Chassez le naturel - La Semaine Vétérinaire n° 1804 du 30/03/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1804 du 30/03/2019

Edito

Auteur(s) : TANIT HALFON 

Le “coupable” est très recherché de nos jours. Si ce mot se rattache à différents maux de notre société, peut-on l’employer pour tout ? Le lion est-il “coupable” d’avoir tué la gazelle ? Et le fourmilier les fourmis ? On serait tenté de répondre non, et d’ajouter : c’est la nature ! La situation se complique lorsqu’un animal sauvage rencontre un animal domestique. Prenons l’exemple du loup. Sa réapparition et ses attaques dans les élevages ovins amènent certains à employer des mots habituellement associés à notre vocabulaire judiciaire : on “accuse”le loup. Un animal sur le banc des accusés, quand on y pense, l’image n’est pas banale. En tout cas aujourd’hui, car il est vrai qu’au Moyen Âge, et ce jusqu’au xviiie siècle, porcs, vaches ou encore insectes pouvaient faire l’objet de procès, au même titre que les êtres humains1. S’agissant du loup, de quoi l’accuse-t-on exactement ? En réalité, on ne l’accuse pas d’avoir tué des brebis, c’est un prédateur, mais sa présence met en exergue les difficultés de concilier activités d’élevage et préservation de la faune sauvage. Et les attaques ne sont pas les seuls obstacles. La faune sauvage peut être le réservoir ou le vecteur de maladies, transmissibles aux animaux domestiques, voire à l’être humain. L’inverse est aussi vrai. La cohabitation est-elle impossible2 ? Compliquée, oui. Impossible, non. Mais pour cela, ne faudrait-il pas d’abord se libérer des “raisonnements judiciaires” ? La montée en puissance de la biodiversité pourrait, à première vue, nous y aider. Pourtant, le dernier plan biodiversité montre que d’autres schémas de pensée, moins judiciaires certes mais pas forcément adaptés, tendent à s’imposer. On peut y lire que la biodiversité rend des « services » et que des travaux de recherche sur « les effets bénéfiques de la biodiversité, de la santé des écosystèmes et de la préservation des milieux naturels pour la prévention et la lutte contre les maladies » sont prévus. Service, bénéfice. Somme toute, une faune sauvage utile. Mais… et si la recherche ne trouvait aucun effet bénéfique ? La faune sauvage serait-elle accusée d’inutilité ? ●

1 Benjamin Daboval. « Les animaux dans les procès du Moyen Âge à nos jours ». Thèse de doctorat vétérinaire, ENVA, 2013 (bit.ly/2G7zrEl).

2 Lire page 50 à 55 de ce numéro.

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