La loi sur les chiens dangereux a 20 ans : quel bilan ? - La Semaine Vétérinaire n° 1801 du 09/03/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1801 du 09/03/2019

CATÉGORISATION

PRATIQUE CANINE

L'ACTU

Auteur(s) : LORENZA RICHARD 

Vingt ans après sa promulgation, le dispositif légal régissant les chiens dits dangereux n’a cessé d’être décrié par les intervenants de la filière canine, le taxant d’injuste et inefficace.

Depuis 1999, plus de 15 000 chiens catégorisés ont été euthanasiés en raison de leur appartenance raciale ou de leur morphologie », a déclaré Emmanuel Tasse, président d’honneur du club France american staffordshire terrier (Fast) et président du Collectif contre la catégorisation des chiens (4C), lors du séminaire “Le chien mon ami”, en novembre 2018, au Zooparc de Beauval (Loir-et-Cher). Pour rappel, la législation relative aux chiens dits dangereux regroupe 4 lois, 6 décrets et 5 arrêtés, cible 1 % des races de chiens en France et impose 19 interdictions et/ou obligations aux propriétaires. L’article L.211.11 du Code rural et de la pêche maritime indique : « est réputé présenter un danger grave et immédiat tout chien appartenant à une des catégories mentionnées à l’article L.211-12. » Ce principe de catégorisation « n’est basé sur aucun élément concret, notamment la différenciation entre chiens d’attaque et de garde ou de défense. », poursuit Emmanuel Tasse. Christian Diaz, titulaire du diplôme interécoles de vétérinaire comportementaliste et expert de justice près la cour d’appel de Toulouse (Haute-Garonne), est allé dans ce sens en déclarant que « l’arrêté du 27 avril 1999 est une combinaison de délire administratif et d’incompétence cynophilique. Que signifie, par exemple, que le pitbull soit un chien assimilable morphologiquement à l’amstaff, sans en présenter les caractéristiques morphologiques ? »

Une loi infondée

Dans son rapport de 1998, Georges Sarre affirmait que le pitbull possède la caractéristique de ne pas répondre à l’ordre de lâcher sa proie, et que le chien de race pure appelé berger allemand est inoffensif. « Cette loi se rapporte aux postulats de Lombroso 1 , qui établissait une aptitude à la criminalité selon l’apparence physique, a expliqué notre confrère. L’application de cette théorie à l’espèce canine par une corrélation entre l’appartenance raciale et le comportement déviant n’est pas acceptable éthiquement, pourtant, elle a été validée par l’Assemblée nationale. » Des études montrent que cette corrélation est infondée2.

Pour Emmanuel Tasse, l’évaluation comportementale des chiens catégorisés n’est pas justifiée. Une étude menée par le 4C en 2010 sur 600 individus montre que 98 % des chiens dits dangereux ne présentaient pas de risque aggravé de dangerosité à l’évaluation comportementale3. Toutes les races de chiens sont impliquées dans les morsures, qui surviendraient toutes les 2 minutes en France, avec 1 à 3 cas de morsures mortelles par an. Pour lui, « cette loi donne un faux sentiment de sécurité, et elle peut même rendre les chiens dangereux. En effet, le port de muselière sur la voie publique accentue le risque d’accident lorsqu’elle n’est pas portée, car le chien n’est pas en moyen d’apprendre à contrôler sa morsure en dehors de chez lui. »

Protéger les chiens aussi

De plus, « l’article 23 de la loi du 5 mars 2007 oblige le gouvernement à présenter tous les trois ans un rapport au Parlement dressant le bilan de la mise en œuvre de cette loi, mais aucun rapport n’a été présenté et discuté », remarque Christian Diaz.

Afin de protéger la santé publique tout en protégeant l’animal et le praticien, notre confrère propose, dans un premier temps, « que le vétérinaire apporte le plus grand soin à la rédaction des certificats et n’y affirme que des faits dont il a vérifié l’exactitude », comme l’impose l’article R.242-38 du Code de déontologie vétérinaire. « Il ne suffit pas de noter “catégorie I” ou “caractéristiques de chien de catégorie I”, il convient de préciser les éléments permettant de poser cette diagnose, a-t-il conseillé. C’est important, car le fait de classer le chien ainsi peut conduire son détenteur à être victime de mesures discriminatoires, voire à un arrêté d’euthanasie en cas de doute : la vie d’un chien est en jeu et la crédibilité du praticien également. Tout doit être justifié. »

Emmanuel Tasse propose de remplacer cette législation par une stratégie globale de prévention des morsures de chiens, comme cela existe en Suisse. « Après cinq ans de mise en œuvre, il a été constaté, notamment, une baisse du nombre et de la gravité des morsures. Il conviendrait ainsi de renforcer le caractère obligatoire des déclarations de morsure, sans mise à l’index de certaines races, en analysant chaque cas et en mettant en œuvre des mesures pour responsabiliser et former le maître. »

1 L’Homme criminel, 1876.

2 Fédération vétérinaire européenne, 2000.

3 La thèse de doctorat vétérinaire de Géraldine Banquy de 2013 (3 400 individus) et une étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire en 2016 (4 600 évaluations) aboutissent aux mêmes statistiques.

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