Oncovet, première prise d’IVC-Evidensia - La Semaine Vétérinaire n° 1803 du 23/03/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1803 du 23/03/2019

PROFESSION

ACTU

Auteur(s) : FRÉDÉRIC THUAL  

Décidément, 2019 sera l’année du bouleversement du paysage vétérinaire français. Quelques semaines seulement après l’arrivée du réseau suédois Anicura, c’est au tour du groupe britannique Independent Vetcare-Evidensia de poser le pied en France.

ÀVilleneuve-d’Ascq (Nord), le centre de cancérologie vétérinaire Oncovet et du plateau technique VetoTech (de radiothérapie, notamment) viennent de succomber à la tentation. « Nous sommes une structure de référé pure », explique François Serres, l’un des trois vétérinaires actionnaires de la clinique Oncovet, spécialisée en cancérologie vétérinaire, créée en l’an 2000. Soumise à de lourds investissements, la clinique s’est adossée, en 2016, à des investisseurs privés pour créer VetoTech, le premier plateau technique anti-cancer vétérinaire partagé, équipé d’un scanner, d’un accélérateur de particules, capable d’effectuer des opérations de brachythérapie, d’iodothérapie, de scintigraphie… « Pour les plus gros équipements, ce sont des investissements de l’ordre de 300 000 à 400 000 . Ce qui représente des frais fixes énormes », résume le dirigeant d’Oncovet, où sont employées 25 personnes, dont neuf vétérinaires. « On recherchait un groupe qui puisse prendre en charge ces investissements », explique-t-il.

Navire amiral d’Evidensia

Approché par plusieurs groupements français et étrangers, dont le réseau suédois Anicura depuis trois à quatre ans, Oncovet a choisi, en juin 2018, de convoler avec Independent Vetcare (IVC) Group-Evidensia. Les noces ont été officialisées le 1er janvier. Le groupe britannique reprenant 49 % du capital d’Oncovet et 100 % de VetoTech. « Nous avons choisi la solution qui nous semblait la plus favorable. Leurs conditions de rachat étaient plus avantageuses. Les engagements pris en matière de développement aussi. Au regard de notre activité, le réseau d’Evidensia était mieux implanté en Belgique, d’où provient 40 % de notre patientèle. De plus, Anicura dispose d’un réseau de cliniques importantes où nous aurions été une grande parmi d’autres. Chez Evidensia, nous sommes la seule structure de spécialistes et allons faire figure de navire amiral. En ce sens, ils nous chouchoutent, reconnaît François Serres. Ils vont nous épauler, nous décharger de la comptabilité, de la communication… tout ce que l’on ne sait pas bien faire ou que l’on n’a pas le temps de faire. C’est un confort indiscutable. »

Pas besoin d’attendre la trésorerie

Après un audit où IVC a conseillé d’instaurer un règlement intérieur, d’investir dans du matériel pour assurer un nettoyage plus poussé des locaux, de changer les tenues dépareillées ou de modifier le site internet pour se protéger des failles de sécurité, Oncovet et IVC sont tombés d’accord sur un business model et un plan d’investissement. « “Vous avez besoin de quoi pour travailler mieux et atteindre vos objectifs”, nous ont-ils demandé, se rappelle François Serres. Nous avons ainsi pu recruter les deux Asv qui nous manquaient, notamment pour assurer les gardes de nuit le week-end. » D’ici à la fin de l’année, un ou deux vétérinaires supplémentaires devraient être embauchés. « Ce qui a changé, c’est que nous n’avons plus besoin d’attendre d’avoir la trésorerie pour lancer nos actions. Nous avons pu acquérir du matériel à des tarifs plus avantageux », observe-t-il. Les protocoles de soins n’auraient, en revanche, pas changé. Le personnel non plus. Et Oncovet, qui a su se tailler une certaine notoriété, conserve son nom. D’ici à la fin de l’année, la clinique devrait finalement fusionner avec le plateau technique VetoTech et devenir une seule et même entité. « Le groupe IVC devrait annoncer une deuxième acquisition en juin prochain », confie Patrick Govart, directeur du développement, en charge de la filiale française du leader européen des groupements de cliniques.

ENTRETIEN AVEC DAVID HILLIER ET PATRICK GOVART 

« NOUS AVONS LA CAPACITÉ D’APPORTER UNE SOLUTION AU MARCHÉ FRANÇAIS »

Trois mois après une première acquisition en France, David Hillier cofondateur et PDG d’IVC Group-Evidensia, et Patrick Govart, directeur du développement d’IVC-Evidensia France, détaillent le concept et la philosophie d’un groupe devenu le premier réseau de cliniques vétérinaires en Europe en moins de dix ans. Vous venez d’arriver en France avec l’acquisition de la clinique Oncovet et de son plateau technique VetoTech. Quelle est votre volonté de développement d’IVC Group en Europe ?
Le réseau compte aujourd’hui 1 150 cliniques. L’objectif est de nous limiter à renforcer notre réseau en Europe du Nord, et notamment en Irlande et en France, où le potentiel est énorme.

Pourquoi avez-vous fait justement le choix de la France ? Qu’est-ce qui vous a guidés dans la sélection des structures vétérinaires ?
C’est d’abord la très haute qualité des soins des vétérinaires français. Comme dans les autres pays, ils ont des besoins et des problématiques identiques en matière de patrimoine pour assurer la transmission et le développement des structures. Et je pense que nous avons la capacité d’apporter une solution au marché français. Pour moi, c’est une évolution logique.

Quelle problématique avez-vous identifiée ?
Nous constatons une véritable inquiétude concernant la transmission du patrimoine et la sécurisation de l’investissement. Il faut pouvoir continuer à investir, à certaines étapes de la vie où il n’est pas toujours facile de trouver des financements et où on n’a plus autant envie de prendre des risques. Si les jeunes ne prennent pas le relais – et ils sont de moins en moins nombreux à vouloir s’engager dans cette voie –, on a tendance à stagner. Faire entrer un partenaire financier permet de continuer à faire vivre sa clinique, à l’agrandir, à acheter de nouveaux matériels, à créer de nouveaux services…


Retrouvez l’intégralité de l’interview sur bit.ly/2FNQex0.
propos recueillis par Frédéric Thual

UN REGARD CROISÉ SUR LES DEUX GRANDS RÉSEAUX VÉTÉRINAIRES EN EUROPE

Après sept années chez Anicura, 11 chez Evidensia et un passage éclair à la rédaction en chef d’un magazine vétérinaire suédois, le vétérinaire franco-suédois Christophe Bujon a été rappelé par Evidensia pour piloter le département formation du groupe. Regard croisé sur les deux réseaux. Clinique Evidensia Södra Djursjukhuset, dans la banlieue de Stockholm (Suède). « C’est là que tout a commencé », explique Christophe Bujon, vétérinaire chirurgien, spécialisé dans les animaux de compagnie, qui, après un congé de paternité, vient de rejoindre Evidensia comme academy development manager. « En 2011, quatre grosses cliniques de Stockholm, qui ne souhaitaient pas être rachetées par le groupe Fidelio, se sont associées pour créer Evidensia, appuyé par le fonds d’investissement Valedo, avec un leitmotiv : faire en sorte que les cliniques fonctionnent comme avant, puisqu’elles fonctionnaient bien », raconte celui qui, à l’époque, était en poste depuis sept ans chez Anicura, à l’hôpital vétérinaire régional de Bagarmossen. « Entre les deux groupes, ça a toujours été la compétition, mais l’on passe très facilement de l’un à l’autre, sans problème », précise-t-il.


EVIDENSIA FACE AUX “ANICURIENS”

Face à l’accélération d’Evidensia qui, en trois ans a attiré 65 cliniques, Valedo préfère se retirer. Le fonds suédois EQT entre en scène. Il fusionnera avec le groupe britannique IVC en 2016. « Quand j’ai démarré, nous étions sept vétérinaires, ils sont 40 aujourd’hui. C’est un particularisme suédois. Là-bas, les cliniques sont grandes et le nom d’Evidensia figure sur la façade, contrairement à la Grande-Bretagne et apparemment à la France », explique Christophe Bujon. Très vite, les bénéfices de ces regroupements sont apparus. « On a vu que l’on pouvait acheter plus d’équipements, avoir de meilleurs prix sur les seringues, les compresses, les consommables ou les médicaments. Les cliniques du réseau peuvent s’échanger du personnel, des savoir-faire… Ça a rendu le marché plus intéressant pour les fabricants et les distributeurs, qui ont vu grossir les cliniques. Aujourd’hui, il est plus simple de voir la taille du marché. À l’inverse, certaines personnes n’apprécient pas la mainmise de grandes compagnies financières, craignant que les bénéfices partent dans les paradis fiscaux. Mais, ici, tous les bénéfices sont réinvestis. Le département chirurgie est aussi bien équipé qu’en humaine », assure le chirurgien. Si, pour lui, les professionnels s’appellent toujours pour un conseil, quelle que soit l’enseigne du réseau, il reconnaît que le sentiment de compétition est exacerbé. À chaque groupe, sa personnalité. « Anicura fut la première à avoir recruté un responsable de la qualité. Evidensia a préféré asseoir une marque, avoir une image et être la première dans son domaine. Elle a davantage travaillé sur les comptes en local, Anicura a évolué de façon plus centralisée », observe l’ex-rédacteur en chef.
IVC Group, qui a récemment changé son système informatique pour mettre en œuvre un système en réseau où toutes les données des clients, médicales (radio, scanner, etc.) a dû faire face à une intégration compliquée dans ses structures. « Une harmonisation parfois mal vécue dans les cliniques, mais qui apporte un vrai service au client. Où qu’il soit, dans une clinique suédoise ou norvégienne, le vétérinaire aura accès à toutes les données pour soigner l’animal de son client », explique le responsable du département formation d’Evidensia, qui dit préparer une carte des compétences. « La France aurait beaucoup à gagner à partager ses informations. Au sein d’un réseau, on peut faire traduire des publications, les échanger, ce qui est impossible pour un vétérinaire seul. Le groupement permet d’aller vers des opérations plus complexes. À l’instar de la dialyse ou des photographies de la rétine en 3D déployées par Anicura », témoigne-t-il.


Frédéric Thual

DE PATRON À EMPLOYÉ

À la tête d’une clinique vétérinaire de quatorze personnes, à Hatfield, dans la banlieue Nord de Londres, le vétérinaire belge Yves Gisseleire a cédé sa structure à IVC Group-Evidensia en 2015. Trois ans après, il ne regrette rien. « C’était la meilleure solution pour moi », dit-il. À l’époque, il travaille 60 heures par semaine, comme vétérinaire, propriétaire et directeur. « À la cinquantaine, la charge de travail devenait trop lourde. » Faute de trouver un collègue qui puisse reprendre une partie de l’affaire et maintenir l’indépendance de la clinique, il se tourne vers IVC-Evidensia. « À l’époque, quatre ou cinq groupes présents en Grande-Bretagne étaient susceptibles d’être intéressés par une reprise. Avec Evidensia, j’avais l’impression que je pouvais continuer à travailler pour eux sans changer mes façons de faire. » Alors, il vend, en gardant les murs pour s’assurer un revenu complémentaire. On lui propose un poste de middle management. « Je n’intervenais plus dans les décisions stratégiques, cependant, je conservais des fonctions de contrôle. Je pensais pouvoir aller comme ça jusqu’à la retraite, mais, très vite, j’ai encore eu envie d’en faire moins. » Il finit par passer la main à une de ces collègues, qui devient directrice de la clinique. « Même si ça n’a pas beaucoup de sens, je suis quelque part sous ses ordres. Ça m’a donné l’opportunité de ne plus travailler que 20 heures par semaine. »
Passé de patron à employé, Yves Gisseleire est finalement plutôt satisfait d’avoir pu vendre son établissement dans un pays, où, dit-il, « peu de jeunes collègues sont prêts à prendre les risques inhérents à l’acquisition d’une clinique et à s’imposer le rythme de travail qui va avec. C’est une tendance, remarque-t-il. De nombreux grands groupes ayant émergé, le prix des parts des cliniques a augmenté. Aussi, dans mon cas, c’était presque plus dangereux de vendre à un individu que je ne connaissais pas qu’à un groupe. » IVC-Evidensia propose des conseils, un guide. « À vous de les suivre ou pas. À l’inverse, on vous impose de choisir tel marque d’équipements, de vaccins pour des raisons commerciales, mais ça n’interfère jamais sur les besoins des patients. Pour l’usage des médicaments au quotidien, je n’ai jamais rencontré de problèmes. »
Que cette perte d’indépendance soit l’une des craintes émises par des vétérinaires français ne l’étonne pas. « À mon avis, c’est un tort. Quand vous êtes dans une structure à trois ou quatre vétérinaires, vous avez autant de chance de vous heurter à de fortes personnalités, dont les décisions ne vous conviendront pas. »

« PAS UN “MCDO” VÉTÉRINAIRE »

Méconnu du grand public, Evidensia, arrivée après d’autres grandes chaînes vétérinaires, préfère miser sur la différence. « Quand d’autres entreprises, dans la lignée des grands réseaux d’opticiens, optent pour des publicités à la télé, IVC préfère proposer la visite de ses cliniques et mettre en avant ses labels de qualité. C’est de cette façon que ces structures font leur marketing, ce n’est pas juste une façade. Ils n’essaient pas de faire un “McDonald’s” vétérinaire », témoigne-t-il. Tout en laissant carte blanche aux équipes vétérinaires, le changement du système informatique s’impose rapidement pour avoir un œil sur les comptes et pouvoir opérer des statistiques. Ce qui était difficile à mettre en œuvre seul est devenu plus aisé. « Et le chiffre d’affaires a progressé grâce à la mise en place de la prise de rendez-vous en ligne, via Internet et sur smartphone, le déploiement d’un système de prélèvement mensuel automatique pour les plans de traitement préventif, etc. En tant qu’indépendant, c’est très compliqué. On ne possède ni le temps ni les compétences techniques pour le faire. Seul, je pouvais difficilement m’assurer de la solvabilité des clients et ai subi de nombreuses impayés », reconnaît Yves Gisseleire. « Au moment de la vente, mon comptable ma dit : “Tu es fou !” Dans sept ans, tu auras autant d’argent qu’avec la vente. Mais ce n’est pas lui qui allait continuer à travailler 60 heures par semaine et risquer une crise cardiaque ! », soutient Yves Gisseleire, satisfait aussi que, malgré les facilités de recrutement offertes ailleurs, l’ensemble de l’effectif est resté. De retour après trois semaines en Éthiopie, Yves Gisselière en convient : « Avant, ce genre d’escapade était impossible ! »


Frédéric Thual
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