Emploi raisonné des antiémétiques et des antiacides - La Semaine Vétérinaire n° 1831 du 22/11/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1831 du 22/11/2019

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : CORINNE LESAINE  

Les vomissements représentent un motif de consultation fréquent mais peu spécifique, qui nécessite une démarche diagnostique et étiologique complète. Leur prise en charge thérapeutique doit être raisonnée, tout particulièrement lors de l’utilisation d’antiémétiques ou d’antiacides, qui présentent de nombreuses indications mais aussi des contre-indications.

Relever le défi diagnostique face aux vomissements

En premier lieu, bien définir s’il s’agit de vomissements et les distinguer des régurgitations (spécifiques de l’œsophage). Un vomissement est un rejet actif du contenu gastrique d’origine réflexe, précédé par une nausée, se traduisant par des efforts répétés de déglutition, de l’hypersalivation, une agitation et par des contractions abdominales. Face à des vomissements confirmés par les commémoratifs, il est essentiel de les catégoriser, en vomissements aigus ou chroniques (persistant depuis plus de 1 semaine), incoercibles (associés à des maladies graves comme la pancréatite ou un syndrome obstructif) ou intermittents (troubles fonctionnels avec peu de répercussions cliniques). La recherche d’autres signes cliniques extradigestifs complète l’examen (abattement, polyuro-polydipsie, anorexie, ictère, troubles neurologiques). Si les vomissements sont liés à une prise alimentaire, dans ce cas, sont-ils alors immédiats (intolérance à l’aliment, maladie inflammatoire aiguë) ou différés (rétention gastrique) ? Quel aspect revêtent-ils (liquidiens, alimentaires, présence de sang) ? Des questions importantes pour le praticien dans le choix de l’antiémétique.

Pour une bonne prise en charge clinique, la palpation abdominale et le toucher rectal sont complétés systématiquement par un examen clinique afin d’évaluer l’animal en le plaçant ainsi dans l’une des deux catégories suivantes : avec vomissements sans atteinte générale, qui feront penser à des causes parasitaires, nutritionnelles, environnementales ou fonctionnelles purement digestives, et vomissements avec atteinte générale et/ou signes systémiques, qui feront appel aux examens complémentaires (bilan biologique, imagerie médicale, endoscopie et biopsie digestive). Selon Patrick Lecoindre, « il est dommage, sur un jeune chien qui présente des vomissements, de pratiquer une endoscopie alors qu’il s’agit d’un problème parasitaire. Il existe d’autres moyens moins invasifs pour faire un diagnostic de parasitose ».

Quels antiémétiques utiliser?

Origine des vomissements

Pour comprendre le fonctionnement des antiémétiques, il est utile de rappeler que les vomissements sont des phénomènes réflexes et complexes, dont le centre effecteur, situé au niveau du système nerveux central, reçoit des afférences d’origine différentes : viscérales, vestibulaires (mal des transports, syndrome vestibulaire central ou périphérique), centrales lors d’hypertension ou de tumeur cérébrale, d’œdème, d’hémorragie, d’inflammation des méninges et de la zone chémosensible, zone où la barrière hémato-méningée est incomplète donc sensible aux molécules véhiculées par le sang (toxines, médicaments, modifications métaboliques), etc. Même si les stimuli principaux proviennent soit de la zone chémosensible, soit des récepteurs émétiques périphériques, présents dans le tube digestif, dont le duodénum, et dans d’autres viscères abdominaux (utérus, prostate, vésicule biliaire), des facteurs psychiques (peur, stress, excitation) peuvent également déclencher des vomissements. Plusieurs neurotransmetteurs, la dopamine, la sérotonine, l’histamine, l’acétylcholine ou les neurokinines, en activant certains récepteurs membranaires, stimulent le centre du vomissement situé dans la moelle allongée.

Différents antiémétiques pour différentes indications

Différentes classes d’antiémétiques ont une action directe sur ces récepteurs (beaucoup n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché vétérinaire), que l’on peut prescrire selon l’origine des vomissements, l’intensité des symptômes et le stade d’intervention (préventif, curatif ou à distance de la cause) :

- les antagonistes de l’histamine H1 (dimenhydrinate, notamment), intéressants pour le mal des transports ;

-les antiémétiques antidopaminergiques agissent au niveau périphérique (dompéridone1), d’autres aux niveaux central et périphérique (métoclopramide). Ils sont particulièrement indiqués dans les vomissements d’origine digestive (affections inflammatoires du tractus digestif, reflux gastro-œsophagien, hypomotilité gastrique, iléus fonctionnel), contre-indiqués lors d’obstruction digestive (gastrique ou intestinale). L’action centrale du métoclopramide permet son emploi plus large lors d’affections extradigestives (maladie hépatique, pyomètre, prostatite, etc.). Les antidopaminergiques avec une action périphérique ont également une action prokinétique, aidant à la vidange gastrique.

- les antagonistes de la sérotonine 5HT3, très utilisés chez l’homme en prévention des nausées liées à la chimiothérapie (ondansétron1) ;

- les antagonistes de la neurokinine NK1 (maropitant) agissent en inhibant la liaison de la substance P, une action strictement centrale. Pour les affections du système nerveux central, les vomissements étant systématiquement associés, le maropitant en première intention est un bon choix. Il est souvent indiqué pour contrôler les vomissements associés à une pancréatite, à une cholécystite ou à une péritonite, avec de plus un effet antalgique très intéressant dans ces affections. N’ayant pas d’effet prokinétique, il est utilisé lors d’affections où cet effet n’est pas souhaité. Toutefois, son emploi de façon prolongée est dangereux lorsque la cause n’est pas identifiée et le maropitant et il doit être utilisé avec précaution chez les animaux souffrant de troubles hépatiques.

- bien qu’il ne s’agisse pas d’antiémétique stricto sensu, les corticoïdes ont un effet antiémétique particulièrement indiqué lors d’hypertension intracrânienne.

Contre-indications

Les contre-indications majeures concernent les maladies obstructives et les perforations digestives. Les médicaments antiémétiques, dans ce cas, masquent les symptômes : le maropitant supprime les vomissements, ce qui rend le diagnostic étiologique impossible, tandis qu’un antidopaminergique est proscrit en raison de son action prokinétique.

Quand utiliser les antiacides ou les antisécrétoires ?

« Sans acides, pas d’ulcères », souligne Patrick Lecoindre. S’il y a toujours une participation de l’acidité gastrique dans les maladies inflammatoires digestives, c’est surtout l’association à la fois des ions H+ et d’un déficit de la barrière muqueuse qui favorise l’apparition des ulcères. Les molécules qui agissent sur l’acidité gastrique regroupent les antiacides au sens strict (les mucoprotecteurs) et les antisécrétoires ou antiulcéreux, qui ont un effet sur le mécanisme de sécrétion (qui sont donc plus efficaces). L’intérêt principal des antiacides est la rapidité d’action : en diminuant l’acidité gastrique, l’animal est soulagé et la cicatrisation accélérée. À l’inverse, ils sont rapidement éliminés (plusieurs prises par jour sont nécessaires), ralentissent la vidange gastrique et diminuent l’absorption des autres médicaments, comme les quinolones (prescription à intervalle de 2 heures).

Les indications sont nombreuses, les antiacides étant souvent associés à un antisécrétoire et à un antiémétique : le sucralfate et les sels d’aluminium pour les troubles fonctionnels liés à une atteinte de l’œsophage et les antrites de reflux, le phosphate d’aluminium pour les lésions inflammatoires bénignes du tractus digestif supérieur et lié à un inconfort dû à l’acidité. Les antisécrétoires antihistamine H2 (cimétidine1, ranitidine1 avec un effet prokinétique, famotidine1) et les inhibiteurs de la pompe à protons (oméprazole1, lanzoprozole1) plus efficaces, utilisés sur de longues périodes nécessitant un sevrage, sont utilisés majoritairement en médecine vétérinaire, mais l’association de ces deux classes thérapeutiques n’est pas recommandée2.

L’utilisation et le choix d’un antiacide dépendent de l’origine de l’hématémèse et de l’intensité des symptômes, toutefois, l’apparition d’une hématémèse sévère, d’une anémie chronique ou de méléna nécessite des investigations complémentaires avant toute utilisation prolongée. De même, si des vomissements aigus liquidiens sans atteinte de l’état général peuvent justifier l’utilisation d’antiémétique en première intention, il est souvent déconseillé de maintenir ce type de traitement quand la réponse thérapeutique n’est pas rapide, est insuffisante ou accompagnée de récidive lors de l’arrêt du traitement.

1 Pharmacopée humaine.

2 Marks S. L., Kook P. H., Papich M. G. et coll. Acvim Consensus statement : support for rational administration of gastrointestinal protectants to dogs and cats, J. Vet. Intern. Med. 2018; 32(6):1823-1840.

Patrick Lecoindre, Diplomate Ecvim, spécialiste en médecine interne, praticien à la clinique Only Vet (Saint-Priest, Rhône). Article rédigé d’après une conférence organisée au congrès France Vet à Paris, en juin.

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