« Nous défendons la singularité des professionnels libéraux » - La Semaine Vétérinaire n° 1805 du 06/04/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1805 du 06/04/2019

ENTRETIEN AVEC MICHEL PICON

ACTU

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

Le mandat de Michel Picon, successeur de Michel Chassang à la tête de l’Union nationale des professions libérales (Unapl), démarre sur les chapeaux de roue. L’épineux dossier de la réforme des retraites et l’actualité dominée par les enjeux du grand débat national figurent parmi ses priorités.

Le 21 février dernier, vous avez succédé à Michel Chassang à la tête de l’Union nationale des professions libérales (Unapl). Quelle a été votre première réaction ?

Je n’ai pas été surpris. J’étais aux côtés de Michel Chassang durant ses deux mandats : de 2016 à 2019, en tant que vice-président délégué de l’Unapl, et deux années à la tête de sa commission économique et fiscale. Mais la vision est différente quand on est passager d’un véhicule plutôt que son conducteur. Mon rôle est désormais de tenir le volant. Je dirais que mon mandat démarre sur les chapeaux de roue avec toute l’équipe de l’Unapl, sur fond de mouvement de contestation des “gilets jaunes” et du grand débat qui anime notre pays. De même, le programme présidentiel touche des sujets importants qui concernent directement les professions libérales. Dès le début de mon mandat, des rencontres ont eu lieu avec les organisations membres, dont le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL). L’objectif est d’échanger sur leurs difficultés et leurs spécificités.

La concertation sur le projet de réforme des retraites est en cours. Ce sujet inquiète particulièrement les professionnels libéraux qui souhaitent peser sur les discussions autour de la création d’un régime universel de retraite. Quelle est la position de l’Unapl sur ce dossier ?

Le dossier de la réforme des retraites constitue l’un des sujets d’actualité qui nous préoccupent. Le gouvernement souhaite mettre en place un régime universel qui s’imposerait à nos caisses de retraite. Le rôle de l’Unapl est de coordonner l’action des professionnels libéraux dans ce dossier et de faire connaître leurs particularités (l’âge de départ à la retraite ou encore le cumul emploi-retraite). Il ne serait pas pertinent de noyer ces spécificités dans un régime universel. Cette éventualité nous inquiète particulièrement, nous défendons la singularité des professions libérales dans ce domaine. De même, les professionnels libéraux n’ont pas la capacité de payer des cotisations plus élevées. Si le niveau de cotisation devait être porté au même niveau que celui des salariés, il serait insupportable, notamment pour les vétérinaires. Nous avons mis des lignes rouges sur ces sujets et signalé cette réalité à Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites. Nous souhaitons en effet que cette dernière se limite à un plafond et demi, avec un taux qui ne constitue pas une cotisation supplémentaire pour les professionnels libéraux. Par ailleurs, nous nous interrogeons sur l’avenir de nos caisses de retraite : que vont-elles devenir ? Nous demandons enfin à ce que leurs réserves ne soient pas dilapidées dans un régime général. Quelques-unes de nos caisses imaginent pouvoir rester en dehors du régime universel. Mais je crains que cela ne soit plus possible. La politique de l’Unapl, c’est de dialoguer, de négocier, de préserver dans le débat et la discussion les intérêts des professionnels libéraux et d’eux seuls. L’Unapl ne pratique pas la politique de la chaise vide. Avec l’Union des entreprises de proximité (U2P) et en tant que président de l’Unapl, je m’implique particulièrement sur ce dossier et rencontre chaque semaine Jean-Paul Delevoye et ses équipes, dont je tiens à saluer la grande qualité d’écoute. Je suis convaincu que le dialogue nous permettra d’atteindre nos objectifs.

Quels sont vos autres chantiers prioritaires ?

Le programme sur lequel je me suis engagé comporte un ensemble de priorités, au rang desquelles figure le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants. Cette réforme a commencé cette année et avance pour le moment dans le bon sens. Nous siégeons dans toutes les instances afin que l’intégration des professionnels libéraux, dans le régime général, ne leur apporte pas une qualité de service plus faible. L’autre priorité concerne la réforme de la formation professionnelle, qui prévoit notamment la transformation des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) en opérateurs de compétences (OPCO). L’Unapl a créé, avec l’U2P, l’OPCO des entreprises de proximité, rejoint il y a peu par le secteur vétérinaire. Celui-ci est dédié aux services de proximité incluant les secteurs de l’artisanat, du commerce de proximité et des professions libérales. Toujours, dans le registre de la formation, le gouvernement vient de lancer une mission sur le rapprochement des FAF1 des indépendants qui concerne le FIF-PL2. Nous ne sommes pas demandeurs d’une structure plus large et veillerons à ce qu’une réforme ne se fasse pas au détriment des professionnels libéraux. Sur le plan fiscal, la loi Pacte3 a également été un chantier important. Nous désirions agir pour une fiscalité plus allégée pour les professionnels libéraux, concernant notamment la partie des bénéfices qu’ils réalisent et utilisent pour développer leur entreprise. Nous ne sommes pas parvenus à faire différencier la fiscalité des bénéfices non prélevés dans ce texte. Mais nous continuons à proposer des solutions pour faire aboutir ce chantier. Enfin, nous nous intéressons également aux problématiques des femmes qui exercent une profession libérale. La commission parité de l’Unapl réfléchit notamment à des aménagements spécifiques de leurs droits sociaux qui pourraient transformer un congé de maternité en un temps partiel.

Ces sujets ont-ils été portés par l’Unapl dans le cadre du grand débat national ?

Tout d’abord, je voudrais souligner que des professionnels libéraux participent aux manifestations des “gilets jaunes” à l’origine de ce grand débat national. Ils ne sont malheureusement pas en dehors de ce sentiment de déclassement et d’une fiscalité étouffante. Face à cela, l’Unapl a mené ses propres actions dans le cadre du grand débat national. Nous avons mis en place une plateforme en ligne4 afin de faire remonter les problématiques rencontrées par les professionnels libéraux. Près de 3 000 personnes ont répondu à cet appel. Sans surprise, la réforme des retraites arrive en tête de leurs préoccupations, non loin de la pression fiscale. L’ensemble des thèmes soulevés a été synthétisé au sein d’un document qui a été remis au président de la République. On y retrouve des sujets importants tels que la fiscalité, l’Europe et la concurrence déloyale transfrontalière ou encore la pression de l’autorité de la concurrence sur les professions réglementées. Par cette démarche, nous souhaitons contribuer à la mise en place de solutions concrètes pour améliorer la situation des travailleurs indépendants. Ces messages sont portés par l’Unapl à travers le grand débat national. Nous attendons de voir si le président de la République tiendra compte de ces pistes.

Si vous deviez partager votre diagnostic sur l’état de santé des professionnels libéraux aujourd’hui, lequel serait-il ?

Les professionnels libéraux sont confrontés à de nombreux enjeux tels que la transformation numérique de leur activité. Ces changements vont inévitablement redessiner de nombreux secteurs et posent la question de leur survie et de leur capacité à générer de la valeur ajoutée. Il est vrai qu’il existe des professionnels qui sont en difficultés et connaissent des résultats difficiles. Mais je reste très confiant face à ces défis. Nous nous rendons compte que les quelques expériences menées aujourd’hui ne suppriment pas la dimension humaine dans le rapport que le professionnel libéral entretient avec son client. De nombreuses informations sont aujourd’hui disponibles sur Internet et accessible au client. Mais au-delà des algorithmes, ces possibilités ne suppriment pas l’expertise apportée par les professionnels. D’ailleurs, lors du dernier Salon international de l’Agriculture, j’ai été marqué par la relation forte entre les vétérinaires et les éleveurs. Rien ne peut remplacer la confiance et la proximité du professionnel et de son client. Évidemment, le métier de vétérinaire évoluera, avec l’utilisation d’outils de diagnostic plus rapides, mais la dimension humaine de cette profession sera privilégiée. Globalement, les professionnels libéraux ont une valeur ajoutée qui progresse. Ils constituent un tissu important de très petites entreprises, présent dans les terroirs, avec près d’un million de salariés. Cela vaut le coup de se battre pour ces professions.

1 Fonds d’assurance formation.

2 Fonds interprofessionnel de formation des professionnels libéraux.

3 Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises.

4 bit.ly/2ZjhCur.

LE PARCOURS DE MICHEL PICON EN QUELQUES DATES

Michel Picon est agent général d’assurance, une profession libérale réglementée, au Grau-du-Roi (Gard). Parallèlement à ses activités professionnelles, il a assumé plusieurs mandats d’élu local dans sa commune (1989-2007). Sur le plan syndical, il a été notamment membre du bureau exécutif (2007), puis président adjoint d’Agéa (2007-2013), la fédération nationale des syndicats d’agents généraux d’assurance membre de l’Union nationale des professions libérales (Unapl). De 2013 à 2016, membre du bureau national de l’Unapl, il préside la commission des affaires économiques et fiscales, puis de 2016 à 2019, il occupe les fonctions de vice-président délégué de l’Unapl. à ce titre, il est vice-président de l’Union des entreprises de proximité (U2P) et administrateur de l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss).
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr