« Il existe des solutions plus simples que la viande in vitro » - La Semaine Vétérinaire n° 1821 du 27/09/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1821 du 27/09/2019

ENTRETIEN AVEC JEAN-FRANÇOIS HOCQUETTE

ACTU

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR TANIT HALFON 

Comment nourrir les 9,1 milliards d’habitants dans le monde qui sont attendus pour 2050 ? Certains misent sur la production de viandes en laboratoire, qui pourraient, selon des start-up du secteur, se vendre en supermarché en 2021 à… 9 € ! Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique, qui a coordonné une revue en 2015 sur le sujet, décrypte pour nous ce marché en plein essor.

Qu’est-ce qui motive la recherche sur la production de viande in vitro ?

Trois arguments sont mis en avant : nourrir 9 milliards de personnes, réduire notre pression sur l’environnement et répondre aux attentes sociétales concernant le bien-être animal. Certains scientifiques considèrent que ces questions peuvent être réglées avec la production de viande artificielle. Pourtant, chacun de ces arguments n’est pas dépourvu de points faibles. D’abord, il faut bien se rendre compte que les start-up ne produisent pas de la viande, mais quelque chose qui ressemble à du tissu musculaire, au mieux un amas de fibres musculaires désorganisées. Obtenir de la viande nécessite une phase de maturation d’un tissu musculaire qui s’accompagne d’un attendrissement du muscle. La protection de l’environnement induite est aussi très discutable car, en l’absence de bioréacteurs, nous en sommes réduits à faire des hypothèses. Une étude récente1 a d’ailleurs conclu que, sur le long terme, une telle industrie serait néfaste du fait d’une production de CO2 à la demi-vie plus longue que le méthane provenant des animaux d’élevage. Enfin, cette production ne sauve pas la vie des animaux puisque le milieu de culture cellulaire ne peut pas se passer encore de sérum fœtal. Même si je pense que sur ce point, à terme, il sera possible d’y remédier. Dans ce contexte, annoncer une commercialisation prochaine me paraît prématuré, mais c’est nécessaire pour lever des fonds d’investissement.

Outre les limites techniques, identifiez-vous d’autres freins de développement du secteur ?

Des freins réglementaires et sociétaux. Obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) est une démarche longue. Ensuite, il faut convaincre les consommateurs. Or, pour l’instant, les sondages révèlent que s’ils sont prêts à goûter au moins une fois, ils ne le sont pas encore pour une consommation régulière. La France n’est pas le seul pays concerné, des résultats similaires ayant été obtenus aux États-Unis. De plus, aujourd’hui, nous assistons à un mouvement en faveur des produits locaux.

Les start-up mettent aussi en avant l’argument que la viande de laboratoire serait plus saine. Qu’en est-il ?

Ce raisonnement est théorique, car le produit final n’existe pas hors des laboratoires, donc il est pour l’instant impossible d’en tester l’innocuité. Une fois que ce sera le cas, et comme pour tout autre produit commercialisé, il faudra appliquer le principe de précaution et il n’est pas exclu que l’on prenne conscience de certaines problématiques.

Les start-up reçoivent des fonds de grandes entreprises agroalimentaires américaines, comme Tyson Foods et Cargill 2 . Est-ce inquiétant pour l’élevage ?

La demande de viande va aller en augmentant. Dans ce contexte, on va certainement se diriger vers une diversification des sources de protéines, comme les steaks végétaux et peut-être la viande in vitro. Pour autant, je ne pense pas que l’élevage va diminuer. En témoignent les investissements qui proviennent uniquement du privé, aucun grand organisme de recherche public ne souhaitant s’engager dans ce secteur. En outre, si la viande in vitro devenait commune et que l’élevage disparaissait, cela ne serait pas sans poser des problèmes éthiques, car cela accentuerait la domination des pays développés possédant la technologie sur les pays en voie de développement.

Récemment, les agences fédérales américaines ont annoncé vouloir encadrer la mise sur le marché de telles viandes. Comment interpréter cette annonce ?

Élaborer un cadre réglementaire pour analyser un produit nouveau ne signifie pas que ce dernier sera homologué. En outre, si une AMM est accordée, encore faut-il se poser la question du succès du produit.

En conclusion, produire de la viande in vitro , est-ce une bonne ou une mauvaise idée ?

Mes collègues de l’Inra et moi-même pensons qu’il existe d’autres solutions dans le domaine agroalimentaire qui répondraient aux arguments évoqués par les start-up [NDLR : faim dans le monde, protection de l’environnement, bien-être animal], des solutions plus simples, nécessitant moins d’investissements, avec moins de problèmes techniques, voire éthiques3. Par exemple, en réduisant de moitié le gaspillage alimentaire, il a été prouvé qu’on résoudrait une grande partie des problèmes de faim dans le monde.

1 bit.ly/2DTUlFB.

2 Tyson Foods est historiquement un transformateur et distributeur de viande (poulet, bœuf, porc). Cargill vend notamment des matières premières végétales et animales (viande et volaille).

3 Hocquette J.-F. (2016). Is in vitro meat the solution for the future?. Meat Science, 120, 167-176. DOI : 10.1016/j.meatsci.2016.04.036.

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