Science et infox - La Semaine Vétérinaire n° 1825 du 11/10/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1825 du 11/10/2019

DOSSIER

Auteur(s) : MARINE NEVEUX 

« La publication scientifique à l’heure des fake news » était le thème du colloque organisé le 4 octobre au Sénat par le Syndicat de la presse culturelle et scientifique. Une problématique qui touche en effet les scientifiques de toutes disciplines, à l’heure où les réseaux sociaux et Internet changent la donne et peuvent entraver érudition et sens critique.

Jamais l’information n’a circulé aussi vite, avec tous les travers associés », détaille Laure Darcos, sénatrice de l’Essonne et membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, en ouverture du colloque. « Comment éviter que se développe une science parallèle ? », poursuit-elle. Le décor est planté, alors que les fake news en science peuvent être un terreau fertile pour ceux qui commercent dessus.

Les contradictions de l’information et de la communication scientifiques

« Nous sommes dans une société de flux, de volume et de vitesse, or la connaissance n’existe que dans la séquence, la rupture, pas dans la continuité », met en garde Dominique Wolton, directeur de la revue internationale Hermès et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), abordant « les contradictions de l’information et de la communication scientifiques à l’heure de la globalisation, des fake news et de la diversité culturelle ». « La presse et les scientifiques auraient dû être les premiers à appeler à la vigilance vis-à-vis de ces flux d’information », poursuit-il. Deux conséquences sont liées à la vitesse et au flux : « la standardisation incroyable » (tout le monde traite la même chose en même temps), un effet de mode de conformisme, la fin de la diversité ; et « l’acommunication ». « Ce qui m’intéresse dans la communication, c’est l’incommunication, explique Dominique Wolton. Une fois que cela ne marche pas, qu’est ce que l’on fait ? On se met à négocier, voire à cohabiter : on n’est pas forcé de s’aimer, mais on travaille ensemble. » Si la négociation n’aboutit pas, « on arrive à l’acommunication, qui précède la mort ou le conflit ! » La question du xxie siècle pourrait donc être de savoir comment gérer l’altérité qui est au cœur de la condition humaine. « La mondialisation des flux d’information a donné l’illusion que l’on se comprenait bien, or c’est faux. Cela apporte un monde petit, transparent et interactif, qui ne produit que du “même” et pas de l’altérité, regrette Dominique Wolton. La science et la connaissance sont devenues un marché gigantesque. Il y a une concurrence internationale. Les industries de la connaissance sont désormais un enjeu majeur. Notre culture académique n’était pas habituée. » Le paradoxe : « Le monde académique et scientifique, au lieu de se méfier, a plongé dedans car on pensait que cela correspondait aux valeurs de partage de la science, or c’est l’inverse qui se produit. » La vitesse de circulation de l’information est considérable, la communication va très lentement. « Car la question de la communication, c’est la question de l’autre. » On est sorti d’une vision idéaliste fausse. Mondialisation, vitesse et réactivité renforcent les rapports de force. « Regardez comment le classement de Shanghai place l’alpha et l’oméga, par exemple », note Dominique Wolton.

L’érudition face à un monde de vitesse

Le monde scientifique n’est pas dans la production de l’information, mais dans la production de la connaissance. « On est rentré dans le monde des réseaux et des médias, explique Dominique Wolton. Des scientifiques peuvent être rentrés dans des lobbies, dans une logique de peopolisation ou des réseaux. Le problème est la complexité des relations entre les scientifiques et les politiques. Les infox sont les résultats de tout cela. La communication a été dévalorisée. »

Comment sortir alors de la tyrannie de l’information ? « Plus nous sommes dans un monde de vitesse, plus l’érudition est importante. » Deux notions sont également importantes : l’expertise et la controverse. « On croit qu’il y a plus de diversification, c’est faux. Il y a plus de conformisme aujourd’hui. Plus il y a de flux direct, plus il faut d’intermédiaires. Il faut couper l’illusion du direct : il faut couper par des intermédiaires comme les professeurs, les médecins, etc. on doit assumer ce ralentissement. »

« Un tuyau est un tuyau, un homme, une société, c’est plus complexe !, ironise Dominique Wolton. Il faut préserver le conflit des logiques. Nous avons une responsabilité pour retrouver la question des hommes et des sociétés. » L’érudition est à mettre en avant.

En outre, comment aujourd’hui admettre du pluralisme scientifique ? « Plus il y a des canaux, moins il y a de diversité. Dans le monde scientifique, il y a plein d’autocontrôles, c’est bien, mais on est contraint par le modèle cognitif. Dès qu’un scientifique va dans une controverse, il se fait jeter », regrette Dominique Wolton.

Open access, mais aussi revues prédatrices

Agnès Henri, directrice générale d’EDP Sciences, constate aussi des mutations flagrantes : apparition de l’open access (libre accès) et de revues prédatrices qui ont mené tout à chacun à avoir la possibilité d’être éditeur. Dans ces dernières, « c’est l’auteur qui paie et qui peut publier n’importe quoi ». La revue prédatrice accepte n’importe quoi, sans peer review (évaluation par les pairs) et demande de l’argent aux auteurs.

« Il y a des revues de différents niveaux. Aujourd’hui, il y a des revues de troisième zone qui sont apparues. Le problème est que le grand public ne va pas faire la différence, renchérit François-Marie Bréon, physicien climatologue. Cela rend le combat contre les fake news un peu plus difficile, car on ne peut plus dire que cela n’a pas été publié. »

Le système du peer review doit-il être dépassé, revu ? interroge Nicolas Chevassus-au-Louis, journaliste. « Il est en crise, mais cela reste le seul élément d’une revue pour évaluer les articles, et cela reste pour les revues de qualité », répond Agnès Henri. « C’est absolument indispensable de faire cette évaluation par les pairs. S’il n’y avait pas cette évaluation, il y aurait plus de bêtises de sorties et la publication scientifique n’aurait plus de valeur », ajoute François-Marie Bréon. « Beaucoup de journaux demandent que l’on dépose des données brutes dans des archives », détaille David Klatzmann, professeur d’immunologie à Sorbonne université.

« La connaissance, c’est aussi prendre des risques qui n’ont aucune preuve, c’est également de l’anarchie », estime Dominique Wolton.

De l’utilité des échecs en science

Mais pourquoi ne publie-t-on que les recherches de ce qui marche ? Est-ce inéluctable, fatal ? « On demande de publier quelque chose qui apporte à la communauté », explique François-Marie Bréon. Mais montrer qu’il y a une impasse ne peut-il pas éviter de retourner vers cette impasse ? « Faire publier une manipulation qui n’a pas marché est intéressant, tout le monde est intéressé mais personne ne voudrait publier dans cette revue… », sourit Agnès Henri.

En outre, un chercheur construit le monde dans lequel il va élaborer ses hypothèses. « La publication scientifique est la publication de l’histoire qui a été réécrite, dans une logique de l’argumentation, on ne parle pas forcément des choses qui ont été faites entre-temps. Le chercheur introduit une vision expérimentale qui est biaisée. Ce que l’on produit n’est pas une vérité scientifique avec un grand V, mais une image de ce que l’on a fait. Ce n’est pas de la fake news, de la fake science, c’est un regard posé sur quelque chose, et cette connaissance ira dans l’oubli ou sera exploitée pour aller plus loin », motive David Klatzmann.

Dominique Wolton estime même « qu’il n’y a pas de production de connaissances sans représentation. Dans l’histoire des sciences, souvent les échecs sont très utiles après. On s’imagine que la science est une succession de rationalité, alors que c’est un bordel pas possible ».

François-Marie Bréon détaille : « Il n’y a pas du vrai et du faux, il n’y a pas une vérité. En climat, différents modèles donnent différents résultats. Il faut dire qu’il y a une certaine marge d’incertitude. Il y a une vérité avec une certaine marge d’incertitude. »

DÉPISTER LES MANQUEMENTS À L’INTÉGRITÉ SCIENTIFIQUE

Comment dépister ces manquements ? Tout passe par l’évaluation. « Dans certains pays, les chercheurs sont rémunérés aux publications selon l’impact factor et ces gens sont tentés d’enjoliver les résultats », constate Agnès Henri (EDP Sciences). Pour faire un travail correct sur un article, il faut y passer du temps. La fraude est quelque chose de très minoritaire », déclare David Klatzmann, professeur d’immunologie à Sorbonne université. Il peut y avoir une pression sur l’embellissement des données pour qu’un article soit plus appréciable : amélioration des images de western blot, notamment. Mais des logiciels d’intelligence artificielle peuvent le détecter, et en effet, on n’a pas le droit de modifier une image ! En outre, « le chercheur est passionné, il peut avoir tendance à interpréter ses résultats de façon trop enthousiaste. » Autre problématique : « Le chercheur peut se poser la question du nombre de fois où il faut refaire une expérience en se posant la question des “3R”. »


LA CRISE DE CONFIANCE DU PUBLIC

« Il ne faut pas surestimer la problématique des fake news dans les revues, de tels chercheurs prennent un gros risque, estime François-Marie Bréon, physicien climatologue. La problématique des fake news n’est pas dans les chercheurs, mais plus dans la façon dont le public reprend l’information scientifique. »
La crise de confiance du public est constatée. En effet, « les attentes de la société à l’égard des sciences font que l’on a besoin de croire des résultats faibles, certains », note Dominique Wolton, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). « Dans le monde scientifique, il n’y a pas cette culture de l’échec, de mettre en avant les échecs. Nous, dans le monde de la connaissance, on ne s’expose à rien, alors qu’un politique s’expose aux échecs. »


UN CHANGEMENT D’ÉCHELLE PAR LES CANAUX DE DIFFUSION

Joëlle Alnot, directrice de l’Office français d’intégrité scientifique (Ofis), constate une augmentation des fausses nouvelles : « Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais l’on assiste à un changement d’échelle par les canaux de diffusion, Internet, les réseaux sociaux. » L’Ofis a été créé en 2017 à la suite du rapport de Pierre Corvol, c’est une structure nationale tranversale. Les missions : être une plateforme, observer (accompagner la mise en œuvre des signataires de la charte nationale de la recherche, permettre au système de recherche français de rejoindre les standards internationaux), animer à l’échelle nationale et internationale auprès des référents intégrité scientifique.
À quel contexte est confronté l’office ? « On est face à un changement de paradigme de la transmission de connaissance, la révolution numérique, l’augmentation du nombre de publications (4 millions de nouveaux articles tous les ans). Le taux de chercheurs qui déclarent avoir observé des pratiques questionnaires est de 20 % ! Mais c’est du déclaratif. » Les fake news peuvent traduire comment circule l’information scientifique dans le public.
Quels sont les facteurs de risque ? « Les revues prédatrices, le rôle des réseaux sociaux (ces fausses vérités ont un impact long chez les gens). » Quels moyens mettre en œuvre ? Soutenir l’évaluation de la qualité des publications. « L’activité qu’un chercheur accorde au peer review est très peu prise en compte dans la carrière d’un chercheur, donc il faudrait le revoir. »


SENSIBILISER, DÉVELOPPER L’ESPRIT CRITIQUE

Sensibiliser les chercheurs, développer l’esprit critique sont d’autres pistes, comme le fait de tenir compte de critères qualitatifs dans une recherche responsable, pour que les instances prennent en considération tous les aspects qualitatifs des chercheurs.
Soutenir davantage le journalisme scientifique et peut-être que les scientifiques se forment davantage à la diffusion de l’information scientifique.
Claire Hivroz, immunologiste, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Institut Curie déclare : « Maintenant il y a une vraie mesure de la production scientifique, ces outils ne sont peut-être pas adaptés. Il y a aussi des problèmes d’hypercompétition : quand on sait qu’avoir une publication oriente sa carrière, on peut être tenté, même si ce n’est pas excusable. Les primes à l’excellence sont beaucoup données sur la production, c’est une mesure quantitative du chercheur. Le pire ennemi de l’intégrité scientifique, c’est le manque de temps aussi : vérifier les données brutes, par exemple. Il y a également une perte des compétences : moins de postes stables avec une perte de transmission des connaissances. La qualité des données est très liée à la connaissance des gens. On est multitâches, il y a un moment où c’est trop et l’on ne peut plus bien faire son travail. L’évaluation, c’est beaucoup de temps. Il faudrait plus d’experts. »
Hervé Maisonneuve, consultant et rédacteur scientifique, note que les scientifiques propagent depuis longtemps des fake news par l’art de la citation. Exemple : 28 études ont examiné si la citation à la fin d’un article contenait ce qu’on lui faisait dire. Sur 7 000 articles, 25 % ne comportent pas ce qu’on leur fait dire ! Une pratique pour augmenter le facteur d’impact est de demander de citer l’article : les chercheurs disent qu’ils le font de 20 à 30 %. Très factuel aussi : « On a tendance à ne jamais citer des équipes concurrentes ».
Daniel Rodriguez, président d’Elsevier Masson France, note que le nombre de rétractation d’articles sur Elsevier a augmenté par 19. Il mise sur la sensibilisation des acteurs, la détection par la technologie. « On a développé un logiciel de détection de la fraude à l’image. L’idée est de mettre à la disposition des rédacteurs des outils qui aident au traitement », explique-t-il.
David Lacombled, président de La Villa numeris, aide les entreprises à gérer les fake news qui pourraient les concerner. Derrière les fake news, il y a des intentions mercantiles. « On est dans le pays du tout noir ou tout blanc, il faut apprendre la confrontation. Les élèves doivent être initiés aux vertus de l’esprit critique. »
Pierre Ouzoulias, sénateur et chercheur au CNRS, archéologue, conclut ce colloque par cette même nécessité de l’esprit critique.

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