Animal génétiquement modifié : une carte à jouer - La Semaine Vétérinaire n° 1820 du 20/09/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1820 du 20/09/2019

ACADÉMIE VÉTÉRINAIRE

ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON 

L’Académie vétérinaire de France appelle à favoriser la recherche utilisant les technologies modernes d’ingénierie du génome. Dans un monde globalisé, il ne s’agit rien de moins que d’une urgence stratégique, en particulier pour le secteur de l’élevage des animaux de rente.

La technique Crispr-Cas9 1 sera la base fondamentale de la prophylaxie des maladies animales du xxi e siècle », affirme Michel Thibier, membre émérite de l’Académie vétérinaire de France. Mis au point en 2012, l’outil Crispr-Cas9 associe une endonucléase de restriction à un fragment d’ARN guide. Ce dernier reconnaît par hybridation, et avec une extrême précision, une séquence cible du génome visé, l’enzyme assurant alors une cassure du double brin d’ADN. Ce qui rend possible une inactivation de gènes de sensibilité à un agent pathogène ! Une révolution pour l’élevage, et donc pour le secteur vétérinaire. Dans ce contexte, l’Académie vétérinaire de France a décidé, dans un nouvel avis publié en juin2, « d’alerter les décideurs », comme l’indique notre confrère. Objectif : leur faire prendre conscience de l’importance de favoriser les projets de recherche utilisant ces nouvelles technologies.

Un atout pour l’élevage

La filière porcine illustre bien les avantages apportés par ces technologies. « Des équipes de recherche très actives d’Amérique du Nord et du Sud, ou encore de Chine, ont réussi à produire des animaux reproducteurs insensibles au syndrome dysgénésique et respiratoire porcin, souligne Michel Thibier. Des chercheurs chinois ont également publié un article relatant l’obtention de deux générations de porcs insensibles à la peste porcine classique. Inutile d’ajouter que les travaux en Chine vont bon train concernant la peste porcine africaine. » Outre la santé, ces nouveaux outils promettent également des avancées zootechniques, avec la possibilité, par exemple, d’inactiver le gène responsable du développement des cornes chez les bovins ou celui responsable de la production de la myostatine, débouchant de fait à des animaux dits “culards”. Sans parler de la correction de maladies génétiques chez les carnivores domestiques, ou encore de la production de porcs donneurs d’organes via l’inactivation des copies des génomes rétroviraux et des gènes d’histocompatibilité.

Lever les blocages réglementaires

Malgré les progrès de l’ingénierie du génome, et ses retombées positives pour l’élevage, il reste un problème de taille : la législation. À ce jour, un animal génétiquement modifié par ces nouvelles techniques relève en théorie de la directive 2001/18/CE, au même titre que les animaux transgéniques. Or, il ne s’agit pas de transgenèse : « Cette technique ne fait que reproduire ce qui apparaît spontanément, mais dans une très faible proportion, dans la nature », insiste Michel Thibier. La note d’accompagnement de l’avis parle ainsi d’une “législation inadaptée et injuste”, qui interdit, de fait, toute commercialisation de viande provenant des animaux génétiquement modifiés via ces nouvelles techniques, « alors que rien ne le justifie scientifiquement ». « L’académie souhaite que les projets de recherche soient analysés, au cas par cas, par des instances scientifiques compétentes et indépendantes, et non plus uniquement du point de vue juridique », indique Jean-Louis Guénet, membre titulaire de l’Académie, qui a travaillé sur ce sujet au côté de Michel Thibier. Ce dernier complète : « Nous demandons à ce qu’il soit possible de mener des recherches jusqu’à obtenir des animaux génétiquement modifiés adultes sur plusieurs générations, afin de s’assurer au cas par cas de la validité de l’approche et de l’absence d’effets secondaires. Aujourd’hui, tout ce que l’on sait provient de Chine, des États-Unis ou d’Amérique du Sud. »

Une urgence stratégique

Face à d’autres pays qui ne s’encombrent pas, ou moins de mesures restrictives, il y a urgence, au risque, comme l’indique l’avis, d’arriver à « un retard préjudiciable ». « Décider a priori, de ne pas entreprendre de projets de recherche impliquant la production de modifications ciblées du génome pourrait avoir des conséquences très préjudiciables pour certaines filières d’élevage », craint Jean-Louis Guénet. En clair, cela provoquerait une situation de concurrence entre les pays qui le font et les autres. Voire, suggère-t-il, conduirait à des actes malintentionnés, via la dissémination d’agents pathogènes dans les pays dont les troupeaux n’ont pas été rendus insensibles. En outre, comme il le fait remarquer, sans possibilité d’applications, qui financerait de telles recherches en Europe ? Michel Thibier évoque aussi le risque que des éleveurs européens cherchent eux-mêmes, « et sous le manteau », des embryons ou de la semence de reproducteurs de lignées insensibles. Cet avis, approuvé à l’unanimité des membres présents (moins une abstention), fera-t-il avancer la réflexion nationale et européenne ? À voir, car malgré une rencontre prochaine mi-septembre dans les locaux du ministère de l’Agriculture, les deux académiciens s’avouent tous deux… très pessimistes.

1 Clustered regularly interspersed short palindromic repeats.

2 bit.ly/2jZUNfK.

LES TROIS RECOMMANDATIONS DE L’AVIS


• Encourager et financer les projets de recherche faisant usage des technologies modernes d’ingénierie du génome, sous peine d’entraîner un retard préjudiciable ;

• Établir un cadre réglementaire communautaire, qui soit fonction du type de modification génétique et qui tienne compte de l’évolution rapide de ces technologies ;

• Réaliser un examen des projets au cas par cas, reposant sur un avis scientifiquement fondé et qui prenne en compte le degré d’acceptabilité par la société.

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