. Article rédigé d’après une conférence présentée au congrès de l’Afvac 2018 à Marseille (Bouches-du-Rhône).

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