Médecines complémentaires : des vétérinaires accusent - La Semaine Vétérinaire n° 1809 du 17/05/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1809 du 17/05/2019

PROFESSION

ACTU

Auteur(s) : LORENZA RICHARD ET TANIT HALFON  

Un nouveau collectif de vétérinaires, appelé Zétérinaires, dénonce l’intrusion des pseudosciences dans la profession, et pointe notamment du doigt la place prépondérante de l’homéopathie.

Une médecine vétérinaire éprouvée, justifiée, expliquée ». C’est le credo d’un tout nouveau collectif de vétérinaires lancé en mars 2019, appelé Zétérinaires1. Regroupant actuellement 11 praticiens et une étudiante vétérinaire, le collectif dénonce la « fakemed » ou pseudomédecine qu’il définit comme « l’ensemble des pratiques et traitements se revendiquant comme apportant un bénéfice sur la santé animale ou humaine en l’absence de preuve scientifique d’efficacité et d’innocuité ». « Depuis plusieurs années déjà, nous sommes surpris de l’exposition flatteuse donnée aux pratiques non éprouvées voire contestées lors de petits comme de grands rassemblements vétérinaires », souligne-t-il. L’homéopathie est en tête de liste. En témoigne le courrier, associé à une pétition2, récemment envoyé à l’Ordre national des vétérinaires lui demandant de se prononcer « clairement sur l’inadéquation de la pratique de l’homéopathie avec ses exigences déontologiques et scientifiques, ainsi que sur la promotion de cette doctrine et son intrusion dans notre formation, initiale comme continue ». En clair, et cela est écrit sur son site : il demande à ce que cette discipline ne soit plus enseignée.

« Si nous ne demandons pas l’interdiction d’usage, nous sommes très réservés sur le cautionnement de pratiques non éprouvées par leur agrément dans le système de points de formation continue ou leur inscription dans les programmes officiels de certains CEAV 3 , par exemple », commente-t-il.

« Nous ne jugeons pas nos pairs »

S’il existe de la « fakemed », les vétérinaires pratiquant les médecines complémentaires seraient-ils alors des “fakevet” ou charlatans4 ? « Nous n’employons pas le terme “charlatan” parce que celui-ci implique qu’il y aurait une volonté manifeste de tromper son patient à des fins d’enrichissement, ce qui n’est certainement pas le cas de la majorité des vétérinaires utilisateurs de ces pratiques, précise-t-il. Notre collectif n’a pas légitimité à juger nos pairs, c’est la raison de notre interrogation de l’Ordre national des vétérinaires, seul garant de la qualité des prestations vétérinaires ». Les pairs, justement, n’ont pas manqué de réagir. Certains s’étonnent. « Il est toujours surprenant de voir remise en question notre pratique vétérinaire alors que nous voyons l’effet de l’homéopathie chaque jour », indique ainsi Richard Blostin, vétérinaire pratiquant l’homéopathie. D’autres sont plus virulents, à l’instar de Loïc Guiouillier, président du groupe médecines complémentaires à la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). « De quel droit ce collectif s’est-il autoproclamé ?, déclare-t-il. Il jette en pâture une médecine qu’il ne connaît pas, sans avoir la curiosité de poser les bonnes questions et d’aller interroger ceux qui essayent de la faire évoluer. Il a perdu l’esprit de Pasteur, de Claude Bernard qui avaient l’audace d’aborder des domaines inconnus. Repousser les limites de la connaissance, ça c’est scientifique. »

Où sont les preuves ?

Le nœud du problème ne serait-il pas des plus classiques ? « En terme de thérapeutique, la recherche scientifique repose sur celle menée par les industries pharmaceutiques, rentabilisée par l’usage du médicament. Pour les médecines complémentaires, nous ne disposons pas des mêmes moyens, car pour l’instant aucun laboratoire n’accepte de financer la recherche dans ces domaines », souligne Loïc Guiouillier. De cette insuffisance de financements pour la recherche découlerait ce fameux manque de preuves que dénonce le collectif ? Pas si simple. « En homéopathie, le double aveugle n’est pas adapté. C’est une spécificité de la médecine conventionnelle », indique Loïc Guiouillier. Richard Blostin complète : « L’homéopathie utilise des lois biologiques non encore connues. Ne répétons pas l’erreur de confiner l’inconnu au connu. De plus, les traitements sont individualisés et cela pose problème pour les statistiques, mais, comme l’a dit Henri Atlan 5 , les statistiques ne sont que des outils au service du chercheur et pas des vérités. Nous devons donc trouver les bons outils par rapport à ce que nous constatons dans nos pratiques. » Des arguments que rejette en bloc le collectif. « Remettre en cause la méthodologie employée pour évaluer ces médecines est le meilleur moyen de ne pas être évalué à l’aune de critères scientifiques robustes, l’argument classique des pseudosciences et sa définition : la non-adhésion à la démarche scientifique. De plus, dans toute pratique médicale, le traitement est individualisé, cela n’est pas l’apanage des pseudosciences : posologie, voie d’administration, durée de traitement, gestion des effets secondaires… » Au-delà de la question financière, Loïc Guiouillier rappelle que la pratique de l’homéopathie ne se fait de toute façon pas sans cadre, incluant à la fois des critères méthodologiques et des méthodes d’évaluation de son efficacité. « Pour beaucoup, l’homéopathie se réduit aux granules. Or, je rappelle qu’il s’agit d’observer un individu en tant qu’être singulier, avec un tableau clinique qui lui est propre, et de lui trouver le remède qui lui convient. »

Remettre au centre le propriétaire

Comme le fait remarquer Loïc Guiouillier, l’essor de ces pratiques va de pair avec la demande croissante de la société. Un constat corroboré par des enquêtes. En humaine, par exemple, un récent sondage6 a montré qu’un Français sur deux croyait aux bienfaits de ces médecines pour la santé, et un sur deux indiquait aussi avoir recours à l’homéopathie pour se soigner. Côté vétérinaire, aucune enquête de grande envergure ne s’est penchée sur cette question, si ce n’est une thèse7 de 2013 : sur près d’une centaine de propriétaires de chiens et de chats venus consulter à l’École nationale vétérinaire de Toulouse interrogés, environ 80 % seraient prêts à donner un médicament homéopathique à leur animal. Dans ce contexte, notre confrère souligne que « le vétérinaire doit être présent dans le débat pour l’encadrer ». En outre, « si la profession ne se préoccupe pas de l’homéopathie, d’autres vont le faire ». Le vétérinaire, du fait de son bagage scientifique, apparaît le plus pertinent pour répondre aux demandes des propriétaires. Côté Zétérinaires, quelle réponse au propriétaire demandeur de médecines complémentaires, par exemple, face à un échec thérapeutique ? « Nous comprenons la détresse des propriétaires pour lesquels la médecine échoue sur leurs animaux. À chaque fois, il faut s’interroger sur la justesse du diagnostic avant de parler de traitement, et s’il est posé, un échec thérapeutique doit inciter le praticien à faire appel à des spécialistes, fait valoir le collectif. Parfois même, il n’y a pas de solution et l’exercice le plus difficile est alors de pouvoir l’annoncer, exercice tellement difficile que la tentation peut être grande de proposer des “alternatives” sans danger ».

1 Le mot “zétérinaire” découle de la zététique, une démarche définie par Henri Broch, biophysicien et professeur émérite de l’université Nice-Sophia Antipolis comme étant « fondée sur l’art du doute et le refus de toute affirmation dogmatique » (zetetique.fr).

2 Au 7 mai, la pétition avait récolté 454 signataires, dont 280 vétérinaires.

3 Certificat d’études approfondies vétérinaires.

4 Le terme “charlatanisme” est employé sur le site : « Les Zétérinaires sont des vétérinaires qui dénoncent l’intrusion des pseudo-sciences dans la médecine vétérinaire. Ils font front à toute forme de charlatanisme en pratique médicale vétérinaire. #nofakevet #nofakemed ».

5 Henri Atlan est un intellectuel, médecin biologiste, philosophe et écrivain français.

6 bit.ly/2LCLj76.

7 bit.ly/2WGjufh.

Sollicité par nos soins, Jacques Guérin, président de l’Ordre, ne souhaite pas s’exprimer dans la presse, avant de répondre au collectif. Les questions posées à l’Ordre par le collectif sont à l’ordre du jour de la prochaine session de conseil qui se tiendra fin juin 2019.

La totalité de l’interview est accessible sur notre site.

bit.ly/2LL6ynt

VERS UN DIALOGUE DE SOURD ?

Cette démarche militante ne risque-t-elle pas de scinder la profession ? Non pour le collectif. « Parce que notre démarche appelle au contraire au rassemblement autour de valeurs communes, clairement définies par notre cursus universitaire de nature scientifique et confirmées par la Loi via le Code de déontologie. » Il ajoute : « Si un fossé se creuse, il faut interroger du côté des organismes privés ou associatifs de formation continue ayant encouragé ou permis une notoriété au bruit de fond homéopathique en lui offrant une crédibilité dans leurs programmes et congrès, place désormais officialisée insidieusement par des agréments. » Vu comme cela, ne risque-t-on pas d’arriver à un dialogue de sourd entre les “pour” et les “contre” ? À voir. Pour sa part, Richard Blostin souligne qu’il est essentiel de ne pas se diviser mais de dialoguer : « La démarche des “zétérinaires” doit être prise comme une demande à laquelle nous devons répondre. Le groupe d’études en biothérapies de l’Afvac organise une journée sur la recherche en homéopathie à Centravet Paris le 8 novembre 2019 : les portes leur sont grandes ouvertes, comme à tous les vétérinaires. » Il ajoute : « Ne restons pas sur les ignorances, gardons l’esprit ouvert. Les vérités d’aujourd’hui ne sont pas celles d’hier, ni celles de demain. Restons humbles et curieux et restons vétérinaires. »
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