Bientôt une 5 e école vétérinaire privée en France ? - La Semaine Vétérinaire n° 1831 du 22/11/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1831 du 22/11/2019

ENSEIGNEMENT

ACTU

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR MARINE NEVEUX  

La profession planche sur des pistes de réflexion et de travail sur la formation des futurs professionnels vétérinaires. Se trame actuellement le projet d’une 5 e école vétérinaire privée qui revient sur le devant de la scène politique vétérinaire. Des acteurs privés ont sollicité le gouvernement. Éclairage de notre confrère Jean-Yves Gauchot, président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF).

Sous votre impulsion, un séminaire a été organisé le 10 juillet à l’École nationale vétérinaire d’Alfort pour soulever les pistes de réflexion et de travail sur la formation des futurs professionnels vétérinaires. Quelles concrétisations majeures attendez-vous à court terme ?

Pour rappel, près de 80 personnalités qualifiées ont été invitées à ce séminaire. Avec une méthodologie bien établie, nous avons pu travailler sur quatre thématiques : quels vétérinaires doit-on former et combien ? Comment sélectionner et former les vétérinaires dont la France aura besoin en 2030 ? Comment mieux associer la profession vétérinaire à la formation initiale ? Quels besoins en formation tout au long de la vie et comment, collectivement, y répondre mieux ?

De ces ateliers sont sortis plus de 60 propositions, réparties en 12 enjeux majeurs, des actions à conduire, afin de répondre à une question centrale : comment former aujourd’hui les vétérinaires dont la France aura besoin demain, des vétérinaires qui travailleront dans des domaines très variés (des praticiens aux chercheurs), adaptables et capables d’évoluer et de changer de métier tout au long de leur parcours professionnel, avec une grille de trois enjeux majeurs par thématique. À la suite de cela, je me suis engagé, et j’ai obtenu aussi le soutien de la DGER1, à organiser un second séminaire sur les moyens financiers.

La perspective de la création d’écoles vétérinaires privées (EVP) en France, comme cela existe dans d’autres pays européens (Portugal et Espagne), suscite des craintes chez les confrères. Est-ce une voie d’avenir en France ?

Il y a effectivement actuellement un projet d’une 5e EVP qui revient sur le devant de la scène politique vétérinaire. Des acteurs privés ont sollicité le gouvernement avec des arguments qui ne peuvent laisser indifférent et qui doivent interpeller la profession vétérinaire, celle-ci faisant face à des tensions d’une part dans le recrutement, notamment en zone rurale, d’autre part dans les écoles nationales vétérinaires (ENV) en raison de l’augmentation des effectifs étudiants.

La profession et ses organisations professionnelles vétérinaires (OPV) se sont mises en ordre de marche afin d’identifier au mieux les forces et faiblesses de ce projet. Nous disposons désormais de l’outil du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), l’Atlas démographique de la profession vétérinaire, qui a servi de base de données à la mission d’un acteur privé que les OPV et la DGER ont missionné, après un appel d’offres, pour faire de la prospective afin de répondre le plus précisément à la question : combien et quels vétérinaires pour demain ?

Dans ce contexte de tensions et compte tenu des flux européens, le projet d’une 5e école vétérinaire est donc à étudier avec rigueur et objectivité, même si cela est parfois difficile pour certains d’entre nous dont l’ADN de vétérinaire issu d’une des quatre ENV est très présent. La qualité de nos enseignants, de la recherche vétérinaire française, de nos ENV… Le sujet est sans doute assez clivant au sein de la profession. Aussi, j’ai à cœur de disposer d’une analyse rigoureuse de la part des acteurs. Nous travaillons avec les autres OPV, afin de disposer d’une analyse complète identifiant les forces et faiblesses de ce projet par rapport au dispositif actuel de formation, ainsi que les opportunités et menaces d’un tel projet par rapport à l’environnement de l’enseignement vétérinaire français (attentes des usagers, de l’État, libre circulation des diplômés en Europe, etc.).

Quels sont les enjeux ?

Notre réflexion engagée depuis quelques mois sur le sujet porte tout d’abord sur une liste de conditions que devrait respecter une EVP. Sans exhaustivité, on peut citer les principaux critères que la profession attend de l’enseignement vétérinaire : la qualité du service rendu aux usagers de la profession, une réponse aux besoins en professionnels vétérinaires pour l’État et pour les usagers, un respect du haut niveau de la formation initiale scientifique des vétérinaires formés en France, une accréditationAEEEV2, des évaluations HCERES3, l’unicité et la délivrance du titre de docteur vétérinaire pour toutes espèces et toutes disciplines vétérinaires, la capacité d’une recherche d’excellence scientifique, un recrutement d’enseignants du niveau de celui des enseignants-chercheurs (bac + 8).

Quels freins y voyez-vous ?

À ce stade, notre réflexion n’est pas complètement aboutie, mais, sans exhaustivité, quelques tendances se dessinent. D’abord une étude d’impact s’avère nécessaire afin d’appréhender de manière objective les avantages et inconvénients d’un tel projet. Une EVP, orientée vers une voie professionnalisante ne doit pas remettre en cause la qualité actuelle de l’enseignement et de la recherche vétérinaire. Il y a un risque de fracture en cas de différenciation trop prégnante entre la voie professionnalisante d’une EVP et les ENV.

Il est également nécessaire d’objectiver si c’est bien la bonne réponse aux tensions sur le marché vétérinaire. En effet, les besoins futurs identifiés sont concentrés sur la pratique canine. Par ailleurs, il existe désormais des situations critiques de tensions vétérinaires en zone de désertification rurale qui nécessitent une réponse territoriale par le biais d’aides. Enfin, s’il y a une tension aujourd’hui, les flux européens sont à prendre en compte, ils peuvent également être considérés comme une richesse. Ces flux vont dans le futur proche augmenter, l’autorisation de l’ouverture d’une 5e EVP pourrait être le début d’autres EVP. Pour le moment, rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’une EVP permettrait de répondre aux difficultés identifiées.

À noter les questions que soulève un cursus privé en matière de justice sociale compte tenu du coût évoqué pour les familles. Sur le plan de la faisabilité et de l’acceptation par les acteurs, il y a un risque de mal-être des enseignants-chercheurs si la création de la 5e EVP devait se faire simultanément avec la mise en place de la classe préparatoire intégrée à la rentrée 2021.

Quelles opportunités cela ouvre-t-il ?

Je l’ai dit précédemment, il y a d’une part la situation ponctuelle d’un marché très tendu en canine, d’autre part un problème de modèle économique en zones rurales à faible densité d’élevage. On constate également une situation tendue dans nos ENV en matière de moyens. La création d’une 5e EVP pourrait permettre : une économie pour l’État ; un rapprochement avec l’enseignement agricole, voire l’industrie pharmaceutique ; une réduction de la durée du cursus pour les étudiants de cette EVP, car il est désormais bien documenté que le cursus français, de plus de huit années en moyenne, est d’une durée excessive et un frein pour développer des formations de 3e cycle de type spécialisation et recherche.

1 Direction générale de l’enseignement et de la recherche.

2 Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire.

3 Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

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