Réputation : quand la toile s’en mêle ! - La Semaine Vétérinaire n° 1806 du 06/04/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1806 du 06/04/2019

DOSSIER

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

Le client est-il devenu roi ? À l’heure du tout-numérique, il pourrait en effet apparaître comme le seul maître à bord de la “machine à avis” créée par Internet. Face à cette évolution, les vétérinaires disposent d’outils pour surveiller et soigner leur e-reputation.

La satisfaction client s’évalue dans les tous les secteurs, d’une prestation de soin esthétique à l’opération du labrador Bobby. Sur Internet, un vétérinaire peut être jugé non plus en fonction de sa compétence, mais de son sens de l’accueil. Les professionnels de santé, en particulier les vétérinaires, sont de plus en plus confrontés à cette réalité numérique mais tellement concrète. Un avis en ligne négatif peut être de nature à entacher la réputation d’un praticien ou d’un cabinet vétérinaire. Charlotte Turcat, conseil en marketing digital, estimait au cours d’une intervention sur l’e-reputation tenue lors la première édition des rencontres Vétolution de Bayer Santé animale, que « 72 % des personnes qui cherchent un vétérinaire se documentent en ligne ». Une information négative peut freiner le développement de la clientèle ou le recrutement. À l’instar de ce qui se passe en santé humaine, les avis négatifs sont aussi une réalité pour les vétérinaires. Ces derniers ne sont pas à l’abri du “client bashing. Sans être justifiée, la critique peut aussi devenir un acharnement contre un praticien. Face à cette situation, plusieurs leviers sont à la disposition du vétérinaire pour lui permettre de réagir. Si faire supprimer le contenu litigieux peut relever du parcours du combattant, d’autres voies d’action sont toutefois possibles pour sortir de l’impasse.

Des avis et des notes

E-réputation ? Mais de quoi parle-t-on ? Selon la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’e-réputation est l’image numérique d’une personne sur Internet. Cette e-réputation est entretenue par tout ce qui concerne cette personne et qui est mis en ligne sur les réseaux sociaux, les blogs ou les plateformes de partage de vidéo. Les professionnels ont tout intérêt à s’intéresser à cette notion. Les avis et commentaires négatifs se retrouvent sur différentes plateformes : les moteurs de recherche (Google, notamment), les réseaux sociaux (Facebook, Twitter) ou encore les forums (sur 30millionsdamis.fr, par exemple) et les sites internet (Pagesjaunes.fr, Yelp.fr). En médecine humaine, il existe même des sites internet consacrés à la notation des médecins. Le 15 avril 2019, un nouveau site, Medieval4i.com, a vu le jour. Il permet aux patients de noter gratuitement leurs médecins. Ils les évaluent sur la qualité de l’accueil, de l’écoute, la durée de la consultation, la ponctualité et les explications sur le traitement. Une telle application concernant les vétérinaires n’existe pas en France. Mais le phénomène de notation des professionnels de santé ne les épargne pas. « Le problème de l’e-réputation est le même pour tous les professionnels, quel que soit leur domaine d’activité. Ils ne peuvent pas ne pas s’en préoccuper. Les vétérinaires sont également concernés par cette problématique, notamment au travers d’avis Google que laissent les clients, sur leurs soins, leur diligence ou encore leur compétence. Il est fondamental de maîtriser ces informations auxquelles tout le monde peut avoir accès afin de maîtriser son E-reputation. Créer des alertes permet de connaître la nature de ce contenu et le cas échéant, de le supprimer », souligne Anthony Bem, avocat spécialisé en droit de l’Internet.

Une prise de conscience

Selon les données1 de l’observatoire des agressions et incivilités (Ribbens) mis en place par le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), sur les deux dernières années, les déclarations effectuées par les vétérinaires démontrent qu’ils subissent de plus en plus d’atteintes directes à leur e-reputation. Face à ces phénomènes, les professionnels prennent conscience qu’il s’agit d’un enjeu important. « Depuis de nombreuses années maintenant, ils ressentent le besoin de surveiller leur e-réputation avec des alertes et gèrent leur compte Google My Business », constate Anthony Bem, avant d’encourager les praticiens à créer du contenu positif afin d’éviter que les commentaires et avis négatifs ne remontent à la surface. « Il n’y a pas meilleure presse que celle que l’on se fait soi-même. Ces recommandations deviennent nécessaires et obligatoires pour r e dier aux problèmes d’e-réputation, susceptibles d’exister », ajoute-t-il. Dans le n° 69 de sa revue, l’Ordre fournit aux vétérinaires les démarches à entreprendre en cas d’atteinte à leur e-reputation. Il rappelle d’abord que la liberté d’expression et d’opinion est un droit fondamental, et souligne que les notes et les avis en ligne sur un vétérinaire ne sont pas illégaux. Mais des « abus ouvrent droit à des sanctions », surtout en cas d’injures publiques, de diffamation ou de dénigrement. Il préconise notamment de mettre en place une veille active, de contacter l’hébergeur pour faire supprimer le contenu litigieux et, en dernier recours, d’introduire une action en justice.

Mieux vaut prévenir que guérir

Selon Charlotte Turcat, la réputation numérique d’un cabinet ou d’une clinique vétérinaire se maîtrise, car un seul avis négatif peut dissuader 85 % des personnes qui cherchent un vétérinaire en ligne. Soigner sa e-réputation passe par la mise en place de plusieurs outils. D’abord, la création d’un site internet. Celui-ci fait office de vitrine numérique de l’établissement. Le nom de domaine du site internet doit permettre d’identifier clairement la clinique. Il doit être identitaire, ainsi que responsive design, afin de faciliter la visite de l’utilisateur, la rendre agréable, fonctionnelle, que ce soit sur un ordinateur, un téléphone portable ou une tablette. L’étape suivante est la création d’une page Facebook, qui est complémentaire au site. « Grâce à vos publications, vous pouvez ouvrir une fenêtre sur l’actualité de la clinique », indique Charlotte Turcat. Dans les deux cas, il est recommandé de publier régulièrement des contenus afin d’alimenter une spirale positive.

1 Revue de l’Ordre national des vétérinaires n° 69, février 2019, pages 18 et 19.

Pour en savoir plus :

- Un dossier sur les avis en ligne (La Semaine Vétérinaire n° 1729) : bit.ly/2UrR2fl.

- Pour soigner sa e-reputation (La Semaine Vétérinaire n° 1804) : bit.ly/2UJvShN.

- Pour réussir son référencement en ligne (La Semaine Vétérinaire n° 1805) : bit.ly/2Gw6uTJ.

- Comment faire retirer un avis Google ? (Ordre national des vétérinaires) : bit.ly/2Gr3Flw

- Un guide sur l’e-reputation publié par le Conseil de l’Ordre des médecins (La Semaine Vétérinaire n° 1784) : bit.ly/2VdJVeS.

4 QUESTIONS À CHARLOTTE DEVAUX 

« AUJOURD’HUI, J’AI FAIT LE CHOIX DE ME PRÉSERVER »

Pouvez-vous expliquer l’origine de cette situation conflictuelle à laquelle vous êtes confrontée ?
Tout a commencé en mai 2018 sur ma page Facebook professionnelle consacrée à la nutrition des carnivores. L’administrateur du groupe Alertes croquettes toxiques est venu commenter un de mes posts. J’ai répondu à ses commentaires et il a fini par me poster son fameux “classement des croquettes”. Plusieurs personnes m’ayant déjà demandé de donner mon avis sur celui-ci, j’ai saisi l’occasion et publié un post pour dénoncer ce classement qui ne repose sur aucune base scientifique. Cette personne n’appréciant pas que je critique son point de vue est devenue insultante et a lancé des appels sur son groupe pour venir me harceler en masse sur ma page. Lorsqu’il m’a menacée en message privé de demander à tous les membres de son groupe de « faire péter le standard » de la clinique où je travaille, j’ai mis ma page hors ligne et je l’en ai banni.

Dans quel état d’esprit étiez-vous ?
Au début, j’ai eu peur. Je craignais que mes comptes soient piratés ou que la clinique où j'exerce subisse les effets de cette situation. J’ai passé mon week-end à répondre à des commentaires insultants sur ma page, c’était aliénant. Aujourd’hui, j’ai fait le choix de me préserver et évite de consulter les contenus diffamants qu’il continue à diffuser sur son groupe. Cette situation n’a pas changé mon comportement, je continue à dire ce que je pense sur ma page quitte à déplaire à certaines personnes. J’ai beaucoup appris de cette épreuve, notamment sur le fonctionnement de la justice ou la solidarité dans la profession.

Avez-vous engagé des démarches pour mettre fin à cette situation ?
Je me suis retrouvée désemparée face à cette situation. Était-il opportun d’attaquer cette personne en justice ? Si oui, sur quelle base ? Fallait-il contacter un avocat spécialisé ? Mon premier réflexe a été de m’adresser au conseil régional de l’Ordre des vétérinaires afin de connaître les démarches à entreprendre. Mais je n’ai pas du tout reçu l’aide espérée. C’est finalement via des groupes Facebook que des confrères et consœurs m’ont aiguillé, notamment pour mettre ma page hors ligne afin qu’un huissier fasse des captures d’écran des commentaires. C’est aussi dans ces groupes que l’on m’a conseillé un avocat qui avait déjà défendu des confrères et gagné. Presque un an après les faits, l’affaire est encore en cours de jugement. L’audience a été reportée à plusieurs reprises par le tiers. C’est assez frustrant d’être dans l’attente, cependant, je réalise que le temps de la justice n’est pas celui des réseaux sociaux. Pour me prémunir d’agissements ultérieurs, j'ai aussi souscrit une assurance e-réputation, mais elle ne s’est pas avérée être si efficace quand la diffamation a été poursuivie au moyen d’une cagnotte en ligne.

Quels conseils donneriez-vous à vos confrères et consœurs ayant subi de la diffamation en ligne ?
Je leur dirais de ne pas hésiter à se faire aider des réseaux sociaux vétérinaires, en particulier des groupes de discussion qui facilitent le partage d’expérience. J’y ai trouvé le soutien moral et logistique indispensable dans ce type de situation. Et se savoir soutenu par sa profession est vraiment d’une grande aide dans ces cas-là. Ce soutien serait d’autant plus symbolique s’il émanait de nos instances professionnelles et pourrait faire comprendre au grand public que ces agissements sont inadmissibles. Alors, n’hésitons pas à continuer de solliciter nos instances pour faire bouger les choses sur ce sujet important.

PRÉCIS SUR LA DIFFAMATION À TRAVERS INTERNET

➜ La définition de la loi : la diffamation consiste en toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.
➜ La preuve : un constat d’huissier peut rapporter la preuve de propos diffamatoires sur Internet.
➜ Délai pour agir : le délai de prescription de la diffamation est de trois mois à partir de la première publication.

LES CLÉS POUR CRÉER UNE SPIRALE POSITIVE

- Faire de la veille en créant des alertes sur Google ou en tapant régulièrement son nom ou le nom de la clinique sur un moteur de recherche.
- Augmenter sa visibilité sur la toile en créant un contenu positif directement sur son site internet ou sur la page Facebook de la clinique.
- Prendre le temps de répondre aux commentaires.

AVIS NÉGATIFS

En cas d’avis et de commentaires négatifs, le vétérinaire peut :
- demander la suppression du contenu litigieux ;
- demander le déréférencement au titre du droit à l’oubli ;
- s’opposer au traitement de ses données personnelles.

L’AVIS DE L’AVOCAT

Quelles sont les actions possibles à la disposition d’un professionnel victime d’avis négatifs sur Internet ?
Anthony Bem : En tant qu’avocat, j’interviens pour obtenir la suppression de contenu litigieux et engager une procédure judiciaire le cas échéant. En pratique, les professionnels se sont rendu compte qu’il y avait deux types de problème. D’abord, celui de l’e-réputation négative induite par leur activité, qui fait suite à des avis et commentaires défavorables de leurs patients/clients. Dans ce cas-là, il est nécessaire de caractériser juridiquement la diffamation. Cette notion suppose un propos faisant état de faits faux, qui portent atteinte à la réputation, à la notoriété et à la considération de l’intéressé. La liberté d’expression peut constituer un frein pour la caractériser. Cette règle fondamentale fait qu’on ne peut pas obtenir la suppression de tous les avis postés en ligne. Un avocat, spécialisé en droit de la presse et de l’Internet, est là pour savoir ce qui est licite ou illicite et pour caractériser les propos diffamatoires ou/et injurieux. Ces deux types de propos sont des limites à la liberté d’expression et constituent des infractions pénales. Dans ce cas, deux solutions sont offertes à la victime. L’avocat peut contacter le site internet pour obtenir la suppression des contenus négatifs illicites. Le professionnel peut, en outre, faire appel aux services d’un avocat pour déposer une plainte pénale avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction, à l’encontre de l’auteur des propos litigieux.
Par ailleurs, l’e-reputation du professionnel peut être entachée par des faux avis. C’est l’autre aspect du problème. En effet, l’e-reputation négative, induite par la concurrence, existe dans tous les corps de métier. Un concurrent peut aussi s’amuser à faire remonter un avis négatif qui existe sur une entreprise et parasiter ainsi son activité, ou mettre des faux avis négatifs. Le professionnel lésé peut agir sur le terrain de la concurrence déloyale dès lors qu’il parvient à prouver que son préjudice est causé par un concurrent à l’origine de ce contenu défavorable.

Les plateformes sont-elles réactives ?
A. B. : Il est très aléatoire d’obtenir la suppression d’un avis sur Google. Sur les autres sites, les statistiques sont plus positives et varient selon les plateformes. Il y a des sites internet comme Doctolib.fr qui aujourd’hui, ne permettent plus de laisser des avis, des commentaires sur des professionnels de santé. Or, pendant des années, ce fut le contraire. Cela a entraîné beaucoup de contentieux à l’égard des professionnels qui n’étaient pas contents de ces contenus. J’ai eu à contacter ces plateformes pour dénoncer les propos diffamatoires qui y étaient publiés. Le constat est le même sur les sites de presse, qui, face aux débordements et aux dérapages, ne laissent plus la possibilité aux internautes de laisser des commentaires.

Pourquoi en arrive-t-on à tous ces dérapages ?
A. B. : Nous sommes confrontés à un problème d’anonymisation des connexions et des commentaires. C’est parce que certains internautes sont anonymes qu’ils se permettent d’agir ainsi. Tant qu’il n’y aura pas d’identification certifiée à l’origine de la connexion internet, les dérapages auront lieu. Le web est aujourd’hui quasiment une zone de non-droit lorsque les sites internet sont basés à l’étranger. Le cas échéant, nous constatons rapidement les limites juridiques des possibilités d’action. En droit, nous sommes un peu désarmés face à ces situations. En réalité, le problème n’est pas la condamnation, mais l’exécution à l’étranger d’une décision de justice rendue en France.
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