« L’Anses s’inscrit dans une démarche d’anticipation face à la PPA » - La Semaine Vétérinaire n° 1799 du 24/02/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1799 du 24/02/2019

ENTRETIEN

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR TANIT HALFON 

L’édition 2019 du Salon international de l’Agriculture, qui s’est achevée le 3 mars, a été l’occasion d’interroger l’Anses sur son rôle dans la lutte contre la peste porcine africaine. Charlotte Dunoyer, cheffe de l’unité en charge de la santé, de l’alimentation et du bien-être des animaux à la direction de l’évaluation des risques, et Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence, ont répondu à nos questions.

Quelles sont les missions de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dans le plan de lutte contre la peste porcine africaine ?

Gilles Salvat : L’Anses étant laboratoire national de référence pour les pestes porcines, elle sera en charge de procéder, en cas de crises, aux analyses de seconde intention. Dans ce cadre, pour l’instant, nous avons validé des méthodes d’analyse par polymerase chain reaction (PCR) pour détecter la maladie. De plus, nous avons agréé, pour la peste porcine africaine (PPA), deux laboratoires, situés à Strasbourg (Alsace) et au Mans (Sarthe), sur demande du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. L’agence mène aussi des recherches sur la maladie, par exemple, sur les modèles de diffusion du pathogène en inter et intra-élevage ou encore, en association avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), sur la capacité vectorielle des tiques du genre Ornithodoros. Nos épidémiologistes et ceux du ministère de l’Agriculture ont également appuyé les services vétérinaires roumains dans leur gestion de la maladie.

Charlotte Dunoyer :Depuis l’installation de la task force franco-belge, les échanges entre les autorités sanitaires des deux pays permettent à l’Anses de disposer d’informations en temps réel. L’agence répond ainsi aux nombreuses saisines du ministère, en ayant une vision de la situation la plus complète possible. Pour ce faire, nous avons constitué un groupe d’experts multidisciplinaires, composés de virologistes, d’épidémiologistes, de spécialistes de l’écosystème forestier et des sangliers, de l’élevage de porc… qui se réunit une fois par semaine.

Que retenir des évaluations menées sur la maladie depuis le début de la crise ?

C. D. :Il faut d’abord souligner que les cadavres de sangliers constituent l’élément prédominant du maintien de la maladie. Le virus peut survivre plusieurs mois dans les cadavres en putréfaction. Par conséquent, une fois trouvé, aucun ne doit être laissé sur place, les conditions de ramassage devant respecter les principes de biosécurité. Ensuite, on sait que le dépistage des animaux chassés ne détecte que très peu de cas positifs (le nombre d’animaux en incubation est habituellement très faible, inférieur à 2 %). Cependant, si l’on veut que les mesures prises soient efficaces, il faut bien repérer le plus précocement possible les animaux positifs. Cette faible probabilité a amené l’Anses à recommander l’analyse de 100 % des sangliers chassés. Enfin, retenons aussi que la maladie n’est pas que densité-dépendante : des occasions de rencontres entre compagnies de sangliers1 sont également nécessaires, par exemple, autour de zones d’abreuvement, lors de présence de cadavres ou dans des topographies favorables à l’habitat de cet animal, comme les continuums forestiers. Ainsi, il apparaît que pour espérer que la chasse soit une mesure efficace, il faut réduire d’au moins 80 % la population de sangliers au sein d’une zone. Un bémol cependant : en zone infectée, la chasse est à proscrire pour éviter la dispersion des sangliers et donc celle de la maladie.

La chasse est-elle le seul moyen efficace pour réduire le risque d’introduction de la maladie ?

G. S. : Pour le moment, oui, en ce qui concerne la maîtrise des populations de sangliers. Mais la maladie pouvant aussi arriver via des denrées alimentaires contaminées, des actions de sensibilisation ont été menées en ce sens.

C. D. : Il convient aussi de surveiller l’importation des sangliers.

L’abattage préventif des porcs, comme cela a été fait en Belgique, est-elle une solution efficace pour ralentir l’extension de la maladie ?

C. D. :La décision des autorités belges ne reposait pas sur un avis scientifique. De notre côté, les experts de l’Anses estiment que, si les mesures de biosécurité sont parfaitement respectées dans les élevages, il n’y a pas de raisons de procéder à un dépeuplement préventif. Actuellement, les services vétérinaires français procèdent à des audits des élevages porcins de la zone réglementée, en collaboration avec les vétérinaires sanitaires.

ê tes-vous inquiets ?

G. S. : Nous avons anticipé au maximum de ce que l’on pouvait faire. Si la maladie arrive, plusieurs scénarios sont déjà prévus, et l’état disposera des données scientifiques à même de lui permettre de réagir de manière pertinente et efficace pour éviter sa transmission aux élevages.

C. D. : Les gens sont très sensibilisés, la préparation est bien faite. Mais toutes les bonnes idées sont bonnes à prendre, car très peu de pays ont réussi à endiguer la maladie. Seule la République tchèque semble y être parvenue : aucun cas n’a été signalé depuis avril 2018. Cependant, l’écosystème touché est plus petit que celui des Belges…

G. S. : Ici, nous avons affaire à une zone de forte densité forestière. Rappelons-nous qu’il a fallu 10 ans pour se débarrasser de la peste porcine classique dans les Vosges… et il y avait un vaccin !

1 Les sangliers s’organisent en groupes sociaux, sans qu’il n’y ait forcément de contacts entre chaque groupe.

UN PROJET DE VACCIN

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) vient de déposer un projet européen sur le développement d’un vaccin contre la peste porcine africaine. Mais le temps de la recherche est long, d’autant plus que les connaissances sur l’immunité induite par le virus sont encore incomplètes. « Si nous recueillons les financements, d’ici cinq ans, nous aurons peut-être obtenu un candidat pour un vaccin, et d’ici 10 ans, un vaccin », souligne Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l’Anses. Mais une vaccination des troupeaux pourrait-elle être un jour autorisée pour une maladie réglementée ? « Si demain, nous sommes confrontés à une épizootie non maîtrisable, prendra-t-on une nouvelle fois la décision de tout abattre, comme cela a pu être fait pour la fièvre aphteuse ou, plus récemment, pour l’influenza aviaire ? Je n’en suis pas convaincu. »
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