Comprendre nos erreurs sans les blâmer, un nouvel apprentissage salutaire - La Semaine Vétérinaire n° 1804 du 30/03/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1804 du 30/03/2019

DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

ÉCO GESTION

Auteur(s) : ANNE-CLAIRE GAGNON  

L’analyse non culpabilisante de l’erreur et le perfectionnement du leadership permettent d’améliorer la dynamique de l’apprentissage et les moyens d’éviter les erreurs.

Catherine Oxtoby (université de Nottingham en Grande-Bretagne), qui a consacré son PhD à la sécurité du patient en pratique vétérinaire, et Lizzie Lockett, directrice de Mind Matters Initiative, abordent les questions essentielles des erreurs médicales et de la communication des équipes soignantes pour les comprendre et les prévenir1.

Tolérance zéro pour la culture du blâme, telle est la ligne du Royal College of Veterinary Surgeons (RCVS, l’équivalent britannique du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires français), énoncée dans le plan stratégique établi pour 2017-2019. Car le cercle de la peur est contaminant : les auxiliaires ont peur des vétérinaires, ces derniers ont peur du RCVS, de leurs clients, de leur patron quand ils sont salariés, du jugement de leurs collègues, et parfois même ils ont peur de leur propre regard. Toutes ces peurs conduisent au silence, voire à masquer la vérité.

Or, l’erreur est terriblement humaine, et aux États-Unis, les erreurs médicales sont la troisième cause principale de décès (250 000 patients par an), devançant la mortalité causée par le cancer du sein ou le VIH, par exemple.

Tous dans le même avion !

Face aux clients, quand on s’est trompé, le souci du vétérinaire, c’est de ne pas savoir le dire et s’excuser tout simplement. La folie et la violence des réseaux sociaux comme des médias n’aident pas à la sérénité. Entre “ce que les clients vont dire de moi” et “ce que les collègues vont penser de moi”, Catherine Oxtoby a rappelé que nous sommes bien souvent notre pire ennemi.

Nul n’est infaillible, mais dans les métiers où l’erreur n’est pas possible, comme dans l’aviation ou la chirurgie, c’est l’organisation et la méthode qui permettent d’assurer les missions, les chirurgiens/anesthésistes ayant adopté le même type de management que les pilotes d’avion : ses check-lists et de la communication au sein des équipes.

Le bon côté de notre époque, c’est que le vétérinaire n’est plus seul à bord. Et quand bien même il n’aurait qu’un seul copilote en la personne de son auxiliaire spécialisé vétérinaire (ASV), il est essentiel qu’il soit autorisé à lui dire les choses qui ne vont pas et lui à les entendre, sans crainte ni reproche.

En médecine humaine, le patient fait d’ailleurs partie de l’équipe : avant de vous injecter l’anesthésique, l’infirmière prend soin de vous redemander votre nom et le côté où on va vous poser une prothèse de hanche, par exemple. On n’est jamais si bien servi que par soi-même !

Une victime peut en cacher une autre

La première étape de la prévention des erreurs de compréhension consiste à reformuler pour vérifier que le client a bien compris. La seconde : apprendre à dire « désolé », pour être entendu et pardonné en cas d’erreur. On gagne toujours à être sincère, transparent, y compris et surtout quand on a fait une erreur. Car « pour apprendre de ses erreurs il faut les avoir reconnues » (dixit le Dr Suzette Woodward). Et avoir à l’esprit que si le patient a été victime d’une erreur de notre fait, les ASV et les vétérinaires sont les secondes victimes, avec des troubles du sommeil, de l’attention, de la concentration, de la motivation, à la suite de l’erreur commise et de ses conséquences. Les femmes sont globalement plus touchées par une erreur médicale qu’elles ont faite, et ce d’autant plus qu’elles sont jeunes.

Après chaque événement, la recommandation est d’organiser une réunion de débriefing sans blâmer, mais en analysant les causes qui ont conduit à l’erreur, et en soutenant la victime secondaire, auteur de l’erreur, qui a besoin de parler pour comprendre et ne plus être à l’origine de nouvelles erreurs. Ce sont les infirmières et les psychologues qui sont les plus créatifs en matière de prophylaxie des erreurs, avec par exemple le London Protocol, disponible en français2.

Mieux apprendre

Comme l’a souligné Lizzie Lockett, en citant une conférence TEDx du médecin urgentiste Brian Goldman3, l’important c’est de pouvoir parler des erreurs médicales. Car « celui qui n’accepte pas de se tromper, ne peut rien inventer ». Sans pour autant être tête brûlée ou aventurier, pour avancer il faut prendre des risques mesurés, encadrés.

Mais lorsqu’une erreur médicale est accompagnée d’une honte malsaine, indicible, ce n’est plus le comportement qui a conduit à l’erreur que l’on condamne, mais bien souvent soi-même : « Je ne vaux rien, pourquoi j’ai fait véto, etc. » Plus nous avons été perfectionnistes pendant notre scolarité, plus nous avons appris des connaissances, souvent par cœur, moins nous avons été préparés à réellement apprendre. Apprendre à déléguer, à demander conseil, à laisser un collègue réévaluer le patient.

Comme l’a résumé Rhod Gilbert, un comédien galloisqui s’est mis dans la peau d’un vétérinaire : « Veterinarian ? This is a wonderful vocation… and a shit job ! »

Le RCVS a donc lancé un plan stratégique entre 2017 et 2019 pour changer la culture, perfectionner le leadership et accompagner la profession, pour comprendre et améliorer la dynamique de l’apprentissage et les moyens d’éviter les erreurs. Réunions d’équipe régulières, discussions ouvertes, groupes de parole, groupes Balint, formations pour améliorer sa résilience, pour accompagner le processus du deuil avec leurs clients, le RCVS ne s’interdit aucune des pistes lancées par les équipes vétérinaires et Mind Matters Initiative.

1 Conférence du 6 avril 2018 au congrès de la British Small Animal Veterinary Association (BSAVA) à Birmingham (Royaume-Uni).

2 bit.ly/2uJhgiN.

3 bit.ly/2OGfOXA.

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr