“Les antibiotiques, c’est pas automatique !” - La Semaine Vétérinaire n° 1815 du 28/06/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1815 du 28/06/2019

PRATIQUES D’ÉLEVAGE

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON  

Lutter contre l’antibiorésistance en élevage et plus globalement dans l’environnement passe avant tout par une réduction de l’usage des antibiotiques. Une sensibilisation des éleveurs s’avère indispensable.

Il y a toujours eu des gènes de résistance dans l’environnement. Dans le permafrost, on en trouve, et ils sont résistants à des antibiotiques majeurs pour l’homme, y compris pour des antibiotiques créés par ce dernier », a rappelé Jean-Yves Madec, directeur scientifique en charge de l’antibiorésistance à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), lors de la matinée consacrée à la question de l’usage des antibiotiques en élevage aux journées nationales des groupements techniques vétérinaires (GTV). Pour autant, l’être humain n’est évidemment pas en reste, car, comme il l’a souligné, il s’agit « d’éviter d’en rajouter », afin de ne pas amplifier un phénomène déjà présent. En attendant les résultats des travaux lancés dans le cadre du plan national santé environnement (PNSE 4), visant à établir une revue systématique des solutions efficaces pour contrôler la dissémination de l’antibiorésistance dans l’environnement, cette matinée de conférences a déjà permis de passer en revue plusieurs leviers envisageables pour y parvenir.

Des pistes… encore à creuser

Une première solution pourrait être de privilégier des antibiotiques à élimination urinaire plutôt que fécale, afin d’éviter toute pression de sélection sur la flore bactérienne digestive de l’animal. À la clé : minimiser l’excrétion par l’animal traité de bactéries résistantes dans l’environnement. Cependant, « pour l’instant, cela reste un concept », a souligné Jean-Yves Madec, et cela impliquerait, de plus, un investissement en recherche et développement. Travailler sur la gestion des effluents est également utile. Le stockage et l’élévation de la température du fumier, ainsi que le compostage, seraient efficaces pour dégrader les antibiotiques. Pour autant, ces procédés dépendent de multiples facteurs, tels que la concentration initiale en antibiotiques, le type de molécules, la quantité de fibres dans les effluents, etc. La méthanisation par digesteur pourrait aussi être favorable à la dégradation des antibiotiques. À moyen ou long terme, le drug repurposing serait-il une piste à privilégier ?, s’est également interrogé Guillaume Lequeux, chef du service bactériologie vétérinaire de Labocéa. Concept de recherche et de validation d’effets antibiotiques de molécules non antibiotiques déjà autorisées, il est en essor en médecine humaine depuis trois à quatre années, mais pas encore décrit en médecine vétérinaire.

Encourager les bonnes pratiques

Autre levier de lutte contre l’antibiorésistance, celui-ci qui a passé l’épreuve de la démonstration : exclure l’administration de lait issu de vaches traitées aux veaux. L’étude Resavel1, présentée par Nathalie Jarrige, chercheuse à l’Anses, a ainsi montré une association significative entre résistance des Escherichia coli commensaux de la flore digestive et consommation de lait de vaches traitées avec des antibiotiques, ainsi qu’entre résistance et traitements antibiotiques reçus par le veau. La présence d’une souche multirésistante était 2,3 fois plus fréquente pour les veaux ayant consommé du lait traité et six fois plus pour ceux ayant reçu un traitement antibiotique. En outre, 1 veau sur 5 était porteur d’une E. coli BLSE2, et ce au-delà de 7 semaines d’élevage. Si l’argument ne suffit pas pour convaincre à adopter des bonnes pratiques, une autre étude3 a exploré l’impact économique de la réduction des antibiotiques, en partant d’un cas de mammites cliniques, qui constituent la principale raison d’usage des antibiotiques en élevage bovin laitier. Présentée par Catherine Belloc, enseignante-chercheuse en pathologie des animaux de rente monogastriques à Oniris, l’étude a montré que la baisse des antibiotiques était possible et facile à mettre en œuvre pour les éleveurs ayant dès le départ des bonnes pratiques sanitaires, et ce avec un coût marginal faible à nul. En revanche, l’étude montre le non-intérêt économique dans des situations techniquement dégradées.

Former les éleveurs

La sensibilisation de l’éleveur passe aussi par la formation. Dans ce cadre, une formation pour les éleveurs de veaux de boucherie a été lancée par l’Institut de l’élevage (Idele), en collaboration avec la société nationale des GTV et la chambre d’agriculture, comme l’ont expliqué Magdalena Chanteperdrix, de l’Idele, et Corinne Jaureguy, de la SNGTV : « Nos objectifs étaient de renforcer les connaissances sur les antibiotiques et de travailler sur les leviers de réduction des maladies infectieuses : la biosécurité et l’ambiance du bâtiment, notamment la ventilation ». Treize formations ont été dispensées entre septembre 2018 et avril 2019, à plus de 160 éleveurs, avec un taux de satisfaction proche des 100 %. D’autres projets sont en cours, notamment l’élaboration d’un guide d’aide à la décision sur les méthodes alternatives aux antibiotiques en veaux de boucherie.

1 Gay E., Bour M., Cazeau G. et coll. Antimicrobial usages and antimicrobial resistance in commensal Escherichia coli from veal calves in France : evolution during the fattening process. Front. Microbiol. 2019;10:792.

2β-lactamase à spectre étendu, impliquant une résistance à toutes les β-lactamines et un fort potentiel de diffusion. Ce phénotype est considéré par l’Organisation mondiale de la santé comme faisant partie des plus menaçants en santé humaine.

3 L’étude a reçu le prix de recherche ÉcoAntibio.

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