Droit de l’animal : vers quelles évolutions ? - La Semaine Vétérinaire n° 1826 du 18/10/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1826 du 18/10/2019

POLITIQUE ET DROIT

ACTU

Auteur(s) : MARINE NEVEUX  

Notre confrère Arnaud Bazin, sénateur, accueillait au Palais du Luxembourg le colloque “L’homme, roi des animaux ? Animaux, droit et société”, organisé par l’Association des juristes franco-britanniques (AJFB) et la Société de législation comparée (SLC) le 11 octobre 2019. Plusieurs pistes d’évolution du statut de l’animal ont été explorées.

Ce colloque est un succès en matière de réflexion et aussi d’audience avec plus de 250 personnes inscrites. Les questions liées à l’animal et à son statut dans notre société « sont d’une actualité aiguë aujourd’hui, c’est parce que de nombreuses associations nous sollicitent mais aussi parce que notre réglementation comporte une contradiction », explique Arnaud Bazin, président du groupe d’étude élevage du Sénat en charge de la thématique “animal et société”, en introduction de ce colloque présentant des regards croisés français et anglais de juristes, praticiens, universitaires, vétérinaires, scientifiques, etc.

Cette réunion qui accueille les Britanniques est intéressante alors que le Royaume-Uni est pionnier dans bien des initiatives liées à la protection animale. « Elles doivent être un aiguillon pour nous », estime Arnaud Bazin.

Notre confrère Gérard Larcher, président du Sénat, est intervenu dans un entretien vidéo pour témoigner que « l’animal ne peut être considéré comme de la matière inerte ». « Je défends une relation de respect des hommes envers les animaux, mais je ne les mets pas sur un plan d’égalité. L’animal n’est pas une personne, mais il n’est pas non plus un bien ordinaire. La société nous demande d’accorder aux animaux une place de plus en plus importante. Les responsables politiques doivent savoir écouter cette demande. Le succès du débat réside dans le dialogue entre les différentes opinions. » Et de conclure que c’est « avec du respect et du bon sens que l’on peut aujourd’hui tracer un chemin et pas autrement ».

De l’Europe aux mises en œuvre nationales

Marie-Bénédicte Desvallon, avocate au barreau de Paris, rappelle que la réglementation sur l’animal procède majoritairement du droit européen. Il incombe aux États de mettre en œuvre la politique européenne. Cela peine parfois, comme sur le transport des animaux ou l’abattage.

En outre, la France a fait l’objet de deux mises en demeure par la Commission européenne le 25 juillet 2019, au titre de l’article 258 du traité du fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). La commission demande instamment à la France de prendre des mesures contre certaines pratiques de chasse autorisées sur son territoire au mépris du droit de l’UE : manquement de la France aux obligations de la directive “oiseaux” concernant les conditions de chasse traditionnelles et la capture de certains oiseaux en France (tourterelle des bois, chasse à la glue et aux filets) ; elle s’inquiète aussi pour les oies cendrées.

Animal sensible et conséquences en droit

« L’animal, un être doué de sensibilité : quelle consé quence en droit ? », questionne François-Xavier Roux-Demare, doyen de la faculté de droit de l’université de Brest.

« L’introduction en 2015 de la sensibilité dans le corpus juridique est plus symbolique que juridique, car il y avait déjà une reconnaissance de la sensibilité dans le Code rural (depuis le 10 juillet 1976) », estime-t-il.

La protection dans le Code pénal est sans référence à la notion de sensibilité : c’est une protection par référence à la souffrance, une reconnaissance implicite ou indirecte de la sensibilité. On peut s’interroger sur le Code pénal : est ce qu’il protège vraiment l’animal ou n’évite-t-il pas plutôt des dérives de l’homme ? « Donc il y a une véritable ambiguïté de la notion de sensibilité. Cette notion n’a donc pas l’envergure qu’on pourrait lui donner. » Néanmoins, il y a des conséquences réelles : « Cela permet une mobilisation de nos sociétés à la souffrance. »

François-Xavier Roux-Demare détaille les aspects prospectifs :

- la reconnaissance d’une sensibilité pour tous les animaux (dépasser l’approche catégorielle…) ;

- les conséquences nécessaires à cette reconnaissance : la suppression de comportements récréatifs contestables (tauromachie, combat de coqs), les pratiques contestables de la chasse (parc à chasse, notamment).

Abordant la faune sauvage, Muriel Falaise, juriste et enseignante à VetAgro Sup, interroge sur l’absence de statut d’être sensible des animaux sauvages. Ne faut-il pas envisager un nouveau statut ? « On peut imaginer qu’il n’y ait plus de res nullius et que les animaux sauvages puissent devenir des sujets de droit et non plus d’appropriation. »

En outre, certains pays ont déjà fixé dans la Constitution la protection et le bien-être animal (Allemagne, Autriche, Luxembourg et Suisse).

Les abattoirs : entre papier et terrain…

Frédéric Freund, directeur de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), a rappelé la décision de la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 26 février 2019 à la suite d’une procédure de l’OABA1.

« Le responsable protection animale (RPA) obligatoire dans tous les abattoirs, c’est une avancée sur le papier de la législation française. En pratique, cette mesure a peu d’effet, car cela concerne les petits abattoirs. Le RPA pour ces petits abattoirs : ce sera le bouvier, le chef de chaîne, etc. ou le directeur », regrette Frédéric Freund. Pour les gros abattoirs : le RPA est rarement un salarié à plein temps. « La vraie avancée aurait été d’avoir un salarié avec un statut de syndiqué protégé qui n’est consacré qu’à cela. »

En outre, en France, l’obligation d’installer des caméras est devenue une expérimentation sous la base du volontariat. « Depuis, un abattoir s’est considéré volontaire… donc là aussi une avancée ratée de la loi alimentation ! » Pourtant, en Angleterre, si aujourd’hui les caméras sont obligatoires, c’est grâce à l’action des organisations non gouvernementales qui ont poussé les distributeurs à les mettre. En effet, Peter Stevenson (Compassion in World Farming), détaille la loi anglaise sur le bien-être des animaux d’abattage. 2018 est marquée par l’entrée en vigueur de l’obligation de la vidéosurveillance dans les abattoirs.

Peter Stevenson déplore que dans l’UE, 80 % des poulets soient encore étourdis par le bain d’eau électrique. En France, la majorité des poulets sont étourdis ainsi, au Royaume-Uni 20%. Alors qu’en 2004 l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a recommandé que le « gaz utilisé pour induire la perte de conscience doit être non aversif », 86 % des porcs en Angleterre et 20 % en France sont étourdis avec de fortes concentrations en CO2. Des pistes d’amélioration sont donc encore attendues…

LES VÉTÉRINAIRES AU CENTRE DE LA SANTÉ ANIMALE, DE LA SANTÉ PUBLIQUE ET DE L’ENVIRONNEMENT

Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, explique que « le vétérinaire est impacté par les soubresauts de la société civile, mais en plus d’être un citoyen, c’est un soignant qui doit prendre des décisions en lien avec la santé animale, la santé publique et l’environnement ». « En tant qu’homme de la santé, ce qui m’intéresse, c’est le champ de la prévention : que faisons-nous pour prévenir l’achat passion d’un animal ? », car derrière ce sont les questions des abandons, de la maltraitance. « On se retrouve en tant que vétérinaire dans des situations parfois difficiles à gérer où il faut faire des arbitrages. Le vétérinaire peut parfois se retrouver sous la pression de la société civile qui va plus vite que le droit. » Il convient de créer les conditions de l’interdisciplinarité entre les vétérinaires et les juristes.
« Les vétérinaires sont soumis au secret professionnel, ils peuvent le lever à partir du moment où il existe des conditions réglementaires définies (habilitation sanitaire, mandatement ou évaluation chien mordeur). Sur le sujet du secret professionnel, une insécurité juridique persiste. Vous avez des relais sur le terrain avec les vétérinaires, il faut leur donner le moyen des alertes », lance Jacques Guérin à l’auditoire.
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