DE LA MéDECINE VéTéRINAIRE à LA SéMIOCHIMIe, EN PASSANT PAR L’éTHOLOGIE - La Semaine Vétérinaire n° 1800 du 02/03/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1800 du 02/03/2019

ACTU

Sorti de l’École nationale vétérinaire de Lyon (ENVL) en 1983, il est évidemment intéressant pour moi de m’interroger sur le chemin parcouru en 35 années. Dès le début de mes études, les insectes et l’éthologie ont occupé une place importante. Les premiers m’ont en réalité conduit directement vers un renforcement de mon intérêt pour l’étude du comportement, alors même que mes centres d’intérêt entomologiques faisaient la part belle à la systématique et à la physiologie de ces animaux. C’est à la mante religieuse que je dois mon entrée dans le monde de la recherche en éthologie. En 1981, j’ai présenté un travail personnel sur le comportement de ce célèbre insecte, au prix scientifique Philips pour les jeunes. Ce travail, récompensé par un prix, m’a fait rencontrer les Prs Pierre-Paul Grassé et Rémy Chauvin, ce dernier m’invitant à rejoindre son laboratoire (j’étais en fin de 2e année à l’ENVL) pour entamer ce qui deviendrait mon sujet de thèse d’université : l’étude du comportement prédateur du philanthe apivore, une guêpe qui paralyse les abeilles pour en nourrir ses larves. Outre la découverte de la recherche, c’est l’éthologie qui m’a ouvert ses portes. C’est ainsi que de l’observation des insectes, je suis passé à celle des animaux de compagnie et de leurs maîtres. Le soutien des Prs Legeay, Fontaine puis Moraillon a rendu possible ce qui a constitué la première étape de ma vie de vétérinaire : développer l’éthologie clinique.

Développement de la première phéromone synthétique féline

Ce champ, qui avait déjà intéressé d’autres cliniciens, j’ai cherché à l’aborder avec mon nouveau bagage éthologique. Il m’est apparu important de définir les critères diagnostiques, les entités nosographiques et de valider des protocoles thérapeutiques. À travers ma thèse vétérinaire, puis l’écriture du Manuel de pathologie comportementale du chien, j’ai mené ce travail en établissant un réseau de coopérations nationales, internationales et interdisciplinaires, qui a servi de base à la création d’un enseignement, puis d’une association européenne (ESVCE1) et finalement du Collège européen (ECAWBM2). Mais c’est aussi à travers ces travaux et ces expériences qu’il m’est apparu que nous ne pouvions pas aider nos patients animaux, et leurs maîtres, si nous ne parvenions pas à pénétrer le monde sensoriel et la communication de ces animaux. C’est le chat qui m’a permis de franchir le pas, en m’offrant la première opportunité de décoder ses sécrétions faciales pour développer la première phéromone synthétique féline, grâce à laquelle j’ai pu réaliser un rêve : créer un centre de recherche consacré à l’étude du comportement et de la communication chimique.

Plus de 400 brevets déposés

En 1995, cette aventure a commencé, dans le sud de la France, avec une toute petite structure comprenant deux personnes. Vingt-trois ans plus tard, un grand centre de recherche, 60 personnes, un deuxième site en Norvège, consacré aux projets liés à l’aquaculture. Plus de 400 brevets, de nombreuses applications pratiques chez les animaux de compagnie, le cheval, les bovins, le porc, la volaille, l’être humain. Mais aussi avec le retour des invertébrés ! Mollusques, insectes, acariens et crustacés, élevés dans nos centres de recherche qui nous permettent de développer une autre approche : ne plus chercher à détruire les espèces qui nous posent des problèmes, mais au contraire comprendre leur vie (l’éthologie) dans ses aspects les plus spécifiques, puis identifier les informations chimiques qui les guident, pour perturber le système de repérage de l’hôte ou indiquer que la zone est dangereuse (présence de prédateurs). L’illustration même de cette approche se trouve dans le sémiochimique que nous avons développé pour gérer l’infestation par le copépode Lepeophtheirus salmonis chez le saumon atlantique. Mais cette approche, fondée sur l’idée d’un dialogue avec les autres espèces, est tout à fait adaptée pour la gestion des vertébrés, et nous abordons désormais le contrôle des souris, mais aussi du loup, à travers des projets de recherche en cours.

Cette philosophie, résultat du travail en équipe depuis près de 25 ans au sein de l’Institut de recherche en sémiochimie et éthologie appliquée (Irsea), me permet d’aborder les dernières étapes de ma vie professionnelle avec un enthousiasme inentamé.

1 European Society of Veterinary Clinical Ethology.

2 European College of Animal Welfare and Behavioural Medicine.

PATRICK PAGEAT (L 83)

est spécialiste en comportement des animaux de compagnie. Au sein de l’Institut de recherche en sémiochimie et éthologie appliquée (Irsea) qu’il a fondé, il met en place des travaux de recherche autour de la phéromonothérapie et développe l’éthologie clinique.
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