Hypertension artérielle systémique : le consensus du Geca - La Semaine Vétérinaire n° 1816 du 05/07/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1816 du 05/07/2019

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : LAURENT MASSON  

L’hypertension artérielle systémique (HTAS) est l’augmentation persistante de la pression artérielle systémique (PAs). À l’occasion du dernier congrès de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), le groupe d’étude en cardiologie, pneumologie (Geca) a présenté ses recommandations relatives à cette affection. Concernant les variations physiologiques, les mâles, les animaux âgés et les animaux stérilisés ont une PAs plus élevée que les femelles, les jeunes et les animaux non stérilisés, respectivement. L’obésité n’est pas un facteur de risque d’hypertension artérielle chez les carnivores domestiques, contrairement à l’homme. Concernant les variations raciales, chez le lévrier, la pression artérielle (PA) est supérieure de 10 à 20 mmHg si la mesure est effectuée dans un contexte hospitalier (effet “blouse blanche” plus marqué). La PA est classée en quatre stades (tableau ci-dessous), chacun associé à un risque de lésion sur les organes cibles (œil, système nerveux central, cœur, reins). Une PAs supérieure de manière persistante à 140 mmHg est indicatrice d’hypertension artérielle.

Quand mesurer la PAs

Il n’est pas recommandé de mesurer la PA de manière systématique sur tous les animaux vus en consultation, car il existe un risque important de faux-positifs (effet “blouse blanche”) et une faible prévalence d’HTAS dans la population générale. Il semble raisonnable de l’envisager une fois par an chez les animaux sains de plus de 9 ans, car la prévalence de l’HTAS semble augmenter avec l’âge. De plus, les maladies causales touchent préférentiellement l’animal âgé.

Par ailleurs, il convient de réaliser un suivi au moins annuel de la mesure de la PAs chez le chat ou le chien atteint de maladie rénale chronique et/ou de dysendocrinie, y compris lorsque l’animal est normotendu au moment du diagnostic. Certains traitements sont également susceptibles d’induire une hypertension et justifient un suivi de la PA (érythropoïétine [EPO], phénylpropranolamine, pseudoéphédrine, tocéranibe ; les corticoïdes n’induisent pas d’hypertension).

La mesure doit aussi être faite en présence de lésions des organes cibles.

Lésions induites par l’hypertension

- Les lésions oculaires sont plus fréquentes chez le chat que chez le chien : décollement rétinien bilatéral à l’origine d’une cécité brutale, hémorragies rétiniennes, glaucome, œdème papillaire… L’examen du fond d’œil en ophtalmoscopie directe ou indirecte doit être réalisé de façon systématique lors d’une mesure de PAs supérieure à 160 mmHg. Par ailleurs, l’examen du fond d’œil doit être proposé dans le cadre de la consultation gériatrique (chez le chat de plus de 7 ans et le chien senior) ou de suivi de maladie rénale ou dysendocrinie, afin de dépister la présence d’une HTAS asymptomatique.

- Les lésions du système nerveux central atteignent surtout l’encéphale, mais aussi la moelle épinière (myélopathie ischémique, par exemple). Des crises convulsives, une altération de la vigilance, une amaurose, une ataxie cérébelleuse ou vestibulaire sont plus fréquemment observées. De 29 à 46 % des chats hypertendus présentent des signes nerveux. Lors de diagnostic d’accident vasculaire cérébra (AVC) chez le chien, seul un tiers des sujets présentent une HTAS.

- L’HTAS peut avoir également des répercussions cardiaques : l’augmentation de la post-charge conduit à un épaississement concentrique du ventricule gauche (VG), symétrique ou non, modérée et variable. Des modifications Doppler sont notées, indiquant une dysfonction myocardique. Une dilatation de l’aorte proximale est occasionnellement observée chez le chat. Une insuffisance aortique fonctionnelle a été rapportée chez le chien.

- Enfin, lors d’aggravation d’une atteinte rénale (majoration de la protéinurie ou de l’azotémie), il convient de penser à vérifier la PA. L’hypertension a un effet délétère sur l’évolution de la maladie rénale, en aggravant la protéinurie.

Affections sous-jacentes

- Les néphropathies sont les premières causes d’HTAS secondaire, par l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone. Chez le chat, la prévalence d’une hypertension est de 19 à 65 % des cas au moment du diagnostic de maladie rénale chronique (MRC). 17 % des chats insuffisants rénaux normotendus lors du diagnostic développeront une HTAS ; une surveillance est donc indispensable. Chez le chien, la prévalence varie entre 9 et 33 % lors de MRC, avec un risque majoré lors de glomérulopathie (61 % des chiens lors de glomérulopathie leishmanienne). Par ailleurs, l’HTAS peut également être présente en cas d’insuffisance rénale aiguë : 37 % des chiens et 49 % des chats à l’admission, 81 % et 59 % en cours d’hospitalisation.

- Lors d’hypercorticisme, l’hypertension est présente chez la majorité (59 à86 %) des chiens atteints. Elle peut persister après traitement, même équilibré. Une étude a montré que 18 % des chats atteints de maladie de Cushing sont hypertendus.

- Lors d’hyperthyroïdie, l’HTAS n’est pas très fréquente (12 % au moment du diagnostic), mais 23 % deviennent hypertendus au cours du traitement (à la suite du rétablissement des résistances vasculaires périphériques).

- Lors de diabète sucré chez le chien, une hypertension est souvent observée, mais elle reste légère. L’HTAS étant rare chez le chat diabétique, il convient donc de rechercher une maladie concomitante lors de diagnostic d’HTAS chez un chat diabétique.

- Parmi les dysendocrinies rares dans lesquelles l’HTAS est un élément essentiel, penser au phéochromocytome chez le chien (en association à une tachycardie) et à l’hyperaldostéronisme chez le chat.

- En l’absence de maladies sous-jacentes identifiables, il est question d’HTAS idiopathique. Rarement rencontrée chez le chien, elle concerne 13 à 20 % des chats présentant une HTAS, sûrement en raison de maladie rénale chronique (MRC) de stade 1 sous-diagnostiquée.

Mesure de la pression artérielle

Appareils

La télémétrie est la méthode de référence, mais elle n’est pas réalisable en pratique. Le clinicien dispose de deux méthodes de mesure indirecte lui permettant d’évaluer la pression artérielle : la méthode Doppler et les méthodes oscillométriques de nouvelle génération (exemples : Vet-HDO®, PetMAP®). Même si aucune de ces deux méthodes ne satisfait néanmoins totalement les critères définis par l’American College of Veterinary Internal Medicine (Acvim) en 2007, le PetMAP® est plus fiable que le Doppler chez des chiens sains, qu’ils soient vigiles ou anesthésiés, mais présente une moins bonne précision pour la valeur de la PAs. La répétabilité et reproductibilité des valeurs recueillies avec le Vet-HDO® entre deux opérateurs est comparable à celle obtenue avec le Doppler, toujours chez le chien sain. Chez le chat, le Doppler et le Vet-HDO® sont fiables chez le chat sain et uniquement pour la PAs.

Pour être sûr de la fiabilité du résultat, il convient de vérifier l’obtention d’une belle courbe en cloche, visible sur l’écran du PetMAP®, ou par le biais d’un logiciel installé sur l’ordinateur, pour le Vet-HDO®. La largeur du brassard doit être de 30 à 40 % de la circonférence du site de mesure pour la méthode Doppler et entre 42 et 50 % pour la méthode oscillométrique. Si le brassard est trop grand, il y a un risque de sous-estimer la mesure, et inversement s’il est trop petit. Enfin, la rigidité de l’artère peut être évaluée par l’analyse de la courbe oscillométrique : plus les signaux présystoliques sont larges et hauts en amplitude, plus l’animal peut être considéré hypertendu.

Conditions de réalisation

Il est recommandé d’utiliser le matériel avec lequel le praticien est le plus familier, de standardiser la méthode de mesure par le choix du brassard adéquat, d’opter pour un site de mesure tondu ou mouillé et de laisser faire la mesure par un opérateur expérimenté. Il est recommandé de bien serrer le brassard pour s’assurer du bon contact avec l’artère. Cinq à sept mesures doivent être réalisées. Il convient de considérer la PAs pour établir un diagnostic d’hypertension, de garder un regard critique sur les valeurs obtenues et de tenir compte de l’effet “blouse blanche” (PAS qui peut varier de plus ou moins 17 mmHg). La patience est de mise avec les animaux stressés en raison d’un effet positif de l’acclimatation (en 5 à 10 minutes), dans un environnement calme en présence du propriétaire. Remettre le chat dans sa cage de transport peut limiter le stress, d’où l’intérêt d’utiliser un appareil avec un minimum de manipulations.

Traitement

Décision de prise en charge

Il convient de traiter au cas par cas, en fonction de la clinique et de la réponse au traitement. En l’absence de lésion d’organe cible, le clinicien proposera deux à trois visites répétées sur une période de 1 à 2 mois lors de PAs comprise entre 140 et 180 mmHg. Dans le cas d’une PAs supérieure à 180 mmHg, deux à trois visites sont prévues sur une période de 1 à 2 semaines. Si la PAs dépasse 160 mmHg lors de trois visites consécutives, un traitement antihypertenseur est recommandé. Dans ce cas, les maladies sous-jacentes potentiellement hypertensives doivent être identifiées et traitées. L’objectif est d’obtenir une PAs inférieure à 160 mmHg à court terme et une PAs entre 120 et 140 mmHg sur le long terme.

Molécules

Les médicaments antihypertenseurs à disposition du clinicien sont les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA), les inhibiteurs des récepteurs de type 1 de l’angiotensine II (telmisartan) et les inhibiteurs calciques (amlodipine). Peu de données sont disponibles sur l’intérêt d’une restriction sodée. Chez le chien, le traitement d’une PAs inférieure à 200 mmHg fait appel, au choix, aux IECA, au telmisartan ou à l’amlodipine en fonction du contexte clinique. En revanche, lors de PAs supérieure à 200 mmHg, l’utilisation combinée d’un inhibiteur du système rénine-angiotensine (IECA ou telmisartan) avec l’amlodipine est recommandé, en raison du risque important de lésion d’organe cible. Chez le chat présentant une PAs inférieure à 200 mmHg, le traitement de choix est l’amlodipine à la dose d’attaque de 0,625 mg par chat. La dose sera doublée, rarement quadruplée, en l’absence d’effets secondaires, lors de PAs supérieure à 200 mmHg. Une diminution moyenne de 28 à 55 mmHg en monothérapie est généralement observée. Les traitements alternatifs chez le chat incluent le telmisartan (2 mg/kg/j, avec une diminution moyenne de 20 mmHg) et les IECA (avec une diminution moyenne de 10 mmHg). Ces derniers sont indiqués selon deux critères majeurs : en complément de l’amlodipine afin d’atteindre l’objectif tensionnel et/ou si leur utilisation est indiquée dans le traitement de maladie concomitante (maladie rénale chronique ou cardiopathie). La présence de protéinurie est un facteur prédictif de survie déterminant chez les chats hypertendus. L’hypertension elle-même pouvant conduire à une protéinurie.

Suivi

Une réévaluation avec mesure de la PAs est prévue 7 à 10 jours après la mise en place du traitement, voire seulement 1 à 3 jours lors de lésions d’organes cibles associées. Après stabilisation, le suivi est impératif à une fréquence idéalement d’au moins une fois tous les 3 mois, afin de s’assurer de l’efficacité et de la bonne tolérance du traitement. Idéalement, la mesure devrait s’effectuer au pic d’action de la molécule administrée (tableau ci-dessus) et dans des conditions similaires à la première mesure. Lors de PAs inférieure à 120 mmHg et de signes d’hypotension, la dose est diminuée. En revanche, il convient d’augmenter celle-ci ou d’ajouter un autre antihypertenseur si la PAs reste supérieure à 160 mmHg.

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