Les vétérinaires ruraux au cœur des enjeux sociétaux - La Semaine Vétérinaire n° 1815 du 28/06/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1815 du 28/06/2019

ÉLEVAGE

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE  

Maintien de l’élevage herbivore sur le territoire, impact sur la biodiversité et sur l’environnement… Autant d’enjeux forts auxquels doivent répondre les acteurs de l’élevage, dont les vétérinaires ruraux.

Face à la pression sociétale de plus en plus forte exercée sur le monde de l’élevage, les professionnels du secteur doivent se positionner et faire évoluer leurs pratiques. À cet égard, les vétérinaires ont un rôle important à jouer.

Vers une approche de santé “durable”

Actuellement, les activités d’élevage sont fortement menacées dans les territoires ruraux, selon Laurent Rieutort, professeur de géographie à l’université Clermont Auvergne. Or, « elles ont un fort impact à la fois économique, social, culturel et environnemental ». Suivant les types de ruralités et les modèles d’élevage, « il existe une grande diversité de services “rendus” par l’élevage herbivore. C’est pourquoi des systèmes “durables” doivent être préservés », a-t-il indiqué. Dans cette mobilisation, « par leurs missions de soins et de conseils, les praticiens ruraux ont toute leur place », selon lui. Ainsi, face à la croissance continue depuis 10 ans du nombre d’élevages biologiques en France, les vétérinaires doivent développer des démarches de prévention et de conseils dans une approche globale de la santé de l’élevage, a souligné Catherine Experton, de l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab). En effet, « en agriculture biologique, en cas de troubles sanitaires, l’utilisation de traitements complémentaires (oligoéléments, homéopathie, plantes médicinales) doit être prioritaire selon le cahier des charges », a-t-elle ajouté. Comme en témoigne les résultats d’une étude récente1 l’usage des médicaments allopathiques est réduite de 34 % chez les éleveurs bio par rapport aux conventionnels. Par ailleurs, « pour lutter contre le parasitisme, les éleveurs bio s’orientent vers une diminution drastique, voire une suppression, de l’utilisation des traitements anthelminthiques, avec l’utilisation de méthodes alternatives (rotation rigoureuse du pâturage, utilisation de certaines plantes et évaluation fine des niveaux d’infestation) », selon Catherine Experton. C’est pourquoi, étant donné que « cette démarche demande aux éleveurs d’acquérir une technicité accrue (…), elle se traduit par une sollicitation des vétérinaires dans des domaines où ceux-ci sont généralement peu ou pas formés : gestion du pâturage, phytothérapie, méthodes de traitement sélectif, etc. »

Le vétérinaire, acteur de la préservation de la biodiversité

De même, la préservation de la biodiversité est un autre grand enjeu pour le monde de l’élevage. En effet, selon Hélène Soubelet, vétérinaire à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, « nous assistons actuellement à une détérioration globale et sans précédent de la biodiversité, qui va beaucoup plus vite que les extinctions précédentes (vitesse 100 à 1 000 fois supérieure) ». Avec ce phénomène ce sont de nombreux services écosystémiques qui sont menacés. Or, l’agriculture et le prélèvement de la pêche étant les leviers d’action les plus importants et les plus impactants sur la biodiversité, il est nécessaire, selon elle, de développer des programmes adaptés pour les concilier. Bien que peu de vétérinaires travaillent dans ce domaine, ils ont pourtant toute leur place, a-t-elle ajouté. « De par leurs connaissances, ils peuvent se positionner aux interfaces des différentes santés (animale, humaine et environnementale) en s’intéressant notamment à l’impact des animaux domestiques (chat, principalement), dont la biomasse a été multipliée par quatre ces dernières années, sur la faune sauvage. Cette dernière est en effet passée dans le même temps d’un facteur 5 à 10 », a-t-elle indiqué. Enfin, les vétérinaires peuvent agir sur le terrain pour la maîtrise et la prévention des espèces exotiques envahissantes ou l’accompagnement de la transition agricole, avec la mise en place de nouveaux systèmes.

Des besoins de formation

Afin de répondre à ces enjeux, les vétérinaires devront, par conséquent, trouver des méthodes adaptées de facturation de leur activité de conseil, mais aussi acquérir de nouvelles connaissances, a indiqué Catherine Experton. « Les sollicitations de la part des éleveurs bio seront ainsi une occasion pour le vétérinaire d’expérimenter de nouvelles approches dans la gestion du parasitisme, par exemple, qu’ils pourront réinvestir auprès des éleveurs conventionnels, qui seront confrontés tôt ou tard à des parasites résistants aux molécules anthelminthiques », selon elle. « Le travail avec des éleveurs en agriculture biologique représente un défi stimulant sur un plan technique, mais aussi par les modalités nouvelles de collaboration qu’il implique pour les vétérinaires », a-t-elle conclu.

1 Étude menée en région Auvergne-Rhône-Alpes, par la Fédération des éleveurs et vétérinaires en convention (Fevec), dans 292 élevages adhérents aux groupements conventionnés.

QU’EN EST-IL DE L’ENJEU CLIMATIQUE ?

Quid de l’enjeu climatique ? Face à l’impact de l’élevage sur l’environnement, la filière viande bovine a décidé de réagir. Ainsi, le programme européen Life Beef Carbon1, piloté par l’Institut de l’élevage et impliquant 57 partenaires, est déployé en France, en Espagne, en Italie et en Irlande depuis septembre 2015 pour se diriger vers une « agriculture pérenne ». À mi-parcours, un premier état des lieux a été dressé par Josselin Andurand, de l’Institut de l’élevage. Selon lui, les diagnostics simplifiés d’évaluation des impacts environnementaux des exploitations déjà réalisés grâce à l’outil web CAP’2ER2 montrent que si la consommation d’intrants (engrais, aliment, gasoil, etc.) est réduite, les élevages peuvent avoir une meilleure efficience (kg de viande produit), ce qui donne des indications pour travailler sur l’efficience des outils de production. Par ailleurs, dans le cadre de ce programme, des essais ont été réalisés en élevage dans des fermes “innovantes”afin de réduire la production de gaz à effet de serre (GES). Ils ont révélé que l’amélioration des intrants ou l’augmentation du recours au pâturage permettent de diminuer la production de GES tout en respectant les objectifs de l’éleveur. Ainsi, « les données collectées sur les 120 plans testés ont montré qu’actuellement le potentiel moyen de réduction des GES est de 12 % », a indiqué Josselin Andurand.

1 www.idele.fr/reseaux-et-partenariats/life-beef-carbon.html.
2 Calcul automatisé des performances environnementales en élevage de ruminants.

UN PROGRAMME RÉGIONAL POUR LIMITER L’EMPREINTE CARBONE DES ÉLEVAGES BOVINS

Le programme Beef Carbon Nouvelle-Aquitaine suit la dynamique du projet Life Beef Carbon lancé à Paris en septembre 2015, qui vise une réduction de l’empreinte carbone de la viande de 15 % d’ici 2025. Ce plan régional, acté le 3 juin 20191, en est également complémentaire en intégrant la région dans le projet. Entretien avec Mathieu Velghe, de l’Institut de l’élevage. En quoi consiste ce programme régional ?
L’idée est de capitaliser les résultats obtenus avec le programme européen et de tester de nouvelles productions et de nouveaux systèmes qui ne sont pas pris en compte dans celui-ci. Les bases de données vont alimenter celle du programme européen, et nous allons entamer des discussions avec d’autres régions pour développer la démarche bas carbone chez tous les éleveurs.

Quelles sont les méthodes utilisées ?
Le programme s’inscrit sur trois ans, jusqu’en 2022, et repose sur les mêmes méthodes que le programme européen (encadré page 30). D’abord, sur l’ensemble des 12 départements, des diagnostics seront réalisés dans 600 élevages volontaires, regroupant différents systèmes d’élevage afin d’obtenir une photographie la plus représentative possible (production, conditions de terrain, etc.), à extrapoler à l’ensemble de la filière. Une cinquantaine de diagnostics sont déjà réalisés. En parallèle, 100 plans d’action sont menés pour appliquer concrètement des leviers identifiés par le programme européen afin d’installer une démarche de progrès.

Quel rôle pour les vétérinaires ?
Les vétérinaires peuvent agir sur le levier de la maîtrise de la reproduction, en repérant les vaches “vides” et en réduisant leur temps d’improductivité, afin de limiter la production de méthane entérique non lié à une productivité. C’est un travail qu’ils réalisent régulièrement mais qui est important, car une stagnation des taux de gestation ou de fécondité est souvent observée. L’interprofession doit encore se positionner sur les objectifs à atteindre et le rôle de chacun, mais l’impact sera d’autant plus important si tout le monde travaille dans ce sens, notamment les vétérinaires.



1 Programme commun entre l’Institut de l’élevage, Interbev, la région Nouvelle-Aquitaine et 24 autres partenaires régionaux.
Propos recueillis par Lorenza Richard
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