L’accès aux données : une mission presque impossible ? - La Semaine Vétérinaire n° 1803 du 23/03/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1803 du 23/03/2019

PROFESSION

ACTU

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

Le vétérinaire est appelé à comprendre et à s’approprier les enjeux autour de la e-santé animale, afin de devenir un interlocuteur de référence dans ce domaine.

Le numérique bouleverse l’ensemble des maillons de la chaîne alimentaire, ainsi que le jeu des acteurs sur l’échiquier agricole. En particulier, lorsqu’il s’agit d’échanger sur l’accès et la protection des données. Les possibilités de développement de nouveaux services innovants pour les acteurs du monde agricole semblent « infinies et la collecte des données, non encadrée juridiquement, inquiète et questionne ». L’éleveur peut-il en disposer librement ? Peut-il y donner accès à son vétérinaire ? Le colloque « Agrinumérique et droit », organisé le 22 mars à Laval (Mayenne), s’est intéressé à l’exploitation des données numériques agricoles, aux enjeux qu’elle soulève. Et aux répercussions en matière de droit. « C’est probablement une première en France que d’aborder ce thème sous cet angle », a indiqué Christiane Lambert, présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). De nombreuses pistes de réflexion y ont été amorcées, de même que des solutions apportées par le droit. La protection des données peut ainsi être abordée par la voie conventionnelle, tel un contrat pour la maîtrise des données, ou encore par la voie réglementaire. L’Europe doit encore se saisir de ce sujet. Mais la question de l’accès aux données reste un débat ouvert. Le vétérinaire est un acteur attendu sur ces questions.

Un écosystème de collecteurs et de producteurs de données

Selon Bertille Thareau, sociologue, si le numérique se développe en agriculture, c’est parce qu’il répond à des enjeux, à des difficultés et à des besoins que rencontrent les agriculteurs et les acteurs des filières. « Le numérique est un écosystème qui se met en place et qui s’impose. Il faut faire avec. » Au-delà d’une tendance, le numérique est surtout un écosystème d’acteurs de la collecte, de la gestion, de la transformation et de la production des données. C’est dans ce contexte éclaté que le vétérinaire est appelé à tirer son épingle du jeu. Pour Timothée Audouin, vétérinaire et administrateur du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), la profession est confrontée à trois problématiques dans ce domaine. Il pose notamment la question de la circulation des données d’élevage. « Il existe de nombreux outils et des organismes qui proposent de créer de la data. Mais celle-ci n’est pas mise à disposition lorsque l’éleveur voudrait la faire interpréter par un autre conseiller. » Il estime notamment que l’accès aux données issues d’un robot de traite ou encore des objets connectés placés sur des animaux est une mission quasi impossible. Un constat partagé par Sylvain Épinard, un polyculteur éleveur. « Nous avons des difficultés à nous approprier nos propres données. Nous n’en sommes pas propriétaires et devons payer afin que d’autres acteurs y aient accès (…). On passe parfois d’un aspect sanitaire à un aspect commercial. »

Une numérisationnécessaire ?

« Il ne s’agit d’obliger la transmission d’information. Mais si l’éleveur souhaite avoir le regard d’un tiers extérieur à sa situation, il faudrait que cela soit facilité. Cela permettrait une meilleure mise en œuvre de la concurrence au service de l’agriculture », souligne Timothée Audouin. Se pose également la question de la qualité des outils proposés pour la e-santé animale et de l’accès aux données sanitaires. Sur ce dernier point, Timothée Audouin rappelle que le vétérinaire est le seul professionnel compétent dans ce domaine. « Il est le seul capable d’avoir une vision à 360°, de recroiser les informations et de déterminer si l’outil est ou non performant. Il serait important que le vétérinaire reste le point d’entrée et la seule personne capable de synthétiser les données médicales d’un élevage. » Pour être reconnue, la profession aurait tout intérêt à se numériser afin de créer de la donnée. Certains acteurs estiment en effet que le vétérinaire pourrait être dans une position de rétention. « Nous sommes pour l’échange de données. Les agriculteurs doivent pouvoir l’autoriser pour la leur. Mais dans ce monde de demain, celui qui voudra se protéger est mort. Par principe, on va fonctionner en écosystème », souligne Philippe Royer, directeur général du groupe Seenergi & Seenovia & Medria Solutions, une structure de conseil en agriculture digitale. Un long chemin reste encore à parcourir.

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