Le plan de lutte contre la tuberculose bovine à bout de souffle - La Semaine Vétérinaire n° 1812 du 25/05/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1812 du 25/05/2019

MALADIES RÉGLEMENTÉES

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON  

Un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, récemment rendu public, appelle à la refonte générale de la prévention, de la surveillance et de la lutte contre la tuberculose bovine.

Si le 3e plan national de lutte contre la tuberculose bovine (2017-2022) a été dévoilé il y a déjà un an, le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER)1 sur lequel il s’est en partie appuyé n’a été rendu public que très récemment, en mai 2019. Et sa conclusion est sans détour : les auteurs remettent en cause « la solidité globale du dispositif » de lutte contre la maladie, justifiant « une refonte générale » du dispositif. Depuis 2004, la France fait face à une augmentation des taux de prévalence et d’incidence de la maladie. De 2004 à 2014, le taux d’incidence est passé de 0,02 à 0,05 % (environ 100 nouveaux foyers par an). Depuis 2009, le taux de prévalence a augmenté, pour atteindre 0,089 % en 2014, un taux proche du seuil maximal pour maintenir le statut indemne2. Cette hausse est associée à une extension des foyers en Charente-Maritime et en Haute Vienne, ainsi que dans le Pays Basque : en 2017, la région Nouvelle-Aquitaine regroupait jusqu’à 86 % des foyers ! Face aux enjeux économiques mais aussi de santé publique qu’implique cette résurgence, les auteurs du rapport ont proposé neuf recommandations générales, associées à 42 sous-recommandations. Passage en revue des principales fragilités du dispositif.

Un pilotage national à revoir

Le rapport pointe du doigt « la faiblesse de pilotage par l’État ». Avec moins d’un équivalent temps plein dédié à ce dossier, les moyens alloués au dispositif apparaissent insuffisants et, de l’avis des parties prenantes, « un facteur limitant de l’efficience du dispositif national ». Ce manque de moyens pénalise le contrôle de la mise en œuvre de la prophylaxie. Par exemple, des anomalies dans la surveillance, comme des taux trop bas de déclarations de suspicions dans certains départements, ne sont pas suivies au niveau central. La conséquence : une application hétérogène de la réglementation suivant les départements, avec « le stade ultime du processus » qui est la validation par le comité de pilotage de la tuberculose pour l’ensemble du territoire, d’allégements qui étaient mis en œuvre uniquement dans certaines zones. En outre, les instructions nationales apparaissent pour les acteurs locaux de moins en moins compréhensibles, certains parlant de « complexité administrative ».

Un appui scientifique et technique non satisfaisant

Les gestionnaires du risque s’appuient sur un certain nombre d’instances et d’experts pour élaborer et adapter le plan de lutte. Cependant, l’encadrement scientifique et technique est loin d’être suffisant, en témoigne le protocole expérimental interféron 2013-2015 qui n’a pas été confié à un organisme de recherche ou à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et dont le bénéfice, au regard du coût, s’est avéré au final décevant. En outre, l’appui du laboratoire national de référence (LNR) tuberculose souffre de défauts dans l’exercice de ses missions. Il sous-traite, en effet, le développement, l’optimisation et la validation de méthodes de référence, ainsi que le contrôle des réactifs utilisés pour les analyses in vitro de dépistage ou de diagnostic de la tuberculose. Un manque d’encadrement technique de son réseau de laboratoires agréés est également regretté. Ces constats vont de pair avec des effectifs insuffisants.

Une protection des élevages à renforcer

L’existence de facteurs de risque, notamment relatifs à la faune sauvage, complique la protection des élevages indemnes. Depuis presque 20 ans, la maladie est détectée dans le compartiment sauvage (sangliers, cerfs, blaireaux) de plusieurs départements. Ainsi, les pratiques de stabulation libre et à distance des bourgs, le partage des points d’abreuvement ou l’utilisation de points non aménagés (sources, étangs ou ruisseaux), la distribution d’aliment au pré sur le sol, l’usage de systèmes de distribution d’aliments à demeure dans les pâtures sont autant de pratiques qui augmentent le risque de contact avec la faune sauvage. La gestion de cette dernière n’est pas adaptée avec la prévention de la tuberculose dans les zones d’infection du compartiment sauvage, les plans de chasse ayant plutôt un objectif de maintien, voire de développement, des animaux. Enfin, le blaireau apparaît comme une espèce peu chassée dans la majorité des départements. L’amélioration de la protection des élevages pourrait passer aussi pour les auteurs par un éventuel retour des contrôles à l’introduction d’un bovin issu d’une zone à risque.

Une surveillance fragile

Alors que l’intradermotuberculination (IDT) comparative améliore la spécificité du test, cette technique n’est pas appliquée partout. L’absence de coordination entre départements est également constatée vis-à-vis du rythme de dépistage. De plus, alors que la réglementation impose une tuberculination à partir de l’âge de 6 semaines, sur le terrain, elle s’effectue au minimum à 1 an, voire à partir de 2 ans. L’aspect technique est aussi à revoir : la réalisation des tests d’IDT n’est pas uniforme, de même que la méthode utilisée par les laboratoires agréés pour les tests interféron. Ce test en lui-même est d’ailleurs pointé du doigt, les auteurs recommandant de redéfinir son usage3. De plus, les inspections en abattoir apparaissent insuffisantes du fait, d’une part, de conditions matérielles inadaptées aux contrôles des carcasses des bovins, d’autre part, d’un manque de sensibilisation des agents des services vétérinaires. La surveillance de la faune sauvage révèle également des lacunes, avec le constat d’une grande hétérogénéité entre départements dans la gestion des cadavres de blaireaux.

Une gestion des foyers pas assez stricte

En cas de foyers, les dispositions réglementaires font l’objet d’adaptations. Ainsi, des dérogations à l’abattage total des cheptels infectés s’appliquent, alors que toutes les conditions à respecter ne sont pas réunies. Des reports d’abattage sont également constatés de même que des raccourcissements de délais pour la requalification des élevages, qui peut être attribuée directement après nettoyage et désinfection et avant l’introduction de nouveaux bovins. Le contrôle du respect de la biosécurité, ainsi que des opérations de nettoyage et de désinfection ne sont pas effectués.

Ces lacunes dans la gestion globale de la maladie sont-elles à mettre en parallèle avec les moyens humains mais aussi logistiques insuffisants, constatés par les auteurs, que ce soit au niveau des services départementaux vétérinaires ou des vétérinaires sanitaires ? Par exemple, dans le département des Pyrénées-Atlantiques, plusieurs agents se sont avérés « au bord de l’épuisement professionnel ». Dans d’autres départements, le manque de vétérinaires sanitaires a imposé aux agents des services de l’État de réaliser les opérations périodiques de prophylaxie.

1Mission d’expertise et de conseil sur la mise en œuvre de la politique de prévention et de lutte contre la tuberculose bovine (bit.ly/2MtMupP).

2 La directive 64/432/CEE définit les conditions d’obtention du statut indemne : le pourcentage de troupeaux bovins infectés ne doit pas dépasser les 0,1 % par an pendant six années consécutives, et au moins 99,9 % des troupeaux doivent être déclarés indemnes chaque année au cours des six dernières années.

3 L’usage en série du test INF sur les animaux avec une réaction suspecte à l’IDT est propre à la France. L’Italie, par exemple, ne l’utilise pas en routine. L’Allemagne l’a abandonné en Bavière. Dans ce contexte, le rapport recommande que l’Anses travaille sur les modalités futures de l’utilisation du test interféron.

UN DISPOSITIF QUI COÛTE CHER

Qui dit maladie d’élevage dit conséquences économiques. D’abord pour les éleveurs, du fait des blocages potentiels des troupeaux dans le cadre des opérations de prophylaxie, ou pire de la fermeture des marchés en cas de perte du statut indemne de la maladie. La politique sanitaire coûte cher aussi à l’État : elle représente ainsi 10 % du programme 206 (sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation), hors personnel, soit environ 20 millions d’euros par an et un coût moyen par foyer d’environ 110 000 €. Une somme à laquelle il convient de rajouter celles payées par les conseils départementaux ou régionaux, les éleveurs et les organisations d’éleveurs à vocation sanitaire. En outre, ce modèle de financement apparaît inégalitaire sur le territoire. Pour les auteurs du rapport du CGAAER, le statut officiellement indemne de tuberculose de la France est « un bien collectif, dont le poids financier mériterait de ne pas être supporté par les seuls éleveurs des zones contaminés ». Ils proposent ainsi d’envisager un système mutualiste, qui repose sur les réseaux de surveillance au titre de l’article L.201-10 du Code rural1.
1 « Afin de favoriser la prévention des dangers sanitaires, la surveillance sanitaire des animaux et des végétaux et la mutualisation des coûts correspondants, l’autorité administrative peut reconnaître des réseaux sanitaires (…) »

DES “TROUPES“ DÉMOTIVÉES

Dans le rapport du CGAAER, les acteurs de la lutte contre la tuberculose bovine sont décrits comme étant découragés. Les éleveurs recherchent des assouplissements sanitaires. Les groupements de défense sanitaire ne s’engagent pas dans les opérations de contrôle des éleveurs. Les vétérinaires ruraux remettent en cause leur investissement dans le mandat sanitaire, notamment en lien avec la faible rémunération des actes de prophylaxie. Les directions départementales en charge de la protection des populations sont, quant à elle, « en voie d’épuisement », car les efforts déployés dans le dossier tuberculose depuis une dizaine d’années n’ont pas permis d’assainir les zones contaminées. Face à ce constat, les auteurs du rapport préconisent de réaffirmer clairement la stratégie nationale d’éradication de la maladie, en définissant mieux les rôles de chacun et en tenant compte de leurs freins.

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