Enseignement en anglais : les ENV sont à la traîne - La Semaine Vétérinaire n° 1830 du 15/11/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1830 du 15/11/2019

ÉCOLES VÉTÉRINAIRES

ACTU

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE  

Face au manque d’attractivité de nombreux établissements d’enseignement supérieur agronomique, vétérinaire et paysager (ESAVP) auprès des élèves non francophones et aux limites des compétences professionnelles en anglais des étudiants français, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux recommande des solutions.

Dans un contexte d’internationalisation croissante de l’enseignement supérieur et des carrières, les établissements de l’ESAVP 1 français sont en retard par rapport à beaucoup d’autres grandes écoles ». Tel est le constat dressé par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, qui a mandaté le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), en juin 2018, pour réfléchir à aux moyens de remédier à cette situation2.

Augmenter l’attractivité

Avec la globalisation de l’économie, la formation des cadres doit permettre aux étudiants de maîtriser au moins une autre langue3 que leur langue maternelle, mais aussi de travailler dans des contextes culturels variés. Pour qu’ils assimilent un vocabulaire spécifique et augmenter l’attractivité des ESAVP auprès des étudiants et des enseignants-chercheurs non francophones, l’offre de cours disciplinaires en anglais doit être suffisante, selon les recommandations du CGAAER. Les étudiants se forment d’ailleurs de plus en plus hors de leur pays. Ainsi, d’après les données recueillies par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), il y avait, en 2016, plus de 5 millions d’étudiants4 inscrits dans des universités d’un pays autre que celui de leur nationalité, alors qu’ils n’étaient que 4 millions en 2012. Dans ce contexte, la concurrence entre établissements d’enseignement supérieur pour attirer les meilleurs étudiants et professeurs est donc forte, comme en témoignent les classements internationaux (encadré ci-dessous).

Des compétences insuffisantes

Or, sur les 5 millions d’étudiants à travers le monde, même si la France en a accueilli 245 000 en 2016 – ce qui la place en quatrième position juste devant l’Allemagne –, les établissements de l’ESAVP n’en ont reçu que 1 426 (soit un peu plus de 0,6 % du total), selon le rapport du CGAAER. De plus, outre le manque d’attractivité auprès des étudiants non francophones, les entretiens réalisés par le CGAAER auprès de nombreux professionnels publics et privés nationaux et internationaux, qui emploient des vétérinaires comme salariés ou experts, ont montré que les compétences en anglais des diplômés ne sont pas suffisantes et freinent les recrutements(encadré page 19). Ainsi, actuellement dans les écoles nationales vétérinaires (ENV) françaises, à l’exception des cours d’anglais, la part des enseignements disciplinaires dispensés en langue anglaise est très faible (moins de 1 %) et « la plupart des enseignants-chercheurs ne s’estiment pas préparés à cet exercice ». L’insuffisance de politique linguistique du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (exigences linguistiques lors du recrutement des enseignants-chercheurs français, accompagnement insuffisant par immersion externe et interne ou par formation continue, insuffisance de recrutements d’enseignants-chercheurs anglophones, etc.) explique notamment cette faiblesse préjudiciable aux ENV, à leurs diplômés et à la profession vétérinaire.

Un renforcement des ressources humaines

Il conviendrait donc, à l’instar de certaines écoles d’ingénieurs, que « l’enseignement dans les ENV évolue vers davantage de séquences d’enseignement en anglais couplées notamment à une semestrialisation, en s’appuyant une politique de ressources humaines adaptée ». De plus, comme l’a indiqué l’un des rapporteurs, Pierre Saï, « l’un des objectifs visés en formant des étudiants non francophones en France est qu’ils soient ensuite les ambassadeurs dans leurs pays d’origine de la langue et de la culture française. Pour cela, il faut en parallèle développer et structurer davantage l’enseignement du “français langue étrangère” (FLE) ». « Des marges de progrès quantitatives et qualitatives existent donc à plusieurs niveaux », conclut le rapport. C’est pourquoi l’application de la politique linguistique volontariste et les moyens qui doivent l’accompagner, préconisés par le CGAAER, devraient maintenant faire l’objet d’un plan d’action du ministère et de chaque ENV.

1Enseignement supérieur agronomique, vétérinaire et paysager.

2 Rapport n° 18088 du CGAAER (juin 2018). « Les enseignements non francophones dans l’enseignement supérieur agronomique, vétérinaire et paysager ».

3 Voire deux autres langues (déclaration du Conseil européen de Barcelone des 15 et 16/3/2002).

4 bit.ly/32sLsgv.

UNE COMPÉTITION FORTE DANS LES CLASSEMENTS INTERNATIONAUX

Les écoles nationales vétérinaires (ENV) françaises restent quasiment absentes du classement mondial des 50 meilleures écoles vétérinaires publié en 2019 par le QS World University Rankings, qui repose sur la réputation académique, l’employabilité des diplômés et l’impact de la recherche1. La seule école vétérinaire française à être apparue pour la première fois en 2018 dans le classement de Shangai2, est l’ENV d’Alfort, dans la classe 76-100, sur un total de 300 établissements retenus, la première étant l’université belge de Gand. En ce qui concerne nos voisins européens, le Royal Veterinary College de Londres (Royaume-Uni) s’installe sur la première marche devant l’UC Davis (États-Unis) dans le QS World University Rankings. Puis, toujours en Europe, après le Royaume-Uni viennent les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne et l’Allemagne, avec deux écoles vétérinaires classées. Les suivants, Danemark, Suède, Irlande, Italie, Autriche, Finlande et Suisse, en ont chacun une.

1 bit.ly/2NSM1Lt.
2 bit.ly/32my3GJ.

ENTRETIEN AVEC PR PIERRE SAI 

« LE NOMBRE D’ÉTUDIANTS ÉTRANGERS FORMÉS EN FRANCE DOIT DOUBLER D’ICI 2027 »

Pourquoi s’être intéressé à cette problématique ?
En juin 2015, l’Inspection générale de l’administration de l’Education nationale et de la recherche (IGAENR) avait proposé un bilan des enseignements non francophones dans l’enseignement supérieur, afin de vérifier l’application de la loi du 22 juillet 2013 qui permet des exceptions à l’impératif d’utiliser le français dans l’enseignement1. C’est pourquoi, de la même façon, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a été chargé, le 15 juin 2018, d’une mission de conseil sur les enseignements non francophones dans l’enseignement supérieur agronomique, vétérinaire et paysager (ESAVP) par le cabinet du ministre chargé de l’agriculture. Ce travail devait aussi permettre de répondre à l’objectif annoncé par le Premier ministre, le 19 novembre 2018, de « doubler le nombre d’étudiants étrangers formés en France d’ici à 2027 ».

Quelle est la situation de l’enseignement en anglais dans les écoles nationales vétérinaires (ENV) françaises ?
Moins de 1 % des cours sont dispensés en anglais, ce qui conduit à des difficultés de recrutement de vétérinaires français, comme salariés ou comme experts, dans les organismes internationaux (France vétérinaire international, banque mondiale ou Organisation mondiale de la santé animale) ou dans les entreprises agroalimentaires et de santé. De plus, au sein de l’Association des établissements européens d’enseignement vétérinaire (AEEEV), les vétérinaires français sont sous-représentés (seulement cinq parmi les 150 experts). Même si la préoccupation principale de la profession vétérinaire française reste de trouver une solution à la désertification des campagnes par les vétérinaires ruraux, c’est une autre grande problématique à laquelle nous devons répondre, afin de remédier à la perte d’influence considérable des Français à l’international.

Comment se positionnent les ENV françaises en matière d’attractivité à l’international ?
Alors que la France est classée en 5e position en matière d’attractivité des étudiants étrangers, les ESAVP sont à la traîne. Ainsi, en ce qui concerne les ENV, on constate qu’il existe un plafond de verre des 1 % : moins de 1 % des cours sont dispensés en anglais et moins de 1 % d’étudiants étrangers sont accueillis actuellement dans nos ENV. Ce manque d’attractivité contribue à ce que les ENV ont du mal à tenir un bon rang dans les classements internationaux. Par ailleurs, nos programmes Erasmus français sont peu attractifs pour des étudiants réellement non francophones, notamment des pays d’Europe du Nord.
Comment en est-on arrivé à ce retard ?
Un des facteurs limitants importants se situe au niveau des ressources humaines. Ainsi, les enseignants-chercheurs français s’estiment “peu armés” pour réaliser des enseignements en anglais et peu d’enseignants-chercheurs étrangers anglophones sont recrutés et interviennent en anglais. De plus, le recrutement du personnel technique et administratif, pourtant aux premières loges pour accueillir les étudiants étrangers, ne tient actuellement pas compte du niveau d’anglais.

Quelles sont les prochaines étapes ?
Ce rapport a été présenté au cabinet du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation ce mois-ci et il a été envoyé aux quatre ENV. Nous espérons maintenant que les ENV et la Direction générale de l’enseignement et de la recherche mettront en place un plan d’action dans le courant de l’année 2020 à partir des recommandations. Il faudrait notamment que les ENV recrutent davantage d’enseignants-chercheurs non francophones dans des plans quadriennaux et des enseignants-chercheurs français avec une formation préalable en doctorat ou en post-doctorat dans un pays non francophone et, surtout, que tous s’engagent dès leur recrutement à des enseignements en langue anglaise. De plus, la formation continue (in situ et à l’étranger) devra être encouragée.

1 Rapport n° 2015-050, IGAENR portant sur la loi sur l’enseignement supérieur du 22 juillet 2013.
propos recueillis par Clothilde Barde
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