Médicaments vétérinaires : Un marché EN MUTATION - La Semaine Vétérinaire n° 1803 du 23/03/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1803 du 23/03/2019

DOSSIER

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

à la suite de fusions-acquisitions, le nombre de laboratoires présents sur le marché du médicament vétérinaire a nettement été réduit. Autre phénomène frappant à l’ère du digital, les entreprises proposent, au-delà du produit, de nombreux services à destination des vétérinaires. Face à ces chamboulements, la profession s’interroge.

Il y a encore quelques années, les vétérinaires fraîchement installés pouvaient compter sur une vingtaine de laboratoires pour orienter leurs solutions thérapeutiques. Aujourd’hui, ce sont huit laboratoires qui réalisent plus de 90 % des ventes. Quatre laboratoires se partagent plus de 50 % des ventes au niveau mondial : Zoetis, Boehringer Ingelheim (plus Merial), MSD et Elanco (ancienne filiale de Lilly). Trois grandes entreprises françaises font partie du top 10 des plus grands laboratoires en santé animale au monde : Ceva, Virbac, et Vetoquinol. Les “big pharma” mènent des opérations de fusions-acquisitions et acquièrent, intègrent, de nouvelles entreprises. « Les “big pharma” sont en outre engagés depuis plusieurs années dans une restructuration de leurs activités en santé animale et d’importants mouvements de capitaux rebattent sans cesse les cartes du jeu concurrentiel », note l’agence Xerfi dans un rapport1 publié en août 2018 sur l’industrie du médicament vétérinaire. En janvier 2017, par exemple, Boehringer Ingelheim rachetait Merial pour un montant de 4,7 milliards d’euros. Plus récemment, c’est Bayer qui indique réfléchir à la cession de son activité santé animale. D’autres entreprises choisissent la voie de l’autonomie. En 2018, Eli Lilly annonçait se séparer d’Elanco, sa division santé animale. De la même façon dont Zoetis avait pris son indépendance en 2013. La donne change au gré des concentrations, des rachats et de l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs. À l’image du laboratoire Alivira qui a fait son entrée sur le marché français en septembre 2018. Pour Jean-Louis Hunault, président du Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV), cette orientation de l’actionnariat des groupes internationaux est directement liée à la croissance du marché de la santé animale dans le monde : « Nous connaissons en effet des taux de croissance supérieurs à 6 % par an. Notre marché atteint désormais une masse suffisante pour donner naissance à des groupes autonomes. Cet élément influence nécessairement la stratégie de nos entreprises. Il est assez logique que les secteurs se structurent. Ce mouvement de concentration a d’ailleurs été connu dans d’autres secteurs comme en santé humaine. » D’autres tendances influent aussi sur la stratégie des industriels.

Un marché dynamique

Le marché français du médicament vétérinaire connaît une croissance stable de l’ordre de 3 % par an. Selon les données du Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV), en 2016, le secteur a connu un chiffre d’affaires (CA) de 883 millions d’euros en France (dont 844 pour le marché du médicament) et 1,2 milliard d’euros à l’exportation, dont 700 millions pour la seule Union européenne. L’Hexagone est d’ailleurs en tête des marchés européens (24 % du CA), suivi de l’Allemagne (16 %), du Royaume-Uni et de l’Italie (15 et 12 %). « La France est le premier pays en matière de recherche et de fabrication de médicaments et de réactifs en Europe, avec plus de 6 700 salariés, et le plus grand arsenal thérapeutique (2 700 AMM). Cet atout est renforcé par la présence de trois entreprises françaises (Virbac, Ceva, Vetoquinol) dans les 10 premiers laboratoires mondiaux », indique le SIMV2. Porté par le segment des animaux de compagnie, la France reste un marché dynamique pour le secteur. « Le marché français connaît un fort potentiel de développement pour la médicalisation des élevages avec la vaccination et le suivi du chat », souligne Jean-Louis Hunault. Du côté des animaux de rente, les prévisions de l’agence Xerfi restent optimistes. « Les achats de médicaments se maintiendront à moyen terme. Si l’érosion du cheptel bovin (principal secteur d’élevage en France) et ovin ne devrait pas être endiguée, le redressement de la population caprine, porcine et de volailles se poursuivra. De quoi stimuler les ventes en santé animale sur ces segments. »

Des performances boostées par l’international

Selon les estimations de cette agence, le CA des fabricants de médicaments vétérinaires retenus dans son panel va de nouveau croître en 2019 (+ 4,0 %). « Les performances des opérateurs seront d’abord portées par des fondamentaux solides sur le marché intérieur. Les dépenses des ménages en soins vétérinaires, en hausse de plus de 3 % par an en valeur ces dix dernières années, continueront à progresser », poursuit l’agence. Outre le marché français et européen, les laboratoires trouvent d’importants relais de croissance à l’international. Ce que prévoit l’agence Xerfi pour les laboratoires français. « Réalisant près de 60 % de leur CA à l’étranger, ils profiteront d’un environnement favorable qui tire la demande mondiale : hausse du taux de possession d’animaux de compagnie, renforcement des contraintes sanitaires dans les pays en développement, etc. Les industriels français misent ainsi sur les marchés européens déjà matures, mais lorgnent également avec intérêt sur les pays émergents. » Ceva Santé animale, en partenariat avec EBVAC, a, par exemple, créé une joint-venture en Chine en 2017, spécialisée sur le marché de la santé porcine. Face à eux, les grand groupes étrangers jouissent d’un positionnement fort à l’international tel que Zoetis, leader mondial, ou encore Bayer.

Prévenir plutôt que guérir

Depuis plusieurs années, l’industrie mise sur la prévention, notamment pour répondre efficacement aux crises sanitaires qui ont touché l’Europe. Cette tendance s’accentue aussi face aux évolutions réglementaires, par exemple concernant l’utilisation des antibiotiques, et aux attentes sociales. Les laboratoires musclent leur jeu. Ils modifient leurs comportements et misent davantage leur investissement en recherche et développement (R & D) sur la prévention. Aujourd’hui, c’est le maître mot, mieux vaut prévenir que guérir. En 2016, cette classe thérapeutique était la première sur le marché. En moyenne, les vaccins représentent près de 60 % du budget des entreprises. À l’image de Boehringer Ingelheim qui a maintenu ses investissements sur le bassin lyonnais : à Saint-Priest (Rhône), le groupe a investi dans des bâtiments R & D de 5 700 m² (dont 1 000 m² de salle blanche) destinés à la formulation et à la répartition de vaccins aviaires, et des investissements sont aussi prévus, entre autres, dans le développement de biogénérateurs et de vaccins effervescents. D’autres opportunités économiques sont à souligner. L’agence Xerfi indique notamment que le vieillissement de la population d’animaux de compagnie, l’augmentation du nombre de chats et de rongeurs, la progression du taux de médicalisation ou encore la sensibilisation croissante des Français en faveur du bien-être de leurs animaux constitueront autant de facteurs porteurs.

La donnée d’avenir

D’autres domaines sont porteurs pour les industriels, en particulier la santé connectée. Pour Arnaud Deleu, ce secteur est un formidable vecteur d’information et de formation. Mais aussi de progrès pour le bien-être et la santé des animaux. De nombreux outils connectés sont mis à la disposition des vétérinaires pour faciliter sa pratique (capteurs, monitoring, robotique de conduite d’élevage, registre sanitaire informatisé, etc.). Une évolution bien perçue, semble t-il, par la profession. « Le praticien de demain sera connecté, c’est un fait. Ces nouveaux services seront en partie proposés par les firmes pharmaceutiques. Cette expertise proposée par les laboratoires est intéressante pour le praticien », souligne Jean-François Rousselot, président de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac). La digitalisation représente aussi une énorme opportunité d’innovation pour les laboratoires pharmaceutique vétérinaire. Ils se positionnent d’ailleurs sur ce marché en optant pour des partenariats signés notamment avec des start-up à la pointe dans ce domaine. Ils fournissent ainsi aux vétérinaires de nombreux outils pour gérer leur entreprise ou encore soigner leur e-reputation3. En outre, ils proposent des formations, des rencontres, pour sensibiliser les vétérinaires à ce sujet. « Par ce biais ou par d’autres, les offres seront multiples. Le praticien devra faire des choix selon un certain nombre de critères dans lesquels figurera comme point commun la volonté d’indépendance », poursuit Jean-François Rousselot.

1 bit.ly/2DzgAjX.

2 bit.ly/2FRywcf.

L’AVIS DE JEAN-FRANÇOIS ROUSSELOT

ENTRETIEN AVEC JEAN-LOUIS HUNAULT ET ARNAUD DELEU 

LE MARCHÉ FRANÇAIS EST LA PREMIÈRE OFFRE EN EUROPE

Selon vous, quelles sont les grandes tendances d’évolutions du marché ?
Arnaud Deleu : Le temps de développement d’un médicament est long. Notre industrie est constamment dans l’anticipation. Nous devons en effet être capables de développer suffisamment vite, malgré des attentes sociétales toujours plus pressantes et une réglementation exigeante. Notre engagement en faveur de la prévention en est un indicateur. Aujourd’hui, nous voyons bien que la demande qui émerge va dans le sens de la réduction des traitements curatifs. Cela suppose d’être dans la prévention. Nous sommes aujourd’hui capables de répondre à ces attentes sociétales notamment concernant les animaux de rente. À titre d’exemple, nous évaluons actuellement le taux de vaccination des animaux d’élevage en France. Les filières organisées connaissent le plus fort taux de vaccination et une baisse de l’utilisation des molécules en traitement curatif. Dans le même temps, le bien-être animal revêt une dimension particulière, notamment autour de la douleur. Notre industrie a mis sur le marché de nombreux médicaments pour la prise en charge de la douleur et s’est fédérée sur des projets tels que Boreve, mené avec le vétérinaire et l’éleveur. Nous marchons à trois. Il faut que la société évolue, de même que les pratiques vétérinaires et les médicaments.

Les rapprochements des entreprises du secteur se font-ils au détriment de l’arsenal thérapeutique vétérinaire ?
A. D. : Nous possédons plus de 2 700 autorisations de mise sur le marché (AMM) en France, bien plus que dans d’autres pays européens. Cela témoigne d’une chose : cette évolution du marché ne se fait pas au détriment de la pharmacopée vétérinaire. Lors de ces rapprochements, le portefeuille de médicaments et les sites industriels restent présents. Des médicaments sont cédés et repris. Les entreprises ont aujourd’hui des moyens nécessaires et investissent dans une recherche encore plus percutante. Ces mouvements se font donc au bénéfice de la santé animale, des vétérinaires et des propriétaires. D’ailleurs, nous travaillons avec l’Agence nationale du médicament vétérinaire, afin de ne pas avoir une augmentation de la réglementation au détriment de la pharmacopée. La mise en œuvre du règlement européen sur les médicaments vétérinaires retiendra toute notre attention. Les médicaments présents sur le marché doivent être maintenus.
Le marché européen est-il encore porteur, en particulier celui de l’Hexagone ?
A. D. : Il est à noter que le marché français est la première offre en Europe. Par rapport à d’autres pays européens, il s’agit d’un marché mature. On peut donc s’attendre à ce que sa croissance en volume soit inférieure à celle des pays émergents, notamment de la zone Asie. Les entreprises continueront de valoriser leurs innovations mondiales en Europe et en France. Elles offriront également une réponse à des besoins plus spécifiques.

Vous diriez donc que la croissance que connaît ce secteur est portée par le marché à l’international ?
Jean-Louis Hunault : Le budget de l’innovation est forcément corporate. Le chiffre d’affaires fait à l’international alimente les investissements en recherche et développement. Il y a en effet des marchés porteurs qui parviennent à maintenir un niveau d’innovation au sein de nos entreprises, dont bénéficient nos marchés plus matures. Même si le nombre d’animaux d’élevage diminue de façon tendancielle en France depuis des années, il reste que le niveau d’innovation est très élevé. Ce fait provient des relais de croissance que trouvent nos laboratoires dans les zones porteuses. Le vétérinaire français bénéficie de ce dynamisme sur le marché de la santé animale.

Quelles sont les tendances qui se profilent?
A. D. : On peut constater aujourd’hui que les entreprises s’orientent vers le diagnostic et des services afin de proposer une “solution santé”. L’objectif est d’avoir le bon outil de prévention et de traitement. L’autre tendance est sans aucun doute, la digitalisation. Les outils connectés peuvent ramener des informations précieuses pour favoriser un diagnostic le plus précoce possible chez les animaux d’élevage et ceux de compagnie. L’élevage de précision permettra une prise en charge individuelle des animaux plutôt qu’un traitement du groupe. Cela répond également à la demande sociétale de la prise en compte du bien-être animal. Une offre de services des laboratoires vient concourir à cela pour répondre à ces attentes.

J.-L. H. : Aujourd’hui, les frontières traditionnelles du médicament s’estompent. On passe d’une logique de produit à une logique de résultat. On voit des industriels du médicament qui investissent dans les nouvelles technologies et le diagnostic. Ce dernier secteur accompagne toutes les gammes de solutions thérapeutiques. Ces deux segments, médicament et diagnostic, sont faits pour travailler ensemble face à un marché qui sera plus préventif que curatif.
à noter aussi que, dans les dix prochaines années, la demande de protéines en poisson et en poulet sera forte au niveau mondial. Cette tendance est intéressante et démontre qu’il existe de nouveaux marchés qui sont porteurs.

Propos recueillis par Michaella Igoho-Moradel

QUATRE QUESTIONS À ÉRIC LEJEAU 

« LES LABORATOIRES PEUVENT ÊTRE MOTEURS SUR CES ÉVOLUTIONS »

Quelle est votre vision de l’évolution actuelle du marché du médicament vétérinaire, en particulier sur les regroupements de structures ?
Nous constatons une concentration progressive des laboratoires, avec parfois des regroupements de gammes. Notre crainte principale face à ces évolutions, est la perte de références disponibles. Je pense notamment au sacrifice de certaines lignes pour un motif économique. Notre inquiétude porte donc sur la disponibilité du médicament et le maintien de l’innovation. L’accès à la nouveauté est primordial pour notre profession. Elle nous permettra d’être plus efficace dans nos thérapeutiques.

Craignez-vous un manque de concurrence sur le marché ?
Les situations monopolistiques sont empêchées par la Commission européenne. Il y aura toujours une pluralité d’acteurs sur le marché et la possibilité de faire jouer la concurrence dans tous les domaines. En France, nous avons la chance de bénéficier de nombreuses autorisation de mise sur le marché, contrairement à d’autres pays d’Europe.

Les laboratoires proposent de plus en plus de services au vétérinaire pour piloter son entreprise. Comment percevez-vous cette nouvelle stratégie ?
Les laboratoires peuvent être moteurs sur ces évolutions, car ils ont des ressources humaines fortes pour développer des services pour les vétérinaires. Face à ces changements, c’est à la profession de se prendre en main et de se les approprier, en particulier le pilotage de l’entreprise. On peut comprendre qu’il y a des confrères qui sont plus orientés vers leur pratique médicale au quotidien et préfèrent se faire assister. Il peut y avoir une crainte de perte d’indépendance par rapport aux laboratoires.
Comment imaginez-vous le marché du médicament vétérinaire dans dix ans ?
Dix ans, c’est loin. Aujourd’hui, les dossiers se traitent au niveau européen. Il est nécessaire de prendre du recul par rapport à ce qui se passe en France. Sur le marché français, il risque d’y avoir des changements importants avec l’application en 2021 du règlement européen sur les médicaments vétérinaires. Cela laisse peu de temps aux acteurs pour se mettre en ligne. Les différences de politiques commerciales qui existent actuellement entre les pays disparaîtront. Ce qui a notamment favorisé des importations illégales de médicaments vétérinaires à la frontière espagnole. Demain, les laboratoires auront une politique commerciale homogène. Les méthodes d’achat des vétérinaires français seront bouleversées.
Propos recueillis par Michaella Igoho-Moradel

LE DIAGNOSTIC EN PLEIN BOOM

Pour l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), les tests de diagnostic constituent un outil essentiel en vue de confirmer le statut sanitaire des animaux et d’identifier les agents pathogènes. Selon Global Market Insights, le marché mondial des produits de diagnostic vétérinaire dépassera les 5,4 milliards de dollars d’ici 20241. Il s’agit également d’un secteur en plein essor. « En France, le marché du diagnostic animal devrait connaître une croissance robuste au cours des prochaines années, en raison de l'adoption croissante d'animaux domestiques, de la forte sensibilisation à l’importance de la santé animale et de la politique réglementaire favorable suivie par le pays. L'intensification des activités de recherche relatives à la production de diagnostics et de réactifs vétérinaires stimulera la croissance des activités. La présence d'acteurs majeurs tels que Virbac favorisera la croissance de l'industrie », note-t-il. Il souligne également que les laboratoires Idexx, Heska Corporation, Zoetis, Randox, Virbac, Qiagen, Thermo Fisher Scientific, Neogen et Abaxis sont parmi les principaux acteurs du marché mondial du diagnostic animal. Les acteurs de l'industrie se concentrent sur la recherche et le développement, afin de développer des solutions de diagnostic vétérinaire supérieures. Par exemple, Zoetis a lancé un nouvel instrument de diagnostic appelé Carysta HVC (chimie à haut volume) en février 2018. Il est conçu pour effectuer des tests de diagnostic à grand volume afin d'améliorer la productivité et de réduire les coûts.
1 www.bit.ly/2GTdh7K Voir pages 14 et 16 de ce numéro.

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr