Dépôt onéreux d’animal : une clause controversée - La Semaine Vétérinaire n° 1808 du 27/04/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1808 du 27/04/2019

JURISPRUDENCE

ÉCO GESTION

Auteur(s) : CÉLINE PECCAVY  

La propriétaire d’une jument confiée en pension à titre onéreux a eu la surprise de découvrir la gestation non désirée de l’animal. Elle a été déboutée de sa demande d’indemnisation par le tribunal. Le jugement s’est appuyé sur une clause d’exonération dont l’application dans le cadre d’un dépôt payant surprend. Explications.

Les faits

Par contrat signé le 27 octobre 2014, Mlle D. va confier sa jument de race selle français à Mlle F. en pension pré à titre onéreux pour la somme de 100 € par mois. Mlle D. pratique alors avec sa jument une équitation de sport et de loisirs en compétition amateur. D’autres chevaux, également en pension, sont présents sur la propriété de Mlle F.

Au mois de juin 2015, Mlle D. va constater avec stupéfaction que sa jument est gestante. Le vétérinaire alors consulté déconseille l’avortement au vu de l’avancement de la gestation. Va ainsi naître un poulain mâle le 11 décembre 2015.

Expertise

Mlle D. affirme avoir subi un préjudice dont elle demande indemnisation. A ce stade, on ne sait cependant pas quel est l’auteur de la saillie. Mlle D. va donc demander en justice une expertise. Le juge des référés de Bordeaux (Gironde) y fera droit le 7 mars 2016 et donnera à l’expert vétérinaire désigné, le Dr E., la mission de rechercher quel est l’équidé à l’origine de la naissance du poulain. Le Dr E. devra également donner son avis sur la valeur et les possibilités d’utilisation du poulain né et enfin fournir à la juridiction tous les éléments de nature à permettre l’évaluation du préjudice subi par la propriétaire de la jument.

Rapport d’expertise

Après prélèvements sanguins et analyses, un poney sera déclaré comme le géniteur du poulain. Ce poney étant sans pedigree, le poulain le sera également et sera donc considéré comme «   origine non constatée selle   ». Il est ensuite procédé au chiffrage du préjudice. L’expert retient trois postes : les frais d’entretien de la jument pendant toute la période de non-utilisation, les frais liés à la surveillance de la gestation et aux soins de poulinage et enfin le coût de remplacement de la jument pendant la période de non-utilisation pour que Mlle D. puisse continuer ses activités sportives. Le total est évalué à 5 230,80 €.

Forte de ce rapport d’expertise, Mlle D. va saisir la justice au fond aux fins de se voir indemnisée.

Jugement rendu

Le tribunal va débouter Mlle D. de toutes ses demandes au motif que la clause suivante figurait dans le contrat qu’elle a signé : «   Le propriétaire accepte de mettre son cheval avec les autres chevaux, connaissant les risques que cela comporte.   »

Pour le tribunal, Mlle D «   a accepté de mettre son cheval au pré avec d’autres chevaux, générant dès lors le risque d’une saillie en cas de présence d’étalon, non ex clue par le contrat   ».

Une validation de clause à laquelle s’opposent des arguments certains. Pour rappel, la mise en pension d’un équidé est un contrat de dépôt soumis aux articles 1915 et suivants du Code civil. Pour rappel, un dépositaire ne doit pas laisser la chose qu’il a reçue en dépôt subir une détérioration. Pour rappel, un contrat de dépôt à titre onéreux présume la faute du gardien sauf cas de force majeure. Or la saillie de la jument ne peut être considérée comme un cas de force majeure. Qu’en est-il de la fameuse clause sur laquelle le magistrat s’est fondé ? De telles clauses sont parfois valables en cas de dépôt gratuit. Cependant en cas de dépôt onéreux, elles ne peuvent être appliquées en cas de faute dolosive ou lourde. Or le fait que le gardien n’ait pas empêché un entier d’approcher la jument de Mlle D. est assurément une faute lourde de nature à exclure l’application de la clause d’exonération. De la même manière, de telles clauses sont déclarées comme abusives lorsque le dépositaire est un professionnel et le déposant un profane. En l’espèce, Mlle F. tire des revenus de plusieurs chevaux déposés en pension chez elle. Elle doit donc être considérée comme professionnelle contrairement à Mlle D. De ce rapport professionnel/particulier se déduit le caractère abusif de la clause exonératoire.

En conclusion : voilà une clause qui dans le cas d’espèce n’aurait jamais dû recevoir application. Le bon sens même amènerait à la conclusion que jamais un cavalier sain d’esprit n’accepterait de prendre le risque d’une saillie non voulue pour sa jument. Le jugement pourrait donc mériter un recours devant la cour d’appel.

Source : commentaire du jugement rendu par le tribunal d’instance de Bordeaux le 1er mars 2019.

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