Vétérinaire rural, un exercice sous haute tension - La Semaine Vétérinaire n° 1822 du 04/10/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1822 du 04/10/2019

VIE PROFESSIONNELLE

ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON 

La fermeture du cabinet vétérinaire de Couiza a mis en exergue les difficultés inhérentes à l’exercice rural, et le spectre de la désertification vétérinaire. Au-delà du constat, les parties prenantes peinent à trouver des solutions.

Un sentiment d’extrême gâchis. » Frédéric Decante, vétérinaire rural en Lozère et secrétaire général adjoint au conseil régional de l’Ordre de l’Occitanie, semble lassé. Il faut dire que la fermeture récente du seul cabinet vétérinaire de la commune de Couiza1, dans le département de l’Aude, a révélé avec fracas toute la complexité d’exercer le métier de vétérinaire rural. Un véritable sac de nœuds, avec pour toile de fond la question du maillage vétérinaire en zone rurale. « La région Occitanie présente déjà des zones avec un sous-effectif de vétérinaires ruraux, à savoir le Gard et les Pyrénées-Orientales, ce qui pose problème pour les prophylaxies », souligne Delphine Ferré-Fayache, praticienne mixte à Lacapelle-Marival et présidente du groupement technique vétérinaire (GTV) Occitanie. Dans le cas de Couiza, l’insuffisance des tarifs des campagnes 2017-2018 de prophylaxies avait abouti à un déficit de 9 000 € dans la trésorerie. « On se rend compte qu’ils ne sont en général pas bien défendus par la profession, par manque d’information et de formation, souligne Delphine Ferré-Fayache. Le rapport du CGAAER 2 avait, par exemple, montré que des départements pratiquaient des tarifs d’intradermoréactions simples inférieurs au revenu minimum d’une auxiliaire vétérinaire. » Elle souligne d’ailleurs le fait que les vétérinaires ne sont pas formés pour être des chefs d’entreprise : « Cela se retrouve dans la tarification des médicaments, dans les négociations. » Ce rapport, daté de juillet 2018, faisait le point sur le suivi des recommandations d’une précédente mission du CGAAER de 2015 relative à la fixation des tarifs de prophylaxie. Les conclusions avaient été dures : « La campagne 2017-2018 montre clairement que les acteurs qui participent à l’élaboration des tarifs ne se sont pas emparés des outils et instructions de la note de service de la Direction générale de l’alimentation. » Était constaté, entre autres, qu’« aucune étude comptable n’a été réalisée malgré de nombreux cas de tarifs manifestement sous-évalués », ou encore qu’« à part pour les intradermotuberculinations comparatives les tarifs, y compris ceux qui sont manifestement hors norme, ont peu évolué ».

Trouver un équilibre financier

La prophylaxie serait-elle le cœur du problème ? Thierry Mathet, chef du service vétérinaire de la direction départementale de la protection des populations de l’Aude, nuance fortement : « Dans le cas de Couiza, les tarifs ont été rediscutés 3 , permettant d’aboutir à un nouvel accord avec des tarifs fortement réévalués. » En outre, depuis deux ans, la convention départementale intégrait la possibilité de facturer un tarif horaire : « Si l’éleveur ne joue pas le jeu en matière d’organisation des visites et de contention des animaux, il est convenu que le praticien peut appliquer un tarif horaire au lieu du forfaitaire. Mais d’après ce que j’ai pu comprendre, cela était peu pratiqué. » Et de rappeler aussi que la rémunération du praticien rural ne dépend pas uniquement de la prophylaxie, mais aussi des soins aux animaux, payés par les éleveurs, et des visites sanitaires obligatoires financées par l’État. « La prophylaxie est peut-être la situation la moins problématique, car cela s’anticipe. Les soins m’apparaissent comme la plus grosse difficulté en pratique rurale », souligne-t-il. L’élevage serait-il en incapacité de payer les soins aux animaux ? Une question soulevée déjà dans le précédent rapport de la CGAAER de 2015 : « La question de savoir si la filière élevage a les moyens de continuer à payer ces opérations de prophylaxie, et principalement les tuberculinations, apparaît en filigrane, mais elle n’est pas du ressort de cette mission. » S’il manque de l’argent, le nombre d’élevages n’est-il pas aussi insuffisant pour pérenniser l’activité du vétérinaire rural ? « En Occitanie, on rencontre des situations très diverses. Dans l’Aude ou dans les Pyrénées-Orientales, par exemple, il y a une désertification vétérinaire car il n’y a pas une répartition homogène des élevages, souligne ainsi Frédéric Decante. Aborder ce problème passe par la prise en c ompte de la géographie de l’espace rural qui comprend toute une population rurale et pas seulement l’élevage. » Difficile, dans ces conditions, de trouver un équilibre financier pour une activité rurale. Sans oublier que les praticiens ont l’obligation d’assurer la permanence et la continuité des soins (PCS). Notre consœur de Couiza soulignait, à ce propos, qu’elle assumait ses gardes gratuitement comme beaucoup d’autres praticiens. Recruter ? Encore faut-il pouvoir payer le salarié, et pour cela, comme l’explique Frédéric Decante, avoir une activité suffisante. « En Lozère, la situation n’est pas trop mauvaise. L’activité rurale est soutenue, même si le recrutement de jeunes vétérinaires est difficile. » « On ne peut pas embaucher quelqu’un pour un jour par semaine, précise aussi Delphine Ferré-Fayache. En plus, dans les petites structures, un déséquilibre peut rapidement naître. La solution est alors d’arrêter la rurale. » Et pour finir, encore faut-il aussi trouver le salarié. « Une des difficultés en rurale est le recrutement. Beaucoup préfèrent la canine, constate notre consœur. La prophylaxie n’aide pas, car c’est un travail pénible. Peut-être que les visites sanitaires pourraient motiver les jeunes à rester, car elle leur offre la possibilité de pratiquer de la médecine de troupeau. » Et qui dit moins de vétérinaires ruraux, dit allongement des trajets pour les élevages. Un sujet particulièrement épineux dans certains territoires, par exemple en zone de montagne… La question du maillage est complexe !

Des solutions toujours en discussion

Après le constat, quelles solutions ? Car il y a urgence, comme le souligne Frédéric Decante, la désertification est une véritable « bombe à déflagration ». À l’instar du cas de Couiza, « il y a un aspect domino : quand des clientèles se fragilisent, les autres essaient de prendre le relais et se fragilisent à leur tour. » Alors pour essayer de maintenir l’équilibre, chacun se mobilise. « Nous essayons de réunir les praticiens exerçant à proximité les uns des autres afin que chacun puisse exprimer ses problématiques et ses difficultés. Il est important de mettre du liant pour rétablir un contact entre vétérinaires voisins qui souvent s’ignorent », signale notre confrère de l’Ordre, qui précise tout de même que la question du maillage ne relève pas en théorie de leurs compétences : « Nous avons ni la légitimité, ni les outils pour cela. » Néanmoins, l’Ordre a engagé, aux côtés du GTV régional, des réflexions sur les tarifs de prophylaxie, ainsi qu’un travail de cartographie des vétérinaires et des éleveurs. « La solution dépend de la répartition de l’élevage dans un lieu tant quantitativement que qualitativement », assure notre confrère. Côté GTV, Delphine Ferré-Ayache annonce le projet d’organiser des tables rondes dans chaque département pour discuter de la question du maillage. « Nous souhaitons intégrer les éleveurs dans la discussion, pour leur faire mieux prendre conscience du problème. Cela nous permettrait de recueillir des appuis. » Une réflexion est également lancée sur la permanence et la continuité des soins : « Pourquoi pas envisager la création d’un système de régulation des gardes au niveau régional, afin de limiter les coûts d’astreinte. » Demander une aide financière aux collectivités territoriales n’est pas non plus exclu. Pour Thierry Mathet, les collectivités territoriales sont d’autant plus concernées que « la difficulté avec le maillage dépasse le cadre de la rémunération, c’est aussi un problème d’attractivité du territoire ». « Peut-être devront-elles envisager des incitations financières ou un accompagnement à l’installation, sans forcément parler d’argent », suggère-t-il. Et se pose peut-être aussi la question du profil des jeunes diplômés. « L’enjeu lié à la formation est énorme ! Des vétérinaires arrêtent la clientèle pour se diriger vers des secteurs d’activité pas prioritaires pour l’État », précise-t-il. Ce qui a poussé ce dernier à envisager des évolutions sur les modalités de recrutement.

1 Voir l’actualité du 25/7/2019, « Vétérinaire rurale : un exercice au bord de la rupture ? », publiée sur Lepointveterinaire.fr ((bit.ly/2ZuMur4).

2 Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux ( bit.ly/2ksYzi0).

3 À la suite de l’alerte donnée par notre consœur de Couiza, une nouvelle convention bipartite a pu être négociée pour l’année 2019, avec un financement pour moitié par forfait et pour l’autre moitié en frais réels.

LE VÉTÉRINAIRE, UN TROP BON PETIT SOLDAT ?

Dans le cas de la fermeture du cabinet de Couiza (Aude), notre consœur Marie-Christine Weibel estime ne pas avoir été assez entendue, malgré ses nombreuses alertes, aucune aide ne lui ayant été accordée ou proposée pour poursuivre sa mission de vétérinaire sanitaire. Signe d’un désengagement de l’État ? Pas si simple. Comme le rappelle Thierry Mathet, chef du service vétérinaire de la DDPP de l’Aude : « L’État n’a pas de responsabilité dans la négociation des tarifs de prophylaxie. C’est une convention entre les représentants des éleveurs et des vétérinaires. » Il ajoute aussi que les financements de l’État existent au travers des visites sanitaires, permettant d’assurer au quotidien une rémunération du vétérinaire, tout comme l’État s’engage aussi dans la formation initiale. En outre, rappelons aussi que le spectre de la désertification vétérinaire avait conduit à l’élaboration d’une feuille de route ministérielle, Réseau de vétérinaires dans les territoires ruraux en production animale, lancée en avril 2017. Il n’empêche, pour Frédéric Decante, vétérinaire rural en Lozère et secrétaire général adjoint au conseil régional de l’Ordre de l’Occitanie, il y a clairement un désengagement de l’État et des collectivités territoriales : « On nous fait porter des missions de service public et, jusqu’à présent, par vocation, l'ancienne génération les assurait sans réelle compensation, chacun assumant dans son coin sa perte financière. L'affaire de Couiza délie les langues. » Par vocation ? « Le vétérinaire rural a toujours travaillé dans un souci de services. C’est inscrit dans nos gènes », fait-il valoir. Il ajoute : « Moralité : il peut récupérer des clients géographiquement éloignés, pour un temps incertain, et doit alors gérer un excès de travail, sans aucune visibilité, avec le risque de fragiliser son cabinet. » Il s’interroge : « Mais est-il normal de s'entendre dire partout que l'activité de vétérinaire sanitaire est souvent déficitaire ? » Ce sentiment de manque total de reconnaissance du travail du vétérinaire sanitaire sera-t-il entendu ?

VERS UNE NOUVELLE RELATION ÉLEVEUR-VÉTÉRINAIRE ?

Pour Sylvain Fraysse, le président de la fédération régionale des groupements de défense sanitaire (FRGDS) de l’Occitanie, résoudre le problème du maillage vétérinaire en zone rurale passe aussi par une évolution des liens entre vétérinaires et éleveurs. D’abord dans les commissions bipartites. S’il souligne qu’on y trouve une écoute mutuelle, et une capacité à adapter les moyens mis en œuvre, il constate que les demandes des vétérinaires y sont de plus en plus entendues. Par exemple, dans l’Aude, les tarifs avaient été revus à la hausse du fait de la très faible densité des cabinets vétérinaires et du temps passé dans les déplacements. « Dans les cabinets très tournés vers la rurale, il faut prêter une oreille attentive à la prophylaxie », insiste-t-il.Le lien doit aussi évoluer dans le suivi des élevages, en plaçant le curseur sur la prévention. « Dans la région, bon nombre de GDS ont mis en place, selon des modalités différentes, une approche sanitaire globale des élevages, en positionnant le vétérinaire en tant qu’expert et formateur. » En matière de prévention, si Sylvain Fraysse reconnaît que les éleveurs ont la possibilité de faire appel à d’autres professionnels, il rappelle bien l’importance du praticien qui « est le maillon central du suivi sanitaire du troupeau ». Il ajoute : « Je crois beaucoup à la contractualisation ». à condition que l’éleveur soit réceptif à cette nouvelle approche –« c’est de notre responsabilité »–, mais aussi que le vétérinaire ait la volonté de le proposer. Pour autant, selon Alexandre Granger, président du GDS de l’Aude, la contractualisation semble difficile dans les secteurs des Pyrénées audoises, voire dans les départements limitrophes : « L’élevage dans les Pyrénées reste une activité fragile, avec un modèle qui s’appuie sur la maîtrise des charges. La relation avec le vétérinaire repose sur le suivi de la prophylaxie et sur quelques interventions pour ces cas particuliers. » La solution est loin d’être “universelle“ donc. Et l’évolution des liens entre vétérinaires et éleveurs loin d’être suffisante. Selon Sylvain Fraysse, la question du profil des étudiants vétérinaires ne doit pas être occultée : « Il faut aimer la ruralité pour avoir envie d’y consacrer sa vie professionnelle. » Il rajoute aussi que la question du maillage s’inscrit dans un problème global de société impliquant aussi le consommateur. Car ce dernier, en consommant local, permet le maintien d’une dynamique agricole locale. Et sans élevage, quel avenir pour l’activité vétérinaire rurale ?

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr