L’hyperproli f icité renforce les enjeux de la prise colostrale - La Semaine Vétérinaire n° 1811 du 17/05/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1811 du 17/05/2019

THÈSE

PRATIQUE MIXTE

Formation

La prolificité des truies est en augmentation constante (+ 1,9 porcelet par portée depuis 15 ans), alors que la production de colostrum par les truies est très variable et reste indépendante de la taille de la portée1. De plus, à la naissance, le porcelet ne possède que de très faibles réserves énergétiques ne lui permettant de survivre que quelques heures2. En outre, de par la placentation épithéliochoriale de la truie, il est dépourvu d’immunité passive. Le colostrum est donc un premier aliment indispensable et doit être accessible en quantité suffisante pour garantir la survie et la santé du porcelet.

C’est dans ce contexte qu’une thèse vétérinaire, “é valuation pratique de la prise colostrale en élevage porcin”, a été réalisée en 2018 en partenariat avec Oniris et IDT Biologika. Les objectifs étaient de décrire et de montrer l’importance de la prise colostrale en élevages commerciaux et de déterminer un protocole simple d’évaluation de la prise colostrale applicable par les vétérinaires praticiens.

Une évaluation indirecte de la prise colostrale

Plus de 1 000 porcelets nés totaux (927 nés vivants, 73 mort-nés et 9 momifiés de plus de 17 cm) sont inclus dans l’étude. Ils sont issus de 6 portées réparties dans 10 élevages du grand Ouest. La prise colostrale est décrite par deux paramètres : (i), le gain de poids 24h (GP24), correspondant à l’acquisition d’énergie, essentielle à la survie du porcelet à court terme, et (ii), le dosage des immunoglobulines de type G (IgG) sériques à 24 heures, correspondant à l’acquisition de l’immunité passive, essentielle pour la santé à moyen/long terme (le tube digestif n’est ensuite plus perméable aux IgG maternelles).

En pratique, tous les porcelets sont pesés à la naissance (P1) et 24 heures après la fin de la mise bas (P2). A partir de ces pesées, la quantité de colostrum bue est évaluée par le gain de poids 24h [(P2-P1)/(délai entre P1 et P2)] x 24. Le dosage des IgG sériques est, quant à lui, effectué par IDR (Immuno diffusion radiale) à 24 heures d’âge sur 1 porcelet sur 2. Les porcelets soumis au prélèvement sanguin sont ensuite répartis en 4 sous-populations en utilisant 2 seuils (figure 1) :

- Le seuil GP24h à 50 g : il correspond au gain de poids 24h à partir duquel le taux de mortalité des porcelets de l’étude passe sous la limite des 10 %.

- Le seuil de 20 mg/ml d’IgG : choisi en référence à la bibliographie3, il est également concordant avec les données de cette étude (mortalité de 39 % si inférieure à 20 mg/ml et 6 % si supérieure à 20 mg/ml).

La pesée, un bon indicateur

Seuls deux tiers des porcelets présentent une prise colostrale satisfaisante d’un point de vue énergétique et immunitaire (groupe GP+/IgG+, figure 1, points verts). En outre, leur poids de naissance (1,413 kg en moyenne) est plus élevé que celui des porcelets ayant un GP24h insuffisant. De plus, 31,3 % des porcelets présentent un gain de poids insuffisant (figure 1, points rouges et bleus), alors que ce sont seulement 10,2 % de porcelets qui présentent une immunité insuffisante (figure 1, points roses et rouges). Le défaut de gain de poids est donc trois fois plus fréquent qu’un défaut de transfert immunitaire dans notre échantillon. En parallèle, parmi les porcelets ayant un GP24h satisfaisant (figure 1, points roses et verts), 96,5 % ont acquis une immunité passive suffisante. Au vu de ces résultats, la pesée présente un réel intérêt pour identifier les porcelets dont la prise colostrale est insuffisante en complément du dosage d’IgG.

Essentielle pour réduire la mortalité

Le pourcentage de mortalité avant sevrage4 est plus faible pour les porcelets ayant un GP24h plus élevé, confirmant qu’une bonne prise colostrale diminue le risque de mortalité (figure 2). En outre, le pourcentage de mortalité est plus élevé pour les porcelets ayant les plus faibles poids de naissance (44 % de mortalité pour les porcelets ayant un poids de naissance inférieur à 1 kg). Pour un GP24h donné (par exemple de - 75 à - 50 g, figure 2, encadré bleu), le pourcentage de mortalité des porcelets est, de plus, d’autant plus important que le poids de naissance est plus faible. Les besoins en colostrum des petits porcelets sont donc plus importants que pour les gros pour atteindre un taux de survie équivalent. Cela peut s’expliquer par une surface corporelle plus grande rapportée au poids et donc des déperditions énergétiques supérieures. De plus, une étude semble montrer des réserves énergétiques encore plus faibles chez les petits porcelets, ce qui est concordant avec nos résultats5.

Ne pas limiter la prise colostrale à l’acquisition de l’immunité passive

En bilan, la quantité de colostrum bue augmente avec le poids de naissance et est déterminante pour la survie des porcelets. Hors pratiques à risque pour l’acquisition de l’immunité (adoptions trop précoces), la quantité de colostrum ingérée pour garantir un apport énergétique suffisant permettrait un apport immunitaire satisfaisant pour quasiment tous les porcelets. Une évaluation de la prise colostrale en élevage ne peut donc pas être résumée au transfert de l’immunité passive mais doit également tenir compte du gain de poids des porcelets.

Avec 15,7 porcelets nés vivants par portée, notre étude est représentative de l’hyperprolificité sans cesse croissante observée en élevage. Pour autant, la quantité moyenne de colostrum bue par les porcelets (évaluée selon l’équation de Devillers, 2004) est conforme à la bibliographie. Or la littérature concerne des truies de prolificité moindre. Les truies hyperpolifiques de notre étude, issues de cinq types génétiques, ont donc sans doute produit plus de colostrum. Cependant, cette hyperprolificité est associée à une plus grande proportion de petits porcelets dont les besoins en colostrum sont plus élevés. Le caractère maternel des truies et la technicité d’élevage sont donc des éléments clés. Or, dans notre étude, de nombreux défauts de conduite ont été relevés (suivi de truies, confort, organisation des soins, adoptions, etc.). Il y a donc des marges de progrès et de la place pour le conseil en élevage.

1 Quesnel, H. Colostrum production by sows : variability of colostrum yield and immunoglobulin G concentrations. Animal, 2011, p. 1546-1553.

2 Le Dividich J. Les enjeux du colostrum. Cahier des conférences de l’expo-congrès du porc au Québec, 2006. p. 49-72.

3 Devillers N. Variabilité de la production de colostrum chez la truie : Origine et conséquences pour la survie du porcelet. Thèse de doctorat, université de Rennes 1, 2004.

4 La mortalité des porcelets est enregistrée jusqu’à 3 semaines d’âge.

5 Bauer R., Walter B., Brust P. et coll. Impact of asymmetric intrauterine growth restriction on organ function in newborn piglets. Eur. J. Obstet. Gynecol. Reprod. Biol. 2003;110 Suppl 1:S40-9.

Autres sources :

- Leneveu P. et coll. Prise colostrale en élevage porcin : analyse des facteurs de variation dans 10 élevages de production. Journées de la recherche porcine, 2019.

Un prochain article de La Semaine Vétérinaire présentera le protocole d’évaluation de la prise colostrale en élevage.

Benoît Launay, Catherine Belloc Bioepar, Inra/Oniris, université Bretagne Loire, à Nantes (Loire-Atlantique). Philippe Leneveu IDT Biologika, à Ploufragan (Côtes-d’Armor). Article rédigé d’après la thèse de Benoît Launay « Évaluation pratique de la prise colostrale en élevage porcin » (Oniris, 2018).

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