La prise en charge de l’arthrose - La Semaine Vétérinaire n° 1812 du 25/05/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1812 du 25/05/2019

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : AMANDINE CLÉMENT  

L’arthrose est l’arthropathie la plus fréquente chez le chien. La prise en charge des affections ostéo-articulaires chroniques bénéficie d’un arsenal thérapeutique large. Les diverses options thérapeutiques doivent être choisies selon trois critères majeurs : l’intensité de la douleur, les mécanismes impliqués et le rapport bénéfice/risque dans chaque cas particulier.

Traitements pharmacologiques

Anti-inflammatoires

Les douleurs nociceptives mécaniques (liées à l’exercice) ou inflammatoires (nocturnes) aiguës et chroniques peuvent être prises en charge grâce aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) administrés selon un schéma posologique adapté à la récurrence de la douleur (7 à 10 jours en phase aiguë épisodique ou lors de rechute ; 21 à 45 jours lors de phase aiguë sur fond de douleur chronique– avec titration – lors de douleurs permanentes). Ces antalgiques périphériques limitent l’inflammation articulaire et luttent préventivement contre l’installation d’une hypersensibilité centrale quand ils sont administrés sur plusieurs semaines. La parcimonie de leur usage conjoint avec les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) est à noter. En cas d’effets secondaires digestifs (dans les 8 à 10 premiers jours), il convient d’interrompre le traitement (wash out sur 5 jours ; 7 jours si corticoïdes) et de repartir sur un nouvel AINS sélectif ou préférentiel Cox-2 avec un traitement antiacide (oméprazole 0,7 à 1 mg/kg, deux fois par jour). Galliprant® (grapiprant, Elanco) est un nouvel AINS, antagoniste sélectif des récepteurs EP4 de la prostaglandine E2, l’un des principaux médiateurs de la phase précoce de l’inflammation. Il est recommandé pour le traitement de la douleur associée à une arthrose peu sévère à modérée chez le chien. Des vomissements sont observés très fréquemment, mais ne sont pas associés à des lésions ou érosions gastro-intestinales. C’est aussi un antihyperalgésique central. « Les glucocorticoïdes ont une action anti-inflammatoire sans valence antalgique. Leur usage induit des effets secondaires trop importants à moyen terme. Ils ne sont donc pas à employer pour soulager l’ostéoarthrite, mais plutôt dans un contexte où la douleur n’est pas le seul acteur du syndrome : lutter contre un œdème compressif, par exemple », souligne Luca Zilberstein, praticien au centre hospitalier vétérinaire Advetia.

Tramadol

Le tramadol est un « antalgique de secours » de palier II (douleurs modérées à sévères). C’est un mélange racémique de deux composants synergiques (effets opioïde et monoaminergique). L’action opioïde est due à la formation d’un métabolite actif (le O-desméthyltramadol), dont la synthèse est dépendante de la présence d’une isoenzyme dans l’organisme du malade. Du fait du polymorphisme génétique chez le chien, les effets analgésiques du chlorhydrate de tramadol sont variables. « Si l’effet opioïde est médiocre, l’animal bénéficie pour autant d’une action monoaminergique qui atténue le ressenti émotionnel de sa douleur », explique Thierry Poitte, fondateur de CAP douleur. Pour prévenir l’effet sédatif (un cas sur deux), il est conseillé de l’administrer progressivement et d’adapter la dose à la surface corporelle : 2 à 4 mg/kg, deux, voire trois fois par jour (intervalle minimum de 6 heures entre deux prises).

La contre-indication majeure est l’administration concomitante avec un psychotrope (exemple : clomipramine, fluoxétine, sélégiline), sous risque de syndrome sérotoninergique par effet cumulatif. « Grâce à son rôle de sentinelle et à la forme orale du tramadol, le propriétaire est habilité à administrer cet antidouleur à son chien ponctuellement sous forme de rescue dose lors des résurgences des pics algiques ou pour les prévenir », insiste Thierry Poitte.

Buprénorphine

Ce morphinique injectable (20 µg/kg par voie intraveineuse ou intramusculaire) est un atout essentiel du vétérinaire pour l’anesthésie et l’analgésie en urgence. Pour Luca Zilberstein et Thierry Poitte, elle est plus efficace et avec une durée d’action plus confortable (6 à 10 heures) pour un emploi à la clinique par rapport au tramadol injectable.

Association méthadone et kétamine

La méthadone est un morphinique de choix lors des crises douloureuses paroxystiques, tandis que la kétamine est employée comme antihyperalgésique. Un bolus intraveineux (méthadone 0,2 à 0,3 mg/kg, kétamine 0,5 mg/kg), suivi d’une perfusion continue (1 ml de méthadone et 0,25 ml de Kétamine 1000® pour un volume total de 50 ml, ce mélange étant administré à l’aide d’un pousse seringue à un débit de 1 ml/kg/h, pendant 4 heures) peuvent être administrés lors d’une hospitalisation.

Gabapentine

En relai d’une perfusion continue de méthadone-kétamine, deux tiers des chiens réagissent positivement à la gabapentine (Neurontin®2), un antiépileptique, à la dose de 5 à 10 mg/kg, deux ou trois fois par jour, pour la prise en charge des douleurs neuropathiques. Le dosage est individuel et il est à adapter en augmentant progressivement la dose pour éviter une sédation excessive. Il est d’usage de stabiliser l’animal (plusieurs semaines) avant d’envisager de le sevrer en diminuant les doses (paliers de quart de dose). Les effets secondaires digestifs (vomissements et diarrhée) sont rares et il n’y a pas de contre-indication à son emploi. En cas d’inefficacité, elle peut être associée à la clomipramine.

Clomipramine

Cet antidépresseur tricyclique est actif sur les douleurs neuropathiques et la comorbidité dépressive associée (chien : 1 à 2 mg/kg, deux fois par jour ; chat : 0,25 à 0,5 mg/kg, une fois par jour, de préférence le soir). L’effet sédatif peut être recherché pour traiter les troubles du sommeil. Les effets secondaires sont plus fréquemment rencontrés chez le chat (constipation, sécheresse des muqueuses, rétention urinaire, somnolence, bradycardie, hypotension, etc.).

Cannabis

Les phytocannabinoïdes principaux sont le tétrahydrocannabinol (D9-THC), le cannabidiol (CBD) et le cannabinol (CBN). Le THC est un psychotrope stupéfiant illégal. Chez le chien, il est à l’origine de nombreuses intoxications domestiques potentiellement mortelles, dont le chiffre est en augmentation. L’intérêt thérapeutique pour le chien réside dans le CBD, non considéré comme stupéfiant, mais dont l’utilisation doit être encadrée. « Selon la loi française, la culture de cannabis est interdite en France. En Italie, la marijuana légère ou médicale vient d’être légalisée. Il faut attendre quelques mois pour faire une analyse des informations qui seront bientôt accessibles sur le sujet », informe Luca Zilberstein. « La dose efficace de CBD est à rechercher très progressivement et dans tous les cas adaptée à chaque animal douloureux, ce qui sous-entend de réaliser des évaluations », ajoute Thierry Poitte.

Biothérapies

Plasma riche en plaquettes

Le plasma riche en plaquettes (PRP) est un produit sanguin autologue dont les effets bénéfiques (accélération de la cicatrisation, diminution de l’inflammation) reposent sur des facteurs de croissance présents dans le plasma et libérés par les plaquettes. La préparation est réalisée grâce à un équipement spécifique (laboratoires Arthrex et Regenlab). Du plasma autologue est conditionné en moins de 5 minutes à partir d’un prélèvement de sang total. La préparation stérile obtenue par centrifugation permet l’injection directe (intra-articulaire) sur le site lésé. Le geste nécessite une formation (rapide) pour connaître la technique en fonction de l’articulation à soigner. Elle est réalisée en condition d’asepsie, sous contrôle échographique si nécessaire. Il n’existe pas de consensus à propos du protocole à suivre, mais Thierry Poitte annonce 75 % de bons à très bons résultats (cas cliniques évalués à l’aide de Dolodog® et colliers d’activités) avec deux injections à 1 mois d’intervalle, suivies d’un rappel 6 à 8 mois après. Le recours au PRP contre-indique l’emploi des AINS dans le même temps. Outre l’arthrose, les indications du PRP incluent les tendinites et la gestion des plaies complexes.

Cellules souches

Elles sont utilisées dans le cadre de la médecine régénérative vétérinaire3 pour leurs multiples vertus : capacités de différenciation, fonctions trophiques chondroprotectrices et fonctions immunomodulatrices. Les articulations sont traitées par injection intra-articulaire unique (préparation chirurgicale aseptique) sous anesthésie générale. Le mécanisme exact de ces injections n’est pas bien connu (faute de preuves scientifiques, le groupe d’étude en chirurgie orthopédique vétérinaire [Gecov] de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie [Afvac] ne reconnaît pas ce type de traitement). Thierry Poitte fait partie des usagers réguliers des cellules souches et témoigne avec ferveur de leurs bienfaits (évalués par Dolodog ou client specific outcome measures [CSOM]) dans les cas d’arthrose sévère et invalidante, notamment du coude et du grasset.

Anticorps monoclonaux

Zoetis a annoncé la sortie d’un médicament à base de tanezumab en 2020, un traitement par anticorps monoclonaux antifacteur de croissance du tissu nerveux (anti-NGF [nerve growth factor], l’une des cytokines exprimée dans la « soupe inflammatoire synoviale » lors d’ostéoarthrite). Ce traitement novateur attendu représente une option thérapeutique ciblée, sans toxicité, sans risque d’interactions médicamenteuses avec, a priori, une longue durée d’action.

Physiothérapie

Manuelle

« Grâce aux massages relaxants et anxiolytiques prodigués à leur animal à domicile, les propriétaires constatent un effet bénéfique progressif sur le renforcement musculaire et l’ankylose. Ils deviennent des experts, plus réactifs pour dépister une rechute de leur compagnon », témoigne Thierry Poitte.

Laser

Le laser a des effets analgésiques, anti-inflammatoires, décontracturants et cicatrisants4. L’arthrose en est l’indication majeure, avec une meilleure efficacité pour la coxarthose (présence de tissus musculaires riches en eau à proximité) que pour l’arthrose du grasset ou du coude. « Le laser thérapeutique est adopté par 400 cliniques vétérinaires en France. Il convient d’être initié à sa pratique et de discerner quels sont les meilleurs appareils sur le marché, afin d’en avoir un usage optimal », conseille Thierry Poitte.

1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1805 du 19/4/2019, page 22.

2 Pharmacopée humaine.

3 Vetbiobank commercialise Canipren®-joint (cellules souches d’origine néonatale délivrées sur ordonnance) ; Stem cell commercialise des cellules souches mésenchymateuses d’origine adulte (moelle osseuse ou graisse).

4 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1787 du 30/11/2018, pages 56 à 61.

Thierry Poitte DIU douleur, praticien à l’île de Ré (Charente-Maritime).

Luca Zilberstein Diplomate ECVAA, praticien au CHV Advetia (Velizy-Villacoublay, Yvelines).

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