Génomique : une recherche fertile - La Semaine Vétérinaire n° 1825 du 11/10/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1825 du 11/10/2019

ANIMAL GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉ

ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON  

Une séance de l’Académie vétérinaire de France était consacrée aux techniques modernes de modifications ciblées du génome. Si le secteur de la recherche en santé animale et humaine s’est rapidement emparé de ces nouveaux outils, une application sur le terrain reste prématurée.

Les nucléases spécifiques, des enzymes permettant d’induire une coupure double brin de l’ADN à un endroit prédéfini du génome, et en particulier la toute dernière Crispr-Cas9, promettent des avancées notables en santé animale et humaine. Et plus globalement dans la connaissance scientifique. En témoigne la dernière séance du 3 octobre de l’Académie vétérinaire de France, pendant laquelle de nombreux exemples ont été présentés. « La génomique fonctionnelle est la première gagnante de ces nouveaux outils de modifications ciblées du génome », a souligné Éric Pailhoux, chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). Dorénavant, « il est possible de démontrer le rôle d’un gène dans n’importe quelle espèce, y compris celles d’intérêt agronomique, alors qu’il y a quelques années cela n’était souvent possible que chez la souris ». Pour exemple, la démonstration que le gène FOXL2 est un déterminant ovarien chez la chèvre, et certainement chez toutes les autres espèces, excepté les rongeurs. Son rôle : le contrôle de la production d’œstrogènes ovariens par le foetus très précocement au cours de la gestation, permettant d’aboutir à des ovaires fonctionnels. Une découverte rendant obsolète le modèle souris dans les études sur les perturbateurs endocriniens, majoritairement des xéno-œstrogènes ! « Ce modèle teste l’effet sur la folliculogenèse, mais pas l’impact des perturbateurs sur la multiplication des cellules germinales. »

Un avantage pour la santé des animaux ?

Dans le secteur de l’élevage, les projets de recherche actuels sont nombreux et concernent entre autres les caractères de résistance aux maladies. « En 2012, des vétérinaires norvégiens se sont rendus compte que des chèvres ne possédaient plus la protéine PRNP, à la suite d’un changement d’une seule base, a ainsi exposé Éric Pailhoux. Ces animaux ne sont plus capables de développer des maladies à prion. » Un constat qui a motivé le chercheur à proposer de lancer une étude pour comparer l’efficacité des nouveaux outils de modification ciblée du génome versus un schéma de sélection classique. Malgré tout, cette mutation ne serait pas sans conséquences. D’abord, « les chèvres sans PRNP développent naturellement, en vieillissant, des neuropathies ». En outre, il a été récemment montré que « les souris dépourvues de prions sont très sensibles à l’influenza A ». Autre exemple, qui pose aussi question : des chercheurs américains sont parvenus à produire un fœtus de bovin porteur du gène CD18 modifié génétiquement, lui conférant une résistance à la pleuropneumonie. Ce gène code pour un récepteur d’une leucotoxine produite par Mannheimia haemolytica, commensale du nasopharynx des ruminants. En cas d’infection par un virus respiratoire, cette bactérie en profite et occasionne des pleuropneumonies. Seuls les ruminants présentent une séquence génomique permettant la fixation de la toxine. « Qu’est-ce que cela donnerait sur un animal adulte ? », s’est demandé le conférencier. De plus, « si la mutation est si délétère, pourquoi a-t-elle été conservée dans l’évolution ? »

Un atout pour le biomédical

En santé humaine, ces outils permettent d’avancer dans les recherches sur la xénotransplantation. Dans ce domaine, une des stratégies des chercheurs consiste à adapter le greffon, via une modification de son génome, afin qu’il soit accepté par l’hôte, comme l’a expliqué Geneviève Jolivet, chercheuse à l’Inra. Si, jusqu’au début des années 2010, les manipulations étaient lourdes et peu efficaces, les nouveaux outils changent la donne. « À l’heure actuelle, chez nos lapins, lorsque l’on fait une introduction d’agent de modification par Crispr-Cas9 dans des embryons par microinjection, pratiquement 100 % des embryons sont mutants », a précisé la conférencière. Le bond permis par les nucléases spécifiques a notamment permis à une équipe japonaise de produire des rats avec des pancréas de souris qui, greffés chez des souris dépourvues de l’organe, se sont avérés fonctionnels. « La brèche est ouverte. Cette équipe a obtenu l’autorisation de faire des chimères interspécifiques pour avoir des organes humanisés », a-t-elle indiqué. Cet exemple, comme les précédents, soulève des interrogations. « Quelles erreurs dans la précision va-t-on tolérer ? », « Qu’est-ce qui est bon pour la santé humaine ? », « Combien d’essais cliniques faudra-t-il ? », s’est ainsi demandé la conférencière. Pour Éric Pailhoux, les recherches doivent se poursuivre avant d’envisager une application sur le terrain. « Il faut vraiment challenger les animaux dans des fermes expérimentales avant de les introduire dans le cheptel national », a-t-il martelé. Mais finalement, la plus grande question ne serait-elle pas, comme l’a souligné Geneviève Jolivet, celle de l’acceptabilité sociétale ?

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