Quelle médecine vétérinaire pour l’élevage biologique ? - La Semaine Vétérinaire n° 1798 du 16/02/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1798 du 16/02/2019

DOSSIER

Auteur(s) : TANIT HALFON 

Si suivre des élevages biologiques nécessite forcément d’en connaître le cahier des charges, le vétérinaire tire véritablement son épingle du jeu par sa maîtrise des bonnes pratiques de la conduite d’élevage et sa capacité à faire un usage raisonné des traitements qu’il prescrit, qu’ils soient conventionnels ou pas.

Le rôle du vétérinaire en élevage biologique est limité, parce qu’il utilise en majorité les traitements allopathiques de synthèse, mais également parce que le coût des visites d’élevage est trop important pour certaines productions. Les problèmes sanitaires en élevage biologique ne peuvent en effet être réglés de la même façon qu’en élevage conventionnel (… ). » Cette phrase, tirée d’un article de 2009 de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), sur l’élevage biologique1, est-elle toujours valable ? « Tout vétérinaire est capable d’être un interlocuteur des éleveurs bio, déjà rien qu’en parlant de la conduite d’élevage de base », souligne Loïc Guiouillier, praticien rural en Mayenne et président de la commission des médecines complémentaires de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). Même discours du côté d’Hervé Host, vétérinaire et directeur de recherche à l’Inra : « Le vétérinaire n’est pas qu’un simple prescripteur de médicaments, il est d’abord le spécialiste de la conduite d’élevage. Par exemple, il est formé pour donner des conseils et trouver les meilleurs leviers de gestion de la santé et du bien-être des animaux en intégrant les notions d’hygiène liées à l’environnement et à la nutrition des animaux. » Malgré tout, le praticien devra tout de même changer sa grille de lecture, notamment en ce qui concerne l’usage des médicaments, comme le constate Loïc Guiouillier : « J’estime que la profession a trop cherché à satisfaire les éleveurs désireux de médicaments miraculeux. La problématique de l’antibiorésistance est bien révélatrice de cette situation. Seule la contrainte nous a amenés à changer nos pratiques. »

Prévenir vaut mieux que guérir

Un des maîtres mots du bio est la prévention. Et la réglementation est claire à ce sujet : cela passe par une réflexion et un travail global sur les pratiques d’élevage. « La prévention des maladies est fondée sur la sélection des races et des souches, les pratiques de gestion des élevages, la qualité élevée des aliments pour animaux et l’exercice, une densité d’élevage adéquate et un logement adapté offrant de bonnes conditions d’hygiène », stipule-t-elle. De plus, les médicaments allopathiques chimiques de synthèse et les antibiotiques sont interdits en prévention. Dans ce contexte, Otoveil2, un projet de recherche Casdar3, s’est intéressé aux moyens à mettre à disposition des éleveurs pour la surveillance et la prévention sanitaire de leurs troupeaux de ruminants. L’objectif : identifier les indicateurs de l’état d’équilibre sanitaire d’un troupeau4, ce qui permettrait d’assurer une détection précoce des ruptures d’équilibre et de limiter de fait l’utilisation d’intrants de synthèse. « Huit indicateurs ont été repérés en tant que signaux d’alerte, explique Catherine Experton, responsable commission élevage et groupe santé à l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab). Cela nous a permis d’élaborer des grilles d’observation et de prévention dans lesquelles nous proposons des fourchettes de seuil reposant sur ces indicateurs de santé globale. L’idée sous-jacente est d’amener l’éleveur à se poser les bonnes questions pour arriver à un changement de pratiques. Les fiches sont en cours de finalisation, avec un rendu prévu pour 2019. » Jérémie Dal Maso, praticien rural à Beaulieu (Calvados), confirme l’importance du préventif sur le terrain : « Les éleveurs de ma clientèle sont très demandeurs de conseils préventifs, et le bilan sanitaire représente un bon moyen pour en parler.»

Un usage raisonné des traitements

En bio, les produits “alternatifs” doivent être utilisés “de préférence”. Les médicaments allopathiques sont, eux, réservés dans les cas où ils s’avèrent indispensables ou si le premier traitement a été inéfficace. « Le recours aux antiparasitaires conventionnels doit être justifié par des résultats d’analyses de selles depuis juin 2017 », précise Loïc Guiouillier. Mais le vrai principe à retenir, selon lui, est bien l’usage raisonné des traitements, qu’ils soient conventionnels ou pas. Dans ce cadre, afin de limiter l’utilisation des intrants, cibler les animaux à traiter est aussi à envisager. « Dans notre unité de recherche, nous développons des méthodes pour détecter les animaux nécessitant le plus le recours aux traitements, explique Sophie Prache, chercheuse à l’Inra, qui travaille sur le parasitisme des petits ruminants en système herbager. Cela passe par le suivi d’un ensemble de paramètres, comme la courbe de poids, l’observation des muqueuses, l’analyse des crottes… » 5. Xavier Plaëtevoët, praticien mixte à Saint-Désir (Calvados), applique déjà ce principe. « Au départ, le vermifuge comptait comme un traitement allopathique, ce qui nous poussait à faire des traitements sélectifs, explique-t-il. Aujourd’hui, même si les antiparasitaires ont été exclus de la case allopathie, nous adoptons toujours ce principe. C’est aussi souvent une demande des éleveurs qui cherchent à limiter les traitements de leur troupeau. » Ainsi, si l’analyse des bouses révèle un niveau peu élevé de parasitisme, seuls les animaux en moins bon état général seront traités.

Se former en médecines complémentaires

Suivre des élevages bio implique d’« avoir des éléments de connaissance en médecines complémentaires », souligne Loïc Guiouillier. Une urgence pour lui quand, sur le terrain, « on assiste au développement des colporteurs qui arrosent les élevages bio de phyto et d’aromathérapie ». « Ces compétences sont peu répandues chez les vétérinaires, alors qu’elles sont particulièrement recherchées, et pas qu’en bio », note Brigitte Beciu, chargée de mission élevage pour la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB). Jérémie Dal Maso met également en exergue ce décalage : « Dans mon exercice, les éleveurs en connaissent souvent plus que moi sur les plantes. Aussi, afin de pouvoir apporter des réponses aux éleveurs, qu’ils soient bio ou non, je me suis inscrit au diplôme interécole en phyto-aromathérapie. » Aussi, sur le terrain, l’automédication est fréquente. En témoigne, par exemple, le projet Otoveil, dans lequel les enquêtes menées en 2017 ont révélé que 65 % des éleveurs parmi les 102 interrogés (en élevages bovin lait, bovin viande, ovin lait, ovin viande et caprin lait) avaient recours à l’aromathérapie. Un autre projet Casdar, Synergie, avait quant à lui, mis en lumière cette pratique en élevage poulet de chair biologique : parmi un échantillon représentatif de 85 élevages, 70 avaient eu recours à des traitements dits alternatifs, majoritairement à titre préventif6. Mais attention, « il ne faut pas que ces médecines complémentaires deviennent un substitut aux traitements conventionnels sans un changement des pratiques d’élevage », martèle Catherine Experton. Pour ce faire, former les éleveurs sur les plantes lui apparaît essentiel, comme « levier de sensibilisation des éleveurs aux changements de pratiques ». Loïc Guiouillier précise aussi que « l’élevage bio n’a pas forcément besoin des médecines complémentaires, même en préventif ». Et le mot de la fin revient à Jérémie Dal Maso, qui résume l’exercice vétérinaire en élevage bio : « Je ne sais pas si un b.a.-ba est requis pour suivre un élevage biologique, mais je pense qu’il faut être au minimum curieux. Il faut aussi reconnaître qu’on en sait moins que certains éleveurs, et qu’il est nécessaire de se former. La base est de faire un bon examen général et de savoir écouter les gens. »

1 bit.ly/2E381OU.

2 bit.ly/2twk0Q9.

3 Compte d’affectation spéciale développement agricole et rural.

4 État global et dynamique d’un troupeau permettant de maintenir un niveau de santé et de performances stable, dans un environnement fluctuant.

5 Projet Salamix (systèmes d’élevage allaitants herbagers : adapter le type génétique et mixer les espèces pour renforcer leur durabilité) en cours depuis mai 2015.

6 Lire La Semaine Vétérinaire n° 1796 du 15/12/2019, page 36-37.

SENSIBILISER AU BIEN-ÊTRE ANIMAL

Dans la réglementation actuelle bio, et plus encore dans la nouvelle dont l’application est prévue pour 2021, les conditions favorables au bien-être animal sont clairement définies. Si un animal « vient à être malade ou blessé, il est traité immédiatement », dit notamment l’article 24. Le problème, comme l’explique Loïc Guiouillier, praticien rural en Mayenne et président de la commission des médecines complémentaires de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), c’est qu’aucun organisme de certification ne met en valeur cette mention. Et ne sanctionne réellement les manquements en la matière. Pour lui, alors que les éleveurs devraient être plus sensibilisés et vigilants sur cette question, cela n’apparaît pas comme une priorité. Aussi, comme il le souligne, le rôle du vétérinaire est loin d’être simple : « À part sensibiliser les éleveurs et attirer l’attention sur les points défaillants, nous avons peu de leviers de changements. »

LA PRESCRIPTION, UN VRAI CASSE-TÊTE

Selon la réglementation, tout produit ayant une allégation thérapeutique entre dans la case des médicaments vétérinaires, caractérisés par une autorisation de mise sur le marché (AMM). Pour les animaux destinés à la consommation, ces derniers doivent disposer en plus d’une limite maximale de résidus (LMR). Par conséquent, il est illégal d’utiliser des plantes à des fins thérapeutiques sans prescription vétérinaire. Le problème est qu’il n’existe que deux médicaments vétérinaires à base de plantes avec AMM. Cependant, le praticien a la possibilité de recourir au principe de la cascade : il a alors la possibilité, sous réserve de pouvoir le justifier, prescrire une préparation magistrale extemporanée à base de plantes. Dans ce cas, les “ingrédients” utilisés doivent disposer obligatoirement d’un statut LMR : en clair, ils doivent figurer dans le tableau 1 du règlement (UE) n° 37/20101. Dans ce cadre, le temps d’attente forfaitaire de 7 jours pour le lait et les œufs et de 28 jours pour la viande2 doit être doublé. Or, aujourd’hui, un grand nombre de plantes utiles en phytothérapie et en aromathérapie ne sont pas intégrées dans cette liste3. N’y figurent, par exemple, que 21 huiles essentielles. De plus, le recours aux traitements alternatifs n’est possible, selon la réglementation, qu’à la condition « qu’ils aient un effet thérapeutique réel sur l’espèce animale concernée et sur l’affection pour laquelle le traitement est prévu ». Mais ces critères d’efficacité ne sont pas vraiment documentés… Toutes ces difficultés font qu’en pratique les plantes ne sont pas forcément prescrites, mais sont ajoutées à l’alimentation en tant qu’additifs. En outre, en élevage, l’automédication est très fréquente. Ce contexte a motivé les organisations professionnelles que sont l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), l’Association vétérinaire équine française (Avef) et la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) à définir un réseau de vétérinaires utilisant la phytothérapie, le Repaaf, afin de recueillir les éléments de terrain pour valider les pratiques. Ce réseau est en cours de construction.

1 bit.ly/2SSzBbH.
2 bit.ly/2E7SjBN.
3 Voir la thèse vétérinaire de Martin Bruselle (VetAgro Sup, 2017) : « Mise en place d’AMM allégées en phytothérapie vétérinaire : conséquences probables sur la pratique de la phytothérapie en médecine vétérinaire ».

PAROLES D’ÉLEVEURS BIO  

QUE PENSENT LES ÉLEVEURS DU SUIVI VÉTÉRINAIRE EN ÉLEVAGE BIO ?


NATHALIE MASBOU, ÉLEVEUSE DE CHÈVRES DANS LE LOT

Nathalie Masbou, éleveuse de chèvres dans le Lot
Le vétérinaire intervient rarement dans mon élevage, mis à part lors des périodes critiques comme la mise à l’herbe. Malgré tout, je trouve qu’il est toujours utile d’avoir un regard extérieur pour conforter ou compléter une première approche. Lorsqu’il vient, le vétérinaire permet d’apporter une vision globale de l’état du troupeau. Pour autant, il faut a minima qu’il connaisse la chèvre, ce que j’ai remarqué être rarement le cas chez les vétérinaires, mais aussi le cahier des charges bio et les médecines alternatives ou complémentaires.

JACQUES RIMBAULT, ÉLEVEUR DE VOLAILLES EN ISÈRE

Jacques Rimbault, éleveur de volailles en Isère
Le vétérinaire ne vient qu’une fois par an, pour la visite annuelle. Je rencontre peu de problèmes dans mon élevage, mes plus grosses pertes étant liées aux prédateurs. Pour le reste, j’essaye au maximum que les choses se règlent naturellement. Pour autant, mon suivi vétérinaire me convient, car ma patricienne est compétente en bio.

JEAN-FRANÇOIS VINCENT, ÉLEVEUR DE PORCS ET DE MOUTONS DANS LE CHER

Jean-François Vincent, éleveur de porcs et de moutons dans le Cher
En ovins, la tendance est de se former et de traiter soi-même, sans faire appel au vétérinaire. Du fait de la faible rentabilité de cette production, je suis amené à limiter les appels au vétérinaire pour les cas individuels. De plus, je trouve que la plupart des vétérinaires sont conçus “sur le même moule” et ont une approche assez conventionnelle de l’élevage, qu'ils exercent en groupement ou en libéral. Le préventif les intéresse peu, tout comme les soins alternatifs. Leur pratique reste très "allopathique". Et même si les nouveaux semblent motivés au départ, ils sont rapidement happés par leur quotidien de libéral.

ÉRIC GUIHERY, ÉLEVEUR DE VACHES LAITIÈRES EN MAYENNE

Éric Guihery, éleveur de vaches laitières en Mayenne
Le vétérinaire intervient soit en cas de problèmes, soit pour discuter des orientations de l’élevage. Depuis mon passage en bio, je n’hésite plus à faire appel à lui en première intention, car il y a globalement moins d’animaux malades. Cependant, les premières années, je trouvais que les vétérinaires n’avaient pas forcément une vision positive du bio et des médecines complémentaires. Je les voyais plus comme des vendeurs d’antibiotiques. Aujourd’hui, il me semble que c’est moins le cas. Nous sommes davantage dans le dialogue, et il me semble normal, en tant qu’éleveur, de rémunérer ses conseils, même s’il ne prescrit pas de produits. Tout ce que je demande, c’est qu’il soit présent et compétent quand il faut intervenir.

DES PROBLÉMATIQUES SANITAIRES LIÉES AU PLEIN AIR

Qui dit bio ne dit pas davantage de maladies. Voire elles sont beaucoup moins nombreuses du fait de l’extensification de la conduite d’élevage, selon Loïc Guiouillier, praticien rural en Mayenne et président de la commission des médecines complémentaires de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). « En filière bovin lait bio, la production est plus faible qu’en élevage conventionnel. Les animaux, moins sollicités, présentent ainsi moins de maladies métaboliques. » Pour autant, une étude de 2009 le rappelle, elles existent comme dans tout élevage et ne sont pas rares, chaque filière ayant sa tendance1. Des enquêtes déclaratives d’acteurs de l’élevage avaient, par exemple, montré une plus forte exposition des ruminants aux affections parasitaires et aux mammites. Des évaluations qualitatives avaient révélé, quant à elles, un niveau équivalent de mammites chez les bovins en comparaison avec l’élevage conventionnel, mais des maladies métaboliques plus rares et parasitaires plus fréquentes. Loïc Guiouillier complète : « Il existe des particularités suivant les espèces. Par exemple, en élevage de porcs, le risque de transmission de pathogène via la faune sauvage est plus marqué, ce qui oblige à installer des clôtures sur le parcours. En ovins, le risque parasitaire est plus élevé, tout comme pour les volailles et les jeunes bovins. » Et d’ajouter : « Ce n’est cependant pas propre au bio, c’est lié uniquement au fait que les animaux aient accès à l’extérieur. » Ainsi, la connaissance de ces risques sanitaires pourra conduire à réviser certaines pratiques d’élevage. « Pour réduire l’exposition aux parasites des agneaux engraissés à l’herbe après le sevrage, il vaut mieux éviter de leur faire pâturer les parcelles déjà utilisées au printemps. Le pâturage mixte ovin-bovin allaitant peut aussi être intéressant, car il permet de diluer les parasites dans les pâtures », conseille notamment Sophie Prache, chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), qui travaille sur le parasitisme des petits ruminants en système herbager. Plus globalement, la gestion intégrée du parasitisme se résumerait en quatre points : « Gérer le pâturage de manière à limiter le contact des animaux avec les parasites ; surveiller les animaux pour une détection précoce du parasitisme ; cibler les traitements sur les animaux les plus infestés en privilégiant les traitements alternatifs s’ils ont fait leurs preuves ; développer la capacité de résistance des animaux, via un travail de sélection. »
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