Du bon usage des antibiotiques - La Semaine Vétérinaire n° 1830 du 15/11/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1830 du 15/11/2019

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : CORINNE LESAINE  

Les résistances bactériennes fréquentes ont progressivement compromis l’efficacité des antibiotiques en médecine canine et féline. Devant l’émergence de staphylocoques1 résistants à la méthicilline, d’entérobactéries productrices de β-lactamases à spectre étendu et de Pseudomonas résistants, la conférencière Julie Lemetayer aborde l’utilisation raisonnée de l’antibiothérapie en clinique pour préserver la durabilité de l’arsenal thérapeutique encore disponible et empêcher les bactéries résistantes de “faire leur nid”.

De nouveaux candidats aux multirésistances

L’une des espèces principalement isolées chez le chien et le chat est Staphylococcus pseudintermedius. Des cas de S. pseudintermedius résistants à la méthicilline, et donc à toutes les β-lactamines, sont maintenant fréquemment diagnostiqués, tout comme les staphylocoques dorés en humaine. Les deux espèces d’entérocoques communément isolées chez le chien et le chat, Enterococcus faecium et E. faecalis, ont également de nombreuses résistances intrinsèques aux β-lactames et aux aminosides à faible concentration, et des résistances modérées à élevées aux céphalosporines et aux sulfamides in vivo. Parmi les différences entre E. faecium et E. faecalis, E. faecium est souvent résistant à l’ensemble des β-lactamines, alors que E. faecalis produit plus souvent des biofilms et est plus fréquemment résistant à la clindamycine.

Parmi les bactéries Gram-, toutes les entérobactéries, Pseudomonas aeruginosa et Acinetobacter spp. ont un fort potentiel pour développer des résistances. Escherichia coli est devenue moins sensible aux céphalosporines de première génération et aux aminopénicillines. Entre 2008 et 2013, aux États-Unis2, 46 % des E. coli isolés chez le chien et le chat étaient résistantes à une ou deux classes d’antibiotiques et 52 % à plus de trois. Dans une autre étude sur la même période3, avec plus de 22 000 échantillons d’urine d’animaux atteints d’infection urinaire isolés dans 14 pays européens, les résultats en France montraient que 16 % des E. coli étaient résistants à l’association triméthoprime-sulfamides, 18 % des Proteus spp. aux quinolones et 28 % à l’association triméthoprime-sulfamides, 24 % des staphylocoques aux quinolones, 40 % des S. aureus et 17 % des Staphylococcus à coagulase négative étaient résistants à la méthicilline (et donc à toutes les β-lactamines). Toutefois, entre 2010 et 2013, une baisse du nombre de résistances a été observée, amélioration liée à l’alerte des vétérinaires sur l’usage des antibiotiques.

Comment en est-on arrivé là ?

L’exposition inadéquate aux antibiotiques, un problème de doses, de durée de traitement, une méconnaissance des propriétés pharmacodynamiques de la molécule, qui ne diffuse pas dans le tissu cible, sont autant de facteurs propices à la sélection de résistances bactériennes. Un constat : plus de résistances sont observées sur les animaux qui ont reçu beaucoup d’antibiotiques. L’environnement a un rôle clé : lors d’hospitalisation, le nombre de souches résistantes augmente, et ce dans les 48 heures. Le suivi de 111 chiens en 2014 traités pour une pneumonie infectieuse4 a montré que près de 26 % des chiens étaient porteurs d’une bactérie résistante à l’antibiotique choisi en première intention et jusqu’à 58 % s’ils avaient déjà reçu des antibiotiques dans les 4 semaines précédentes.

Les règles d’or pour limiter les infections multirésistantes

L’utilisation raisonnée et limitée des antibiotiques doit suivre certaines règles car « ils ne sont pas automatiques ».

1 - Prescrire n’est pas toujours nécessaire

Chez le chien, les antibiotiques sont un facteur de risque d’émergence de S. pseudintermedius résistant à la méthicilline (SPRM), sans toutefois identifier une classe de médicament en particulier. En pratique, il convient de réduire sa prescription face à une fièvre et de réaliser un diagnostic différentiel car l’origine peut être virale, parasitaire, plus rarement fongique, auto-immune, néoplasique ou inflammatoire. Les cystites du jeune chat sont le plus souvent non bactériennes ; les pyodermites bactériennes superficielles sont souvent mieux soignées par des traitements locaux que par des antibiotiques per os ou injectables… N’oublions pas l’enjeu sur la santé publique afin d’éviter un transfert de résistance des bactéries animales aux bactéries pathogènes pour l’homme comme les salmonelles, Campylobacter spp. et Staphylococcus résistant à la méthicilline.

2 - Restreindre l’utilisation des antibiotiques critiques

L’utilisation des antibiotiques critiques est restreinte aux cas où leur utilisation est justifiée par une culture bactérienne et un antibiogramme. Le clinicien doit pouvoir le justifier sauf s’il fait face à un cas d’infection bactérienne aiguë et sévère pour laquelle un traitement avec d’autres familles d’antibiotiques serait insuffisamment efficace. Tout traitement antibiotique nécessite d’être ajusté au bout de 4 jours en fonction de l’évolution clinique et des résultats des examens complémentaires.

3 - Cultures bactériennes et antibiogrammes

Les tests de sensibilité spécifiques aux animaux de compagnie sont à réaliser dans des laboratoires agréés, respectant les normes Afnor NFU 47-106 et 107. Les kits colorimétriques antibiogrammes à réaliser soi-même ne permettent pas de justifier une prescription d’antibiotique critique. Néanmoins, il ne faut pas oublier que des faux positifs (contaminants) et des faux négatifs (antibiotiques administrés avant la mise en culture, mort des bactéries pendant le transport, bactéries difficiles à faire pousser en milieu de culture classiques) existent. De plus, certaines bactéries présentes ne doivent pas nécessairement être traitées. Et pour compliquer le tout, il peut y avoir une différence entre la sensibilité d’une bactérie à un antibiotique in vitro et son efficacité in vivo. Il convient donc de garder un esprit critique quant à l’interprétation des résultats.

4 - Optimiser l’utilisation des antibiotiques

Une stratégie thérapeutique nécessite d’employer des médicaments suffisamment actifs, administrés aux doses et aux fréquences appropriées pour atteindre les cibles (antibiotiques concentration ou temps-dépendants), sur la base d’une bonne connaissance de ses propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques. Toutefois, certains antibiotiques temps-dépendants persistent longtemps dans dans les tissus, comme l’azithromycine, ce qui évite d’administrer ces médicaments fréquemment. Envisager un traitement aussi court que possible est essentiel, sachant qu’encore peu d’études en médecine vétérinaire permettent de déterminer les durées idéales de traitements pour les différentes maladies.

5- Suivre le devenir des infections bactériennes

Un suivi clinique est conseillé, ainsi que la répétition de certains tests dans le temps, pour limiter l’utilisation des antibiotiques si la culture revient négative. Le clinicien peut, par exemple, demander une nouvelle culture urinaire quelques jours après l’arrêt du traitement ou refaire des radiographies thoraciques et mesurer la protéine C réactive en cas de pneumonie.

6 - Limiter les infections nosocomiales

Toute l’équipe clinique peut agir avec la mise en place d’un protocole standardisé de lutte contre les maladies nosocomiales interne à la structure. L’hygiène des mains entre chaque animal est la règle, car tous les animaux peuvent être porteurs de bactéries multirésistantes, souvent sans signe particulier d’infection, tout comme il est essentiel de garantir l’hygiène vestimentaire, celle du bloc, du matériel, de l’animal et de l’environnement, l’utilisation de désinfectants efficaces et l’isolement des animaux contagieux.

1 Staphylococcus aureus (Sarm) et S. pseudintermedius (SPRM).

2 Chungrat K., Price S. B., Carpenter D. M., Boothe D. M. Antimicrobial susceptibility patterns of clinical Escherichia coli isolates from dogs and cats in the United States: January 2008 through January 2013. Vet. Microbiol. 2015;179(3-4):287-295.

3 Marques C., Gama L. T., Belas A. et coll. European multicenter study on antimicrobial resistance in bacteria isolated from companion animal urinary tract infections. BMC Vet. Res. 2016;12(1):213.

4 Proulx A., Hume D. Z., Drobatz K. J. et coll. In vitro bacterial isolate susceptibility to empirically selected antimicrobials in 111 dogs with bacterial pneumonia. J. Vet. Emerg. Crit Care (San Antonio). 2014;24:194-200.

Julie Lemetayer Diplomate Acvim-CA, praticienne au CHV Frégis, Arcueil (Val-de-Marne). Article rédigé d’après une présentation faite au congrès France Vet, à Paris, le 15 juin.

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