Recommander la stérilisation sur des preuves scientifiques - La Semaine Vétérinaire n° 1829 du 08/11/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1829 du 08/11/2019

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : CORINNE LESAINE  

Qui n’a pas eu à répondre quotidiennement à cette inquiétude : « Dois-je vraiment faire stériliser mon animal, docteur ? » Absence de consensus, divergence de pratiques et de croyances... Comment aborder un sujet sensible sans frôler l’hérésie au regard des dernières connaissances scientifiques ? Cyrill Poncet analyse les risques avec un argumentaire fondé sur les données cliniques publiées et validées.

Effet sur l’incidence des tumeurs mammaires

La stérilisation réalisée à un âge précis évite-t-elle vraiment l’apparition des tumeurs mammaires ? Selon l’étude de Schneider de 1969, la plus fréquemment citée, 3,5 % des affections rencontrées chez la chienne sont des tumeurs mammaires, dont 50 % malignes. Les risques sont de 0,5 % lors d’une stérilisation avant les premières chaleurs, soit quasi négligeables à ce stade, de 8 % entre les premières et deuxièmes chaleurs, de 26 % après les deuxièmes chaleurs et avant l’âge de 2 ans et demi. Une méta-analyse de 2012, où seulement quatre études répondaient aux critères de qualité et de fiabilité requis, a confirmé que la stérilisation réduit bien l’incidence des tumeurs mammaires chez la chienne, mais avec un faible niveau de preuve en faveur de la stérilisation à un âge donné. Cyrill Poncet invite ainsi les praticiens à « continuer d’utiliser les résultats de l’étude de Schneider pour argumenter auprès des clients, faute de données supérieures ou contraires en matière de preuves scientifiques. »

La stérilisation est également bénéfique, car associée à une amélioration de la durée de survie lors de certaines tumeurs mammaires déclarées chez la chienne, celles qui expriment le récepteur ER+ ou pour les chiennes qui ont une œstradiolémie augmentée. L’intérêt est donc confirmé, mais uniquement quand toutes ces conditions sont réunies, faute de données supplémentaires. Chez la chatte, en l’absence de preuve tangible, le sujet reste ouvert. Pourtant, chez cette espèce, l’incidence des tumeurs mammaires est encore forte, de 2,5 %, et plus de 80 % sont malignes. La stérilisation avant les premières chaleurs réduit le risque de 90 % et de 85 % avant l’âge de 1 an, invitant à stériliser le plus tôt possible sur la base de cette preuve scientifique.

Autres avantages

Au-delà de la diminution du risque de tumeur mammaire, Cyrill Poncet a énuméré les avantages suivants, nombreux et légitimes au regard des potentiels risques :

- les risques d’apparition d’un pyomètre sont nuls après stérilisation, quelle que soit la technique (ovariectomie ou avario-hystérectomie) ;

- la stérilisation limite les risques de cancer, comme les tumeurs dites vaginales (par exemple, léiomyome ou léiomyosarcome), les tumeurs hormono-dépendantes qui disparaissent spontanément après stérilisation (la chirurgie n’étant recommandée en parallèle que sur des tumeurs d’un certain volume pour accélérer sa réduction) ;

- l’incidence de la stérilisation sur la réduction du marquage urinaire et parfois des fugues est évidente, mais elle n’est pas considérée comme un traitement de choix pour les troubles du comportement. Elle n’a d’intérêt que dans certains cas, dont les comportements d’agressivité intraspécifique d’ordre sexuel.

Quel risque d’apparition d’une incontinence urinaire ou de tumeurs ?

Pour Cyril Poncet, les risques d’apparition d’une incontinence urinaire ou de tumeurs sont modérés. L’influence des œstrogènes dans la survenue de l’incontinence urinaire est bien connue, le niveau de risque de 17 % post-stérilisation, quelle que soit la technique pratiquée, a été évoqué pendant longtemps, avec des signes qui apparaissent en moyenne dans les 2 ans et demi qui suivent l’intervention. Depuis, l’étude de référence de Kara et coll., portant sur 566 cas, minore ce risque, avec un taux de 5 %, une donnée plutôt proche du ressenti des praticiens vétérinaires. Toutefois, ce risque demeure un peu plus grand sur les chiens de plus de 15 kg. La technique utilisée et l’âge de la stérilisation (hormis sur des chiots de moins de 3 mois) n’ont aucune influence.

Il existe un risque accru après stérilisation pour des affections non-tumorales (prise de poids, maladies endocriniennes, rupture de ligament croisé, dysplasie coxo-fémorale, etc.) et pour certaines tumeurs chez des races de chiens bien identifiées : tumeur de la vessie, ostéosarcome, hémangiosarcome, lymphome, mastocytome, tumeur prostatique… « Si la littérature évoque ces risques accrus pour certaines tumeurs, il ne faut, en revanche, pas surinterpréter ces données et prendre en compte l’in térêt majeur de la stérilisation précoce sur la prévention des tumeurs mammaires et génitales. Ce n’est pas parce que, chez le rottweiler, le risque d’hémangiosarcome est multiplié par 5, qu’il faut systématiser son propos pour tous les chiens, car l’incidence initiale est extrêmement faible, soit 1 pour 50 000 à multiplier par 5 », souligne le conférencier.

Seule la prise de poids est généralement constatée, mais elle est moins importante lors de stérilisation précoce (avant l’âge de 5 mois chez la chienne). L’influence des œstrogènes sur la sensation de satiété en serait l’origine. Aucune démonstration n’a été faite pour le chat.

Retrouvez les références bibliographiques de cet article sur https://bit.ly/2NjLFgp.

OVARIECTOMIE VERSUS OVARIO-HYSTÉRECTOMIE

S

Cyrill Poncet Diplomate ECVS, spécialiste en chirurgie, praticien au CHV Frégis (Arcueil, Val-de-Marne). Article rédigé d’après une présentation faite au congrès France Vet 2019 à Paris, en juin.

Les pratiques sont essentiellement culturelles : l’ovariectomie est privilégiée en France ou en Allemagne et l’ovario-hystérectomie, aux États-Unis. Pourtant, de façon raisonnée, il n’existe aucune différence entre les deux techniques sur de nombreux éléments, dont les complications à long terme : diminution du risque de tumeur mammaire identique, risque d’infection utérine nul, risque d’incontinence urinaire similaire, risque négligeable pour l’apparition de tumeurs utérines (0,03 %). Les complications au niveau de la plaie, le niveau de douleur, la difficulté du geste opératoire ou le risque de rémanence ovarienne dépendent essentiellement de l’expérience du chirurgien. Il existe des complications spécifiques à certains gestes, comme des risques de saignement vaginal ou de granulome utérin lors d’ovario-hystérectomie. L’ovariectomie seule est conseillée pour toutes les jeunes chiennes ne présentant aucune anomalie utérine macroscopique, l’intervention étant moins longue, moins invasive (l’incision, plus craniale, donne une meilleure vue sur le pédicule ovarien).
La stérilisation sous cœlioscopie, développée ces dernières années et utilisée au centre hospitalier vétérinaire Frégis dans les cas référés, notamment dans le cadre de recherche d’ovaires rémanents, présente de nombreux avantages par rapport à la technique conventionnelle : geste mini-invasif et moins douloureux quelle que soit la taille de l’animal, exploration possible de l’ensemble de la cavité abdominale, absence de cicatrice et de collerette en période postopératoire, satisfaction du propriétaire et du vétérinaire. Peu accessible encore en médecine vétérinaire courante, elle nécessite matériel et formation, mais permet d’optimiser l’abord et le geste chirurgical de la stérilisation.

UN ARGUMENT DE LA LONGÉVITÉ EST ACCRUE AVEC LA STÉRILISATION

S

Dans une étude portant sur près de 40 000 chiens suivis aux États-Unis pendant 20 ans1, ceux qui étaient stérilisés vivaient en moyenne 1 an et demi de plus que les chiens entiers (9,4 ans versus 7,9 ans), avec des affections de fin de vie différentes au regard de l’âge (cancer pour les premiers et maladies plutôt dégénératives ou infectieuses pour les seconds). L’âge des stérilisations de ces chiens n’a pas été suivi dans cette étude.
1 Jessica F. Hoffman et coll. Reproductive capability is associated with lifespan and cause of death in companion dogs, Plos One 2013.

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr