« Les professionnels libéraux sont les grands perdants de cette réforme » - La Semaine Vétérinaire n° 1820 du 20/09/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1820 du 20/09/2019

ENTRETIEN AVECGILLES DÉSERT

ACTU

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR MARINE NEVEUX 

La réforme des retraites est au centre de toutes les attentions. Le projet actuel pénalise fortement les professionnels libéraux que sont les vétérinaires. Notre confrère Gilles Désert, président de la Caisse autonome de retraites et de prévoyance des vétérinaires (CARPV), nous explique ses réticences et ses attentes.

L’actuel projet sur la réforme des retraites vous satisfait-il ?

Au sein de l’association Pro’Action Retraite, nous sommes opposés aux propositions du haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye. Lors de la présentation de son rapport, le 18 juillet, il n’a d’ailleurs rien changé aux propositions déjà annoncées en octobre 2018 et déjà contestées. Par exemple, l’assiette du régime universel assise sur trois plafonds annuels de la Sécurité sociale (Pass) représente une somme importante pour permettre d’englober 98 % des Français dans un système général. Mais elle n’est pas adaptée aux professionnels libéraux. Si l’assiette des cotisations est maintenue à trois Pass, les cotisations des vétérinaires seront toutes intégrées dans le régime universel et il n’y aura plus de place pour les régimes complémentaires spécifiques des professionnels libéraux.

L’Union nationale des professions libérales (Unapl) a fait une demande de limite à 1,5 Pass ; au sein de Pro’Action Retraite, nous demandons un seuil de un Pass (40 000 €), car celui de 1,5 Pass déséquilibrerait beaucoup le régime des vétérinaires libéraux.

Le calcul de l’assiette de cotisation reste flou, rien de clair n’ayant été donné. Il est donc difficile de mesurer l’impact précis de cette réforme sur les cotisants.

En outre, le taux de cotisation envisagé à 28,12 % pour tout le monde étranglerait les professions libérales. Actuellement, ce taux est d’environ 18 %.

La CARPV n’a rien à gagner avec cette réforme. Aujourd’hui, le taux de rendement des retraites des vétérinaires libéraux est de 7,5 %, il passerait avec la réforme à 5,5 %. Ce régime serait désavantageux pour la profession vétérinaire. Certes, nous avons conscience qu’il faut diminuer le rendement pour le sécuriser, mais on ne peut pas passer brutalement de 7,5 à 5,5 %.

Ce régime est calqué sur celui des salariés, pour lesquels l’employeur participe pour plus de la moitié à l’effort de cotisation. On demande aux libéraux, qui sont leur propre employeur, d’assumer seuls le même niveau de cotisation. Notre effort est déjà conséquent, et atteindre 28 % serait particulièrement pénalisant, cela poserait aussi des problèmes de trésorerie.

La France ne fait-elle d’ailleurs pas figure d’exception avec cette réforme ?

En effet, dans la grande majorité des autres pays européens, le régime de base, sur lequel repose la solidarité, est assis sur une assiette de l’ordre de 30 000 à 50 000 €, cela n’est ainsi jamais aussi élevé que dans ce projet. En France, ce niveau d’assiette annoncé est particulièrement élevé, car il vise à inclure tous les fonctionnaires et à éviter de gérer spécifiquement leurs retraites en créant un système global.

Faut-il craindre la disparition des caisses de retraite ?

Les caisses de retraite continueront probablement à collecter les cotisations, bien que cela puisse aussi être remis en cause, en témoigne la démarche de l’Urssaf auprès de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) qui se positionne avant même la réforme pour gérer la récupération de leurs cotisations !

Les caisses continueraient à recevoir les adhérents au téléphone, à verser les retraites, elles s’occuperaient encore du régime invalidité-décès et de l’action sociale, mais elles n’auraient plus de rôle politique et de gestion du régime complémentaire.

Aujourd’hui, le conseil d’administration de la CARPV a en effet un rôle politique et une autonomie dans ses choix de gestion, même si, bien entendu, cela se fait sous le contrôle de notre tutelle. Avec la réforme, nous risquons de perdre tout rôle politique.

Attendez-vous des évolutions ?

Le rapport du haut-commissaire à la réforme des retraites est une chose ; le Premier ministre va recevoir les syndicats, dont le Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL). La CARPV n’est pas certaine d’être interrogée, on peut même dire qu’elle a été rapidement écartée des précédentes auditions.

Nous souhaiterions que le régime universel se superpose à ce qu’est le régime de base actuel, c’est le pilier de retraite universelle et solidaire : on paye les mêmes cotisations, les mêmes rendements, on participe au droit contributif à hauteur de 20 à 25 % (congés maladie, maternité, etc.). Nous souhaiterions que le deuxième pilier de la retraite des libéraux soit représenté par nos régimes complémentaires, qui sont équilibrés et ne coûtent rien à l’État.

Est-ce à prévoir un large mouvement de contestation dans les semaines à venir ?

Le 16 septembre prochain, les avocats se sont donné pour mot d’ordre d’organiser une manifestation. Ils ne font pas partie de Pro’Action Retraite. Ce mouvement de manifestation est aimanté par le syndicat des avocats. Nous allons déterminer rapidement sous quelle forme nous souhaitons exprimer notre désaccord.

Peut-on encore être confiant en cette rentrée ?

Les personnes nées avant 1963 ne sont pas concernées par cette réforme, mais les nouvelles générations le sont. Les professionnels libéraux sont les grands perdants de cette réforme.

Nous espérons que le gouvernement reconnaisse les spécificités des professions libérales. Nous avons des phases dans nos vies professionnelles qui nécessitent de faire des investissements, donc il faut qu’on nous permette de moduler nos cotisations et ne pas nous imposer un taux fixe de 28 %. Cette réforme découragerait alors les libéraux. Si nous sommes compris et entendus par certains politiques, aujourd’hui, nous attendons des actes.

LA RÉFORME EN QUELQUES DATES


• 2017 Programme présidentiel : Emmanuel Macron s’engage à réformer le système de retraite.

• Septembre 2017 Jean-Paul Delevoye est nommé haut-commissaire à la réforme des retraites.

• Juillet 2018 Création de l’association Pro’Action Retraite par cinq caisses de retraite (notaires, pharmaciens, dentistes, vétérinaires et experts-comptables), pour que les spécificités des indépendants et des libéraux soient prises en compte dans le futur régime.

• Mars 2019 Élaboration d’un livre blanc par Pro’Action Retraite, après une large enquête auprès des professionnels libéraux et indépendants.

• 25 juin 2019 Colloque organisé par l’association Pro’Action Retraite à Paris intitulé « La protection sociale des indépendants et libéraux : quelle réforme des retraites ? »

• Juillet 2019 Remise du rapport du haut-commissaire à la réforme des retraites.

• 19 et 26 juillet L’Unapl reste vigilante sur la réforme des retraites et invite le haut-commissaire à la réforme des retraites à jouer “cartes sur table”.

• Rentrée Période de discussions et d’arbitrage.

• Début 2020 Soumission du projet de loi au Parlement.

DES GRANDES LIGNES DE LA RÉFORME

- Passage d’un système par annuités à un système par points.
- Un système universel de retraite qui remplace les 42 régimes de retraite actuels, avec des règles communes à tous : salariés du privé et du public, fonctionnaires, indépendants, professions libérales, agriculteurs, parlementaires, etc. Les régimes spéciaux seront fermés.
- Les salariés du privé, des régimes spéciaux et les fonctionnaires auront des cotisations identiques. Il est proposé que le taux de cotisations soit de 28,12 %.
- Jusqu’à 40 000 €, le taux de cotisations des indépendants sera de 28,12 % et, entre 40 000 à 120 000 €, de 12,94 % .
- 100 % des actifs seront couverts par le système universel, et s’ouvriront des droits sur la totalité de leur rémunération (dans la limite de trois plafonds de la Sécurité sociale, soit jusqu’à 120 000 €).
- L’âge du taux plein permettra aux Français de bénéficier du rendement optimal du système, soit 5,5 % en fonction des hypothèses en vigueur aujourd’hui (pour 100 € cotisés, un retraité percevra 5,5 € par an pendant toute sa retraite).
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